A J-30 du premier tour de l’élection présidentielle, quels sont les engagements que prennent les candidats sur le terrain de la transparence et de l’éthique de la vie publique ?
A trente jours du premier tour de l’élection présidentielle et à trois mois des élections législatives, Transparency France dresse un premier bilan encourageant mais contrasté des engagements des candidats. Nous restons vigilants, convaincus que le débat doit se positionner sur le terrain des solutions pour sortir par le haut de cette crise de confiance et réoxygéner la démocratie.
VERT lorsque le candidat s’engage sur notre recommandation / ORANGE lorsqu’il s’y engage partiellement ou avec des réserves significatives / ROUGE en cas de désaccord ou d’absence de réponse.
ATTENTION : Document rectifié le 24 mars
François Fillon nous a adressé sa réponse après notre conférence de presse du 23 mars présentant les engagements des candidats. Vous trouverez la lettre de François Fillon ici.
Communiqué publié le le jeudi 23 mars 2017
10 candidats sur onze ont répondu
Nous avons interrogé tous les candidats à la présidentielle sur onze recommandations. Dix d’entre eux ont répondu : Nathalie Artaud, François Asselineau, Jacques Cheminade, Nicolas Dupont-Aignan, Benoit Hamon, Jean Lassalle, Marine Le Pen, Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon et Philippe Poutou. Malgré de multiples relances, nous déplorons que François Fillon n’ait pas donné suite à notre sollicitation. Transparency International lui demande de s’engager avant le premier tour.
Accords et désaccords
Le dialogue initié par Transparency International a amené les candidats à aborder de nouveaux sujets et à s’engager sur des questions peu ou pas présentes dans les programmes, comme la prévention de la corruption dans les collectivités territoriales, les vérifications fiscales des responsables publics avant leur nomination et le contrôle des comptes de campagne en période électorale.
Moyennant quelques nuances, certaines de nos recommandations font l’objet d’un quasi-consensus parmi les candidats, comme le casier judiciaire vierge pour les candidats à une élection, le contrôle des dépenses en période électorale ou la transparence de l’IRFM. D’autres sujets font davantage débat : sur la participation citoyenne, l’encadrement du lobbying, et surtout l’indépendance de la justice, les propositions des candidats s’écartent parfois sensiblement de nos préconisations et de la vision portée par Transparency International.
Si la majorité des Français expriment leur défiance vis-à-vis des responsables politiques, ils sont également plus exigeants et vigilants, ce qui est signe de vitalité de notre démocratie.
L’actualité récente n’est pas sans conséquence sur la perception de nos concitoyens et révèle une aggravation du climat de défiance. Selon un sondage Harris Interactive pour Transparency International et Tilder publié aujourd’hui, 57% des Français considèrent que les personnes ayant du pouvoir sont corrompues pour une grande partie d’entre elles, soit trois points de plus qu’en août dernier.
Cette campagne est marquée par un niveau d’exigence et de vigilance accru des citoyens : ce qui était accepté ou toléré avec résignation ou fatalisme il y a quelques années ne l’est plus aujourd’hui, ce qui est un signe de vitalité de l’engagement citoyen en France. Ils se sont emparés de sujets précis, comme les indemnités des parlementaires ou le financement des campagnes électorales, qui ont fait la une de l’actualité.
« L’exigence de transparence n’a jamais été aussi forte. Trois explications à cela : la crise économique et les efforts imposés à tous, la prise de conscience du retard de la France par rapport à nos voisins européens, et la mobilisation de la société civile », estime Daniel Lebègue, Président de Transparency France.
Transparency International poursuit son action en vue des législatives
A la suite de notre pétition pour un « parlement exemplaire », nous adresserons une contribution au groupe de travail créé par Claude Bartolone à l’Assemblée nationale et inviterons les candidats à s’engager en faveur d’une déontologie renforcée, d’une transparence de toutes les indemnités des parlementaires, et d’une clarification du statut des collaborateurs parlementaires.
Synthèse détaillée des engagements par recommandation
Financement de la vie politique
Notre recommandation : Instaurer une publication mensuelle des comptes des candidats et des partis politiques, en période de campagne, sur le site internet de la CNCCFP, et permettre aux citoyens de signaler à la Commission d’éventuelles incohérences.
Les réponses des candidats
Le contrôle des dépenses pendant les périodes électorales, et non plus uniquement a posteriori de l’élection, est une proposition forte de Transparency International, directement inspirée de scandales ayant défrayés l’actualité au cours des années passées. Bien que centrale pour le financement de la vie politique, cette question n’apparaissait dans le programme d’aucun candidat. Grâce au questionnaire adressé par Transparency International, l’ensemble des candidats nous ayant répondu se sont engagés à mettre en oeuvre cette mesure.
Dans son commentaire, Emmanuel Macron va plus loin en évoquant la possibilité d’un échange continu entre les candidats à l’élection présidentielle et les autorités de contrôle afin de sécuriser les choix de ces candidats sur la comptabilité de leur campagne, en proposant que la Commission Nationale des Comptes de Campagne et du Financement Politique (CNCCFP) délivre des rescrits. Quant à Benoit Hamon, il propose de conduire une réflexion sur la transparence du financement des primaires.
Certaines réponses soulèvent cependant des réserves techniques de faisabilité, qui complètent et enrichissent cette proposition sans en remettre en cause le principe général et l’objectif. Transparency International entend tenir compte de ces remarques pour nourrir son dialogue technique avec la CNCCFP.
Notre recommandation : prévoir la publication, dans un format ouvert et standardisé, des données sur les dépenses réalisées par les parlementaires avec leurs indemnités de représentation de frais de mandats (IRFM).
Les réponses des candidats
Tous les candidats qui nous ont répondu sont favorables à une plus grande transparence et/ou un plus grand contrôle des dépenses des parlementaires. Tout en partageant le même objectif, certains suggèrent des dispositifs différents. Ainsi, Marine Le Pen et Emmanuel Macron sont favorables à ce que le remboursement des frais soit soumis à la présentation de justificatifs. Pour Emmanuel Macron, cela passe par une fiscalisation de l’IRFM, intégrée à l’indemnité de l’élu.
A noter toutefois que Philippe Poutou, tout en soutenant notre proposition, se déclare favorable à la suppression pure et simple de l’IRFM, ce qui n’est pas une recommandation de Transparency International.
Intégrité des responsables publics
Notre recommandation : Soutenir la proposition de loi exigeant que les candidats aux élections produisent un extrait de casier de judiciaire (B2), et interdisant à un candidat de se présenter si une condamnation pour faits de corruption, atteinte à la probité ou infraction fiscale est inscrite à son casier judiciaire.
Les réponses des candidats
A l’exception de Nathalie Artaud, l’ensemble des candidats souscrit à cette proposition.
Notre recommandation : Vérifier la situation fiscale des ministres, hauts fonctionnaires et responsables publics nommés en Conseil des ministres préalablement à leur nomination. En pratique, la Haute Autorité (HATVP) remettrait un avis au Président et au Premier Ministre entre la décision et le décret de nomination officielle.
Les réponses des candidats
Cinq candidats s’engagent en faveur du principe de cette proposition. Certains ont toutefois soulevé des questions opérationnelles. Par exemple, François Asselineau évoque le besoin de renforcer les moyens de la HATVP sans que cela ne remette pas en cause le principe de notre proposition.
Toutefois, Marine Le Pen fait reposer cette vérification fiscale sur la création d’une « Haute autorité de la déontologie publique », dont les membres seraient désignés par les assemblées à une majorité qualifiée et comprenant un collège de citoyens tirés au sort. Madame Le Pen nous ayant transmis ses réponses tardivement, nous n’avons pas pu engager de dialogue avec elle pour approfondir sa réponse. A cet égard, Transparency International tient à rappeler son attachement à la HATVP, autorité indépendante créée en 2013 et composée de magistrats, qui constitue une avancée importante pour la transparence de la vie publique.
Quant à Emmanuel Macron, il se positionne en faveur d’une vérification fiscale immédiatement après la nomination et non en amont, invoquant des contraintes de délais pour une procédure contradictoire. Dans notre rendez-vous avec son équipe de campagne, nous avions entendu cet argument de faisabilité, et évoqué avec lui la possibilité de distinguer la situation des hauts fonctionnaires et des ministres ; cette solution n’a pas été retenue par le candidat in fine.
Renouvellement de la classe politique
Notre recommandation : faire pleinement appliquer, dès 2017, la loi sur le non-cumul entre un mandat national et un mandat exécutif local.
Les réponses des candidats
Sept candidats sur les neuf qui nous ont répondu sont favorables à maintenir et appliquer pleinement la loi sur le non-cumul des mandats. Certains candidats ont toutefois soulevé la nécessité d’accompagner cette mesure d’une réforme du statut de l’élu. C’est le cas de Jacques Cheminade, ainsi que de Benoit Hamon.
Toutefois, Nathalie Artaud ne se prononce pas sur ce principe démocratique, arguant du fait que son parti n’a pas d’élus, et Marine Le Pen souhaite conserver la possibilité pour les sénateurs de cumuler avec un mandat local.
Notre recommandation : Limiter à trois le nombre de mandats identiques successifs, pour tout mandat national ou local.
Les réponses des candidats
Les candidats engagés pour une stricte application du non-cumul des mandats se sont également engagés en faveur d’un non-cumul dans le temps. Jean Lassalle et Marine Le Pen y sont toutefois défavorables, et Nathalie Artaud ne souhaite pas s’engager. A noter que François Asselineau et Nicolas Dupont-Aignan proposent d’emblée une limitation à deux mandats successifs, tandis que Jean-Luc Mélenchon renvoie à une Assemblée constituante le soin de fixer le nombre précis de mandats successifs.
A noter que la loi sur le non-cumul entre un mandat parlementaire et une fonction exécutive locale ainsi que la proposition sur le non-cumul dans le temps ont été considérées comme des priorités par les français que nous avons interrogés lors d’un sondage en octobre 2016. Ces mesures permettraient de redonner un nouveau souffle pour la démocratie, limiter les conflits d’intérêts, diversifier la vie politique, et rendre les parlementaires disponibles pour exercer leur mandat dans de meilleures conditions.
Encadrement du lobbying
Notre recommandation : s’assurer de l’inscription au registre des représentants d’intérêts de tous les acteurs publics et privés qui exercent une action d’influence, y compris les organisations représentatives de salariés ou d’employeurs, les associations d’élus et les organisations cultuelles.
Les réponses des candidats
Bien que le sujet soit au coeur de l’actualité, avec la publication imminente des décrets d’application de la loi Sapin 2, le registre des représentants d’intérêts n’apparaissait pas spontanément dans les programmes des candidats, y compris lorsque ceux-ci prenaient des positions sur le lobbying. En incitant les candidats à prendre position sur ce point, Transparency France a donc permis d’enrichir leurs programmes.
Toutefois, nous notons que certains candidats souhaitent « interdire le lobbying » au Parlement. C’est le cas de Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon et Philippe Poutou. Cette proposition s’éloigne de la vision portée par Transparency International, et c’est pourquoi nous avons décidé d’appliquer le code couleur orange : nous considérons que l’activité des représentants d’intérêts, qui constitue un rouage de la démocratie, n’est pas condamnable en soi dès lors qu’elle est réalisée de manière éthique, transparente et régulée. Nous considérons également que la représentation d’intérêts ne se réduit pas au lobbying des entreprises : la société civile, les associations d’élus, les syndicats ou encore les associations cultuelles sont, elles aussi, des représentants d’intérêts.
M. Mélenchon nous a répondu suffisamment tôt pour qu’un dialogue s’engage avec son équipe de campagne afin de clarifier sa position. A l’issue de ce dialogue, le candidat s’est engagé clairement sur notre proposition d’élargir le champ du registre des représentants d’intérêts, sans renoncer à sa proposition d’interdire la présence des lobbyistes au sein du Parlement. Ce dialogue n’a pas pu avoir lieu avec Madame Le Pen et Philippe Poutou, faute de temps, de sorte que nous ne pouvons pas lever l’ambiguïté de leurs réponses.
A noter que Benoit Hamon s’est engagé à publier les noms des lobbyistes qu’il aura rencontrés au cours de la campagne présidentielle. Cette mesure n’a pas encore été suivie d’effet, mais le candidat s’est engagé par courrier à nous fournir des informations complémentaires sur les modalités de cet engagement spontané, suite au dialogue que nous avons engagé avec lui.
Indépendance de la justice
Notre recommandation : assurer l’indépendance des magistrats du Parquet, en alignant leurs conditions de nomination sur celles des magistrats du siège et en dotant le Conseil Supérieur de la Magistrature de pouvoirs plus importants en matière de nomination des magistrats et de gestion de leur carrière.
Les réponses des candidats
Cette proposition portée par Transparency International France depuis de nombreuses années a reçu des réponses hétérogènes, s’inscrivant parfois dans le cadre d’un débat institutionnel plus large. Seuls François Asselineau, Jacques Cheminade, Benoit Hamon, Jean Lassalle, et Emmanuel Macron s’engagent clairement sur la réforme préconisée par Transparency.
Marine Le Pen insiste sur la politisation des magistrats et propose la suppression de l’Ecole Nationale de la Magistrature. Ses réponses ne permettent pas de conclure à un engagement ferme de sa part sur la réforme du CSM et l’indépendance des magistrats du Parquet. Jean-Luc Mélenchon propose de placer l’autorité judiciaire sous le contrôle du pouvoir législatif. Quant à Nicolas Dupont-Aignan, il propose de placer les magistrats du parquet sous la direction d’un procureur départemental. Ces trois propositions diffèrent de la vision portée par Transparency International.
Participation citoyenne
Notre recommandation : Instaurer un droit de pétition national pour permettre aux citoyens d’inscrire des questions ou des propositions à l’ordre du jour des Assemblées parlementaires, sur toute matière d’intérêt général entrant dans le champ de compétence des Assemblées, s’ils recueillent 350 000 signatures (soit 0,5% de la population). Les conditions de recevabilité devront être clairement définies, pour éviter de perturber le travail du Parlement tout en assurant un processus transparent.
Les réponses des candidats
Nous avons fait le choix d’apposer la couleur orange à François Asselineau, Jacques Cheminade, Nicolas Dupont-Aignan et Marine Le Pen, qui se prononcent avant tout en faveur de la mise en place de référendums d’initiative populaire. Pour Transparency International, les citoyens doivent devenir moteurs de la décision publique selon des modalités qui ne perturbent pas le fonctionnement du Parlement, ce qui ne saurait se réduire à la convocation ponctuelle de référendums. Nous ne pouvons donc pas considérer que ces candidats s’engagent sur notre proposition.
Benoit Hamon, Jean Lassalle, Jean-Luc Mélenchon et Philippe Poutou se disent explicitement favorables à la « possibilité pour 450 000 citoyens d’imposer au Parlement l’examen d’une proposition de la loi » (Benoît Hamon) et au « droit des citoyens de proposer une loi » (Jean-Luc Mélenchon), des formulations plus proches de notre recommandation. Toutefois, tous trois complètent eux aussi leur proposition d’une solution référendaire.
Seul Emmanuel Macron affirme explicitement son désaccord avec notre proposition, soulignant les difficultés opérationnelles que pose selon lui notre proposition et considérant que l’enjeu est de renforcer la représentativité des élus. In fine, aucun candidat n’a repris notre proposition en l’état.
Notre recommandation : promouvoir la consultation en ligne des citoyens et des parties prenantes sur les projets et propositions de loi, préalablement à leur examen par le Parlement, en créant une plateforme permettant aux acteurs concernés de soumettre directement leurs propositions d’amendements ou d’articles, et en garantissant un dépouillement transparent et public des contributions.
Les réponses des candidats
Nicolas Dupont-Aignan, Benoit Hamon, Jean Lassalle, Emmanuel Macron et Philippe Poutou s’engagent clairement en faveur de notre proposition, citant dans leurs réponses l’exemple de la loi République Numérique. François Asselineau propose que ces contributions puissent être effectuées sur une chaîne de télévision publique. Jean-Luc Mélenchon n’a « pas de position tranchée », soulignant la nécessité d’étudier les biais pouvant accompagner ces consultations. Marine Le Pen, tout en s’engageant sur notre proposition, évoque le référendum dans un commentaire additionnel ; le référendum est sans rapport avec l’esprit de notre proposition.
Prévention de la corruption dans les collectivités locales
Notre recommandation : inciter les grandes collectivités territoriales à mettre en oeuvre un véritable plan anti-corruption pour prévenir au mieux les risques, s’inspirant des dispositions prévues pour les entreprises dans le projet de loi Sapin II et prévoyant notamment l’adoption d’un code de conduite, un dispositif d’alerte interne, une cartographie des risques, des formations, des procédures d’évaluation et de contrôles internes ou externes, ainsi qu’un régime disciplinaire de sanction.
Pour Transparency International France, la prévention de la corruption dans les collectivités territoriales est un sujet majeur, qui n’apparaissait pas spontanément dans les programmes des candidats. Notre questionnaire a été l’occasion de les sensibiliser à cette question : tous les candidats qui nous ont répondu se sont engagés à mettre en place un tel dispositif.
Marine Le Pen renvoie à nouveau toutefois à la création de la Haute Autorité de la déontologie (voir proposition n°3) pour les parlementaires et les ministres dont le champ d‘action serait étendu aux exécutifs locaux.