Trois ans après les Panama papers: des progrès à l’horizon.
Ces dernières années, les lanceurs d’alerte et journalistes d’investigation ont largement contribué à faire progresser le démantèlement de réseaux de corruption et de finance offshore. L’enquête explosive menée par des journalistes d’investigation à travers le monde et connue sous le nom de « Panama Papers » a remporté le prix Pulitzer et a fêté il y a peu trois ans. Alors trois ans après, quel est le chemin parcouru ?
Article de Transparency International traduit de l’anglais par Lise Charron, traductrice professionnelle et bénévole au sein de Transparency France. Retrouver l’article source ici.
Vingt-trois pays ont déjà recouvré au moins 1,2 milliards de dollars américains en impôts, des chefs de gouvernement impliqués dans des affaires de corruption ou d’évasion fiscale ont démissionné ou sont poursuivis en justice et des enquêtes ont eu lieu dans au moins 82 pays. Mossack Fonseca, le cabinet d’avocats au cœur de l’affaire, a fermé et les Panama Papers ont suscité des débats de haut niveau et ont accéléré les réformes politiques dans le monde entier.
L’INDUSTRIE DU SECRET BANCAIRE
Au cœur de toute cette affaire se trouvait un cabinet d’avocats et prestataire de services généraux panaméen, Mossack Fonseca. Un lanceur d’alerte anonyme a divulgué des documents de l’entreprise au journal allemand Süddeutsche Zeitung. Pendant près d’un an, et en collaboration avec le Consortium international des journalistes d’investigation, le quotidien a analysé les documents communiqués. Un documentaire sur le sujet a vu le jour en 2018.
The Panama Papers (2018) Bande-annonce
En quarante ans d’existence, Mossack Fonseca a créé 214 000 sociétés fictives. Les documents révèlent que l’entreprise enregistrait la plupart de ces sociétés dans d’autres paradis fiscaux – principalement les Îles Vierges britanniques – rendant impossible l’identification de leurs véritables propriétaires dans les registres publics.
Ces sociétés offshore disposaient de comptes dans des banques européennes, une pratique fréquente dans l’industrie du secret bancaire, comme l’ont également révélé de récentes enquêtes journalistiques.
Pourquoi se donner tant de mal ? Les propriétaires de sociétés offshore répondent souvent qu’ils le font pour des raisons de confidentialité. Toutefois, comme nous l’ont montré les Panama Papers et des enquêtes ultérieures, ces structures parallèles servent trop souvent les intérêts de ceux qui souhaitent dissimuler des conflits d’intérêts, verser des pots-de-vin, éviter des sanctions, tromper les impôts ou blanchir de l’argent.
Derrière les sociétés fictives créées par Mossack Fonseca se cachaient au moins 140 personnalités politiques et responsables publics, notamment 12 chefs de gouvernement, certains retraités ou toujours en exercice au moment des faits. On trouve également sur les listes 33 individus ou entreprises qui avaient été placés sur liste noire et sanctionnés par le gouvernement des États-Unis pour blanchiment d’argent, trafic, terrorisme et fraude.
Les fondateurs de l’entreprise utilisaient une analogie pour justifier leur modèle d’entreprise : de la même manière qu’un fabricant automobile ne peut être tenu responsable si son produit est utilisé pour commettre un braquage, Mossack Fonseca n’était pas responsable des éventuels crimes commis par des particuliers ou des entreprises à qui ils procuraient des sociétés-écran.
Ce qui n’était pas entièrement vrai. Même si les sociétés offshore sont une activité légale, des emails faisant partie des documents divulgués qu’ont pu consulter les journalistes menant l’enquête montrent comment l’entreprise échangeait avec des criminels connus, antidatait des documents et dissimulait des preuves.
Une deuxième fuite de documents de Mossack Fonseca en août 2018 montre l’empressement de l’entreprise à masquer les violations de la réglementation sur la transparence de la propriété effective immédiatement après le scandale, notamment celle du président ukrainien Petro Poroshenko.
Bien que les enquêtes préliminaires menées sur Mossack Fonseca par les autorités panaméennes n’aient pas abouti, les deux fondateurs de l’entreprise ont été arrêtés en 2017 en lien avec le scandale de corruption de Lava Jato, dans le cadre d’une enquête conjointe avec les autorités brésiliennes. En décembre 2018, les autorités américaines ont également inculpé quatre anciens employés de l’entreprise.
Les banques européennes, qui géraient l’argent sale des sociétés créées par Mossack Fonseca, sont de plus en plus tenues responsables des violations des législations contre le blanchiment d’argent aux niveaux national et mondial. La plus grande banque d’Allemagne, la Deutsche Bank, qui hébergeait des comptes de sociétés fictives appartenant à l’ancien premier ministre du Pakistan Nawaz Sharif, inculpé pour corruption, et à sa fille, a été perquisitionnée en novembre 2018.
Traduction du tweet :
Il est exact que la police enquête actuellement dans plusieurs de nos locaux en Allemagne, en lien avec les Panama Papers. Nous communiquerons plus de détails dès qu’ils seront connus. Nous collaborons pleinement avec les autorités.
Le 27 mars 2019, des journalistes d’investigation ont allégué que Swedbank avait trompé les autorités américaines dans leur enquête concernant les Panama Papers, ce qui pourrait mener à de nouvelles investigations. La banque a fait l’objet de critiques après que des journalistes d’investigation suédois ont révélé qu’elle avait été en lien avec des clients suspects de la Danske Bank, contrairement à ce que les dirigeants de la banque avaient affirmé à plusieurs reprises.
Les développements en cours suggèrent que l’ampleur de tous les crimes commis reste encore à découvrir. Alors que des enquêtes concernant les Panama Papers suivent leur cours aux quatre coins du globe et que davantage d’autorités examinent les preuves contenues dans les documents divulgués, nous pouvons nous attendre à plus d’enquêtes, plus d’arrestations et plus de prise de responsabilité dans les années à venir.
CRÉATION DE NOUVELLES NORMES POUR LA TRANSPARENCE
Suite aux révélations des Panama Papers, 300 économistes de premier plan ont affirmé que les paradis fiscaux ne présentent aucun avantage économique réel et ont appelé à la transparence fiscale dans une lettre ouverte adressée aux gouvernements qui préparaient le Sommet anti-corruption à Londres en 2016.
À l’occasion du sommet, et sous l’effet du scandale, de nombreux engagements de haut niveau ont été formulés par plus de 40 pays, notamment concernant la transparence de la propriété effective, bien que certains pays se soient contentés de réitérer de précédents engagements annoncés lors d’autres forums internationaux comme le G20 ou le Groupe d’action financière. Trois ans plus tard, l’outil de suivi des engagements créé par Transparency International Royaume-Uni montre que plus de la moitié de ces engagements n’ont pas été tenus.
Un rapport du Reuters Institute for the Study of Journalism (Institut Reuters pour l’étude du journalisme) indique qu’« en mars 2019, 16 pays ou organismes internationaux avaient adopté au moins une réforme importante en lien avec les Panama Papers ». C’est peut-être une bonne nouvelle mais, malgré les révélations, les principaux acteurs gouvernementaux de l’industrie offshore – les territoires britanniques d’outre-mer, le Panama, les États-Unis, entre autres – doivent encore réformer leur système financier et éliminer les failles qui permettent les abus.
La fuite des documents a également permis de comprendre le rôle crucial des lanceurs d’alerte qui font éclater au grand jour des actes répréhensibles commis par des entreprises. En ce sens, le mardi 16 avril, les députés européens ont adopté une directive offrant une solide protection aux lanceurs d’alerte dans tous les pays membres de l’Union. Une première législation en la matière qui permet une harmonisation indispensable, alors que seuls dix pays s’étaient dotés d’un texte les protégeant.
Malgré ces victoires, le chemin est encore long avant d’obtenir la certitude que les gouvernements et les autorités internationales détectent et empêchent efficacement la corruption et la criminalité financière à l’échelle internationale. Les organisations de la société civile locales et internationales, comme Transparency International, aident à faire progresser des réformes qui sont indispensables.
Les citoyens de chaque pays jouent un rôle encore plus important car ils peuvent exiger des gouvernements qu’ils adoptent et fassent appliquer des lois qui pourraient empêcher que ce type d’abus ne se reproduise. Seul un large consensus dans nos sociétés pourra transformer ces efforts en de réels changements d’attitude et de comportement sur le long terme.
Au mois d’avril 2019, lanceurs d’alerte, journalistes d’investigation, chercheurs, universitaires et artistes se sont réunis à Berlin pour débattre des « paradis noirs/sombres » dans le système financier mondial.