Recommandations  sur le projet de décret relatif à l’article 25 de la loi Sapin 2

Pour Transparency International, la régulation et la transparence du lobbying  constituent une règle de bonne gouvernance répondant à une attente pressante des citoyens. Suscitant nombre d’a priori critiques, et mal connu du grand public, le lobbying joue un rôle croissant dans l’élaboration de la décision publique, il concourt à la vitalité du débat démocratique, à condition de respecter trois principes : équité, intégrité, et transparence. La création du registre des représentants d’intérêts dans la loi Sapin 2 constitue donc un enjeu démocratique majeur. Il aura pour effet de démystifier la réalité du lobbying aux yeux du grand public, tout en tirant vers le haut les standards éthiques de la profession. Nos recommandations visent à ce que le décret qui sera transmis au Conseil d’Etat reflète ces principes et cette vision positive du lobbying comme enjeu démocratique.

Le décret n’a pas vocation à traiter tous les détails pratiques du fonctionnement du registre

Transparency International considère que le décret ne peut pas et ne doit pas régler tous les détails relatifs au registre. Ce serait prendre le risque de figer certains sujets et de compromettre ainsi la montée en puissance progressive du dispositif, au plus près des acteurs. Nous considérons que certains sujets gagneraient à être traités dans le cadre de groupes de travail, pilotés par la HATVP comme celle-ci l’a déjà suggéré, puis tranchés par voie de délibérations de la HATVP.

Ainsi, certaines inquiétudes légitimes des représentants d’intérêts, en particulier s’agissant de la surcharge de travail, trouveront leurs réponses dans l’ergonomie et le paramétrage du futur téléservice qui sera mis en place pour accueillir les rapports. Transparency International va donc formuler des propositions pragmatiques et concrètes à la HATVP en ce sens, afin que le cahier des charges à l’appui du futur téléservice ne se traduise pas par une complexité excessive. Par exemple, la plateforme gagnerait à mettre à disposition des représentants d’intérêts un fichier standard que les acteurs pourraient renseigner au fil de l’eau et télécharger tous les trois ou six mois, afin que leur rapport soit rempli automatiquement.

Sans préjudice de la décision du Conseil constitutionnel, le contenu du registre doit être suffisamment consistant pour éclairer sur la réalité de la représentation d’intérêts

Le décret, complété par les délibérations de la HATVP, devra garantir que le registre ne sera pas qu’un annuaire, mais bien une base de données éclairant les citoyens sur la manière dont se nouent les interactions entre les élus et les représentants d’intérêts. Il ressort de la décision du Conseil constitutionnel que le niveau de détail exigé des représentants d’intérêts ne saurait être fin, celle-ci ne doit pas conduire à trop circonscrire le contenu des rapports. Cela appelle plusieurs remarques :

  • La présentation des actions par décision publique est intéressante, mais elle ne doit pas être exclusive. La loi parlait de transparence sur les actions de représentation visant à influer sur la décision publique, notamment sur le contenu d’une loi ou d’un acte réglementaire. Il s’agit bien de « la » décision publique et non « des » décisions publiques ciblées dans le « notamment ». Devraient ainsi entrer dans le périmètre du registre certaines actions de représentation d’intérêts qui ne se rapportent pas directement à une loi ou décret précis, dès lors qu’ils visent par leur objet à influer sur la décision publique. Par exemple, si un colloque parlementaire est organisé sur un sujet ayant une actualité à court ou moyen terme, que des parlementaires s’expriment dans une table ronde ou un débat aux côtés d’acteurs qui auront payé pour avoir la possibilité de s’exprimer, et que cette table ronde aborde des questions fiscales susceptibles d’être évoquées dans un projet de loi de finances, cela devrait selon nous entrer dans le champ du registre. Il en va de même pour certaines réunions thématiques organisées par des clubs parlementaires.

Une présentation par sujets plutôt que par décision, sur la base d’une nomenclature établie par délibération de la HATVP après consultation des acteurs dans le cadre d’un groupe de travail dédié, permettrait de répondre à cette problématique.

  • La liste des éléments dont le représentant d’intérêts doit tenir compte est trop succincte. Elle le sera encore plus si l’identité des personnes rencontrées disparaît, comme le suggèrent certains acteurs. Il conviendrait donc :
    • De maintenir l’identité des personnes rencontrées : une solution intermédiaire pourrait être d’exiger l’identité des élus uniquement (notamment parlementaires), et non celle des fonctionnaires.
    • Réintégrer les dates/périodes dans la liste. Sans cette information, on ne pourra pas situer les rendez-vous dans la procédure parlementaire dans le cas d’un débat parlementaire.
    • Ajouter à cette liste les positions que les représentants d’intérêts ont choisi de rendre publiques.
  • Le rythme des déclarations doit être suffisamment soutenu

La périodicité retenue doit à la fois être réaliste et opérationnelle pour les représentants d’intérêts, tout en étant suffisamment soutenue pour fournir des informations sur la manière dont se nouent les interactions entre les pouvoirs publics et les représentants d’intérêts.

Si la déclaration des montants alloués sur une base annuelle nous paraît consensuelle, Transparency International préconisait une déclaration au moins trimestrielle s’agissant des déclarations sur les actions engagées, comme c’est le cas en Irlande. Un rythme semestriel nous paraît constituer un compromis acceptable. En revanche, une actualisation annuelle, en mars-avril de l’année N+1, ne permet pas de répondre aux objectifs poursuivis.

Un rythme régulier, trimestriel ou semestriel, contribue à démystifier la réalité du lobbying, parfois fantasmée par le grand public et les médias. A l’inverse, si le niveau de périodicité retenu a pour effet de trop éloigner l’action de lobbying de la décision publique ciblée, cela aura pour effet de renforcer aux yeux du grand public l’idée que la représentation d’intérêts est une activité opaque voire occulte.

Si l’on prend l’exemple de la loi Sapin 2, les débats parlementaires se sont déroulés intégralement sur l’année civile 2016. Dans la version actuelle du projet de décret, cela signifierait qu’aucun représentant d’intérêt n’aurait l’obligation d’être transparent sur les actions de lobbying conduites, avant le mois d’avril prochain. Ceci nous semble être en décalage avec la réalité des pratiques de lobbying, où de plus en plus d’organisations publient déjà leurs positions.

  • Commentaires de TIF sur les articles du décret :

 Article 1er : cet article est satisfaisant dans sa rédaction actuelle. La définition du seuil pourrait éventuellement être définie par période de six mois (« à deux reprises au cours des six derniers mois »), pour s’aligner sur la périodicité que nous recommandons.

Article 3 : proposition de nouvelle rédaction :

En application du 3° de l’article 18-3 de la loi du 11 octobre 2013 susvisée, tout représentant d’intérêts adresse à la Haute Autorité tous les six mois un rapport contenant les différentes actions de représentation d’intérêts réalisées.

Pour chaque action ou groupe d’action réalisées, ce rapport précise les éléments suivants :

l’identité des personnes mentionnées aux 1° et 2° de l’article 18-2 de la loi du 11 octobre 2013 précitée, et les fonctions occupées par les personnes mentionnées aux 3° à 7° de ce même article, avec lesquelles il est entré en communication ;

le sujet sur lequel porte ces actions et, le cas échéant, la décision publique spécifiquement visée ;

3° lorsque le représentant d’intérêts a effectué les actions pour le compte d’un tiers, l’identité de ce tiers ;

4° la date ou la période à laquelle cette action a été effectuée ;

5° les documents que le représentant d’intérêts a rendu publics.

Dans un délai de trois mois à compter de la clôture de son exercice comptable et au plus tard le 30 avril de chaque année, ce rapport est complété par le montant des dépenses consacrées aux actions de représentation d’intérêts pour l’année écoulée par le représentant d’intérêts, dans le cadre d’une liste de fourchettes établie par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, ainsi que, le cas échéant, le montant du chiffre d’affaires de l’année précédente liée à l’activité de représentation d’intérêts.

[le reste inchangé]

Les articles 2 et 4 à 13 n’appellent pas de remarques particulières de notre part.