Quand des États membres de l’Union Européenne ferment les yeux sur des pratiques douteuses pour attirer les investissements étrangers
Communiqué de presse – Paris, le 10 Octobre 2018
Selon un rapport de Transparency International et Global Witness publié aujourd’hui, corrompus et criminels peuvent facilement trouver refuge en Europe grâce à l’opacité et le manque d’encadrement de programmes appelés « Visas dorés ».
Les deux organisations anti-corruption affirment que le bénéfice économique de ces dispositifs – qui permettent d’offrir la citoyenneté ou le droit de résidence à des non-européens en échange d’investissement important – est compromis par des risques liés à un manque de contrôle favorisant la prise de décision discrétionnaire et la corruption.
« Si vous avez acquis beaucoup d’argent par des moyens douteux, il est judicieux de trouver un nouveau lieu de résidence éloigné de celui où vous seriez potentiellement recherché. Le système des Visas dorés ou Golden Visas offre un refuge contre les autorités qui pourraient chercher à saisir vos avoirs détournés tout en ayant la liberté de voyager sans éveiller les soupçons », déclare Naomi Hirst, chargée de campagne chez Global Witness.
« Compte tenu des risques inhérents à ces programmes, ils doivent être mieux encadrer avec des normes plus strictes en matière de contrôle, afin que les pays sachent qui ils accueillent et d’où provient l’argent investi. Malheureusement, ce n’est pas ce que nous constatons. Ces dispositifs exposent les pays à des risques de corruption car les gouvernements en quête d’investissements ferment les yeux sur ces dangers et entrent dans un processus de nivellement par le bas ».
Ce rapport intervient quelques semaines à peine après un raid de la police finlandaise contre une agence immobilière qui serait au cœur d’une opération de blanchiment d’argent d’un montant de 10 millions d’euros. A la tête de cette agence, un homme d’affaires russe qui aurait acheté la citoyenneté maltaise.
Laure Brillaud, chargée des questions de la lutte antiblanchiment pour Transparency International Europe et co-auteure du rapport, déclare : « Ces programmes de « Visas dorés » trop peu encadrés permettent à des personnes corrompues de travailler et de voyager sans entrave dans toute l’Union Européenne et en cela, portent atteinte à notre sécurité collective. C’est pourquoi nous appelons à une action à l’échelle de l’Union Européenne de toute urgence. Bruxelles doit définir des normes pour ces programmes et veiller à ce qu’elles soient respectées dans tous les États qui offrent ces permis de citoyenneté et de résidence à des fins d’investissement. «
Malgré l’opacité des programmes de Visas dorés, les données disponibles montrent qu’au moins six mille passeports et près de 100 000 permis de séjour ont été “vendus” dans l’UE au cours de la dernière décennie. L’Espagne, la Hongrie, la Lettonie, le Portugal et le Royaume-Uni en ont accordé le plus grand nombre – plus de 10 000 chacun.
Les programmes de Visas dorés dans tous les États membres ont généré environ 25 milliards d’euros d’investissements étrangers directs sur la dernière décennie. 4,8 milliards d’euros pour Chypre depuis 2013 et environ 718 millions d’euros pour Malte depuis l’ouverture d’un programme en 2014. Chypre, le Portugal, l’Espagne et le Royaume-Uni auraient ainsi gagné entre un demi-milliard et près d’un milliard d’euros par an.
En dépit des sommes importantes en jeu, Chypre et le Portugal ne semblent pas s’interroger sur la provenance de ces riches investisseurs. A Malte, des « circonstances particulières » sont retenues pour justifier l’éligibilité de certains candidats qui ont pourtant un casier judiciaire ou font l’objet d’une enquête. Au Portugal, 95% de ces investissements interviennent dans le secteur immobilier, ce qui a contribué à accroître la pression sur le marché du logement sans pour autant créer de l’emploi. En Hongrie, en Lettonie et au Royaume-Uni, les chances d’obtention de ces visas atteignent les 90%, ce qui ne manque pas d’interroger sur le sérieux des critères de sélection appliqués aux candidats dans certains États membres.
Si la résidence et la citoyenneté sont octroyées par un État membre, elles impactent en réalité l’ensemble de l’Union Européenne, Transparency International et Global Witness demandent aux institutions de l’Union Européenne de :
- Fixer des standards européens, incluant une vigilance et une transparence accrues de ces programmes de visas dorés
- Identifier et évaluer régulièrement les risques et menaces que font peser ces programmes afin d’en réduire la portée.
- Améliorer et adapter les règles de lutte anti blanchiment afin qu’elles s’appliquent à tous les intermédiaires qui interviennent dans ces programmes de visas dorés.
- Etablir des systèmes de collecte et d’échanges d’informations sur les candidatures qu’elles soient acceptées ou fassent l’objet d’un refus, ainsi que les investissements réalisés.
- Entamer des poursuites judiciaires contre les Etats membres dont les programmes pourraient compromettre la sécurité collective de l’UE.
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Les travaux de Transparency International sur les « Visas dorés » sont soutenus par le Global Anti-Corruption Consortium, un partenariat novateur visant à accélérer la lutte mondiale contre la corruption en articulant plaidoyer et journalisme d’investigation, sous l’égide du Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP). Global Witness travaille en coopération avec le consortium sur cette question.
Pour aller plus loin
Rapport « Golden Visas » de Transparency International & Global Witness