Chaque année, Transparency International France dresse un état des lieux des avancées et des manquements en matière de transparence et d’éthique de la vie publique.
Au moment de la campagne pour l’élection présidentielle en 2017, notre ONG avait demandé aux candidats de s’engager sur onze recommandations prioritaires. De même, nous avons demandé aux candidats aux législatives de s’engager en faveur de six recommandations pour un Parlement exemplaire. Emmanuel Macron, ainsi que le parti La République En Marche, avaient ainsi repris à leur compte la majorité de nos recommandations. Qu’en est-il aujourd’hui ? Ces engagements ont-ils été mis en oeuvre ?
Transparency International France utilise un système d’appréciation des réformes à quatre niveaux :
Réforme réalisée
En cours ou mise en oeuvre partielle
En attente
Recul ou renoncement
- Financement de la vie politique
- Indépendance de la justice
- Renouvellement de la classe politique
- Prévention de la corruption dans les collectivités locales
- Encadrement du lobbying
- Intégrité des responsables publics
- Participation citoyenne
Mieux contrôler les dépenses des candidats et partis politiques en période de campagne présidentielle
Cette recommandation n’est pas encore à l’agenda et Transparency France déplore l’absence de propositions de réformes.
Les modalités de suivi et de contrôle des comptes de campagne et des comptes des partis doivent être réformés en profondeur. En juin 2018, Transparency a interpellé par courrier le Président de la République, le Premier ministre et le Ministre de l’Intérieur. Première des élections par sa nature et sa finalité, l’élection présidentielle se doit d’être irréprochable et au-dessus de tout soupçon. > En savoir plus.
Faire la transparence sur les frais de mandat des parlementaires
Le principe du contrôle des frais de mandat des parlementaires a été acté en septembre 2017 avec la loi pour la confiance dans la vie publique. Si les choses avancent, elles progressent trop lentement : un an et demi après, les premiers contrôles viennent tout juste de commencer. La transparence n’est, quant à elle, pas encore à l’agenda. Les neuf recommandations que nous avions formulées en décembre 2017 sont encore toutes d’actualité. Transparency France appelle le Parlement à accélérer les réformes et à ne pas rester au milieu du gué, et a écrit au Président de l’Assemblée nationale en ce sens en décembre 2017. > En savoir plus
Améliorer la transparence et le contrôle des comptes du Parlement
La réserve parlementaire a été supprimée par la loi pour la confiance dans la vie politique, promulguée en septembre 2017, et remplacée par un dispositif qui doit encore être évalué. Nos autres recommandations (transparence des comptes des groupes parlementaires, contrôle des comptes indépendants) ne sont pas encore à l’agenda du Parlement. Cependant, une réforme du règlement de l’Assemblée nationale est attendue pour le mois de mai 2019. Transparency France y sera très attentif. Retrouvez nos recommandations pour un Parlement exemplaire.
Garantir l’indépendance des magistrats du Parquet à l’égard du pouvoir exécutif
Transparency France déplore la stagnation du projet de loi constitutionnelle. Ce projet de loi aligne les modalités de nomination des magistrats du Parquet avec celles des magistrats du Siège. L’examen du texte a commencé en juillet, mais a depuis été interrompu sans calendrier clair pour la reprise des débats. Au-delà de la question constitutionnelle, la tendance consistant à opérer des transferts d’autorité du parquet vers le juge administratif (notamment dans la loi dite « anti-casseurs »), par nature non indépendant, ne vont pas dans le sens d’une plus grande indépendance de la justice.
Transparency s’est toutefois félicité de la remise en cause du verrou de Bercy, dans le cadre de la loi contre la fraude fiscale. (En savoir plus )
Par ailleurs, Transparency International France suit très attentivement les moyens alloués à la justice, condition nécessaire de son indépendance. Aujourd’hui, cette bataille des moyens est devant nous, comme l’ont récemment rappelé un référé de la Cour des comptes, daté de décembre 2018 et s’alarmant du manque criant des moyens consacrés à la lutte contre la délinquance économique et financière, et un rapport du Conseil de l’Europe d’octobre 2018 qui pointait le manque d’investissements dans la justice.
En savoir plus sur notre position relative à l’indépendance de la justice.
Le renouvellement de la classe politique était un engagement de campagne d’Emmanuel Macron. La loi sur le non-cumul des mandats introduites durant le quinquennat précédent a permis le renouvellement d’une partie de la classe politique. Cependant, force est de constater que le compte n’y est pas en ce qui concerne le non-cumul dans le temps. Pourtant, ces sujets sont plébiscités par les Français et reviennent bien souvent dans les contributions au grand débat national.
Respecter la loi sur le non-cumul des mandats
La loi sur le non-cumul des mandats n’a pas été remise en cause, malgré les craintes que l’on pouvait avoir en amont de la campagne présidentielle, et s’applique désormais pleinement. Avancée majeure de ces dernières années, elle a contribué grandement au renouvellement des assemblées parlementaires. Les tentatives de remise en cause (exemple : proposition de loi revenant sur le non-cumul pour les maires de communes de moins de 25 000 habitants déposée à l’Assemblée nationale en janvier 2019) ont peu de chances d’aboutir, mais montrent la fragilité de l’équilibre.
Limiter à trois le nombre de mandats successifs (non-cumul dans le temps)
Des projets de lois ont été déposés par le gouvernement en mai 2018, prévoyant de limiter les mandats dans le temps, mais le dispositif proposé est pour le moment insatisfaisant. En l’état, si le texte n’évolue pas, l’application serait trop tardive et ne serait pleinement effective qu’en 2032 : en effet, le décompte du nombre de mandats successifs ne commencerait qu’à compter des mandats en cours. Un élu comptant déjà à son actif trois, quatre ou cinq mandats pourra encore briguer deux mandats supplémentaires. Par ailleurs, le dispositif exclut la plupart des maires : seuls les maires des communes de plus de 9000 habitants sont concernés… soit 3% d’entre eux.
Inciter les grandes collectivités à se doter d’un plan de prévention de la corruption
Cette recommandation, sur laquelle s’est engagé Emmanuel Macron en 2017, est en cours d’application. Ainsi, parmi les collectivités ayant répondu à la dernière enquête de l’AFA, 84,6% des régions ont mis en œuvre des procédures anti-corruption. Cette proportion s’élève à 39,6% pour les départements et 29,7% pour les communes de plus de 80 000 habitants.
Il s’agit donc de progrès que nous saluons. Nous restons néanmoins vigilants et nous accompagnons les collectivités via notre Forum des Collectivités Engagées pour que les plans de prévention de la corruption se diffusent davantage dans les départements et les grandes communes, et pour qu’ils appliquent bien l’ensemble de nos recommandations.
La démission de Nicolas Hulot en septembre 2018 a remis au centre du débat la question de la régulation du lobbying. Les citoyens appellent à plus de transparence, en témoigne la mobilisation de la société civile lors du vote au Parlement européen sur la transparence des agendas des eurodéputés.
Transparency France et WWF France lanceront en septembre une campagne sur l’encadrement du lobbying, avec deux recommandations clés : promouvoir la transparence des agendas des élus et réviser le décret d’application de la loi Sapin 2, afin que le registre des représentants d’intérêts soit réellement utile. En effet, le registre de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique n’informe pas sur les positions défendues par les représentants d’intérêt, ni sur les lois et les acteurs précis influencés. La transparence de ces informations est absolument nécessaire : sans elles, impossible de connaître l’empreinte laissée par les lobbies dans nos lois. De plus, le registre n’est mis à jour qu’une fois par an : c’est trop peu et cela ne permet pas de mesurer l’impact des lobbies sur les lois en temps réel.
Veiller à l’inscription au registre des représentants d’intérêts tous les acteurs publics et privés qui exercent une action d’influence
Tout comme l’an dernier, Transparency France dénonce un renoncement à un des engagements de campagne d’Emmanuel Macron. Au printemps 2018, le projet de loi « pour un Etat au service d’une société de confiance » a exclu les représentants des associations cultuelles du registre des représentants d’intérêts, à l’issue d’un débat parlementaire houleux et serré. Cette décision va à rebours des engagements de campagne d’Emmanuel Macron, et la situation est toujours bloquée.
Dans un contexte de défiance généralisée vis-à-vis du monde politique et des hauts-fonctionnaires, l’intégrité des responsables publics est absolument essentielle et fait partie des revendications phares au grand débat.
Demander un casier judiciaire (B2) vierge pour tout candidat à une élection au suffrage universel
Lors des débats autour de la loi pour la confiance dans la vie politique, les parlementaires et le gouvernement ont renoncé à mettre en œuvre cet engagement de campagne d’Emmanuel Macron. A défaut de casier vierge, ils ont en revanche étendu le champ de l’inéligibilité de plein droit (approfondissement des dispositions introduites par la loi Sapin 2 de décembre 2016). Si les deux mesures répondent effectivement au même objectif, elles n’ont pas les mêmes effets : grâce au projet de cartographie de la corruption, Transparency International France a pu identifier plusieurs cas de condamnations pour corruption prononcées après la promulgation de la loi sans que l’inéligibilité ne s’applique pour autant. Ces personnes condamnées pourront donc se présenter librement aux prochaines élections locales si elles le souhaitent. Il ressort du grand débat qu’une telle mesure est pourtant plébiscitée par nombre de citoyens.
Mieux encadrer les conflits d’intérêts des parlementaires
Certaines de nos recommandations sont en cours de mise en œuvre. En particulier, la loi pour la confiance dans la vie politique oblige les assemblées parlementaires à se doter d’un registre des déports pour recenser les cas où les parlementaires en situation de conflits d’intérêts renoncent à participer à un vote. Le registre des déports doit encore faire la preuve de son efficacité au Sénat, et devrait être à l’ordre du jour de la réforme du règlement de l’Assemblée nationale prévue en mai 2019. Si les contours de cette réforme sont encore à définir, le rapport de la déontologue de l’Assemblée nationale esquisse une réflexion plus large sur la déclaration orale des intérêts en amont d’un texte – ce qui était l’objet d’une recommandation importante du rapport « Pour un Parlement Exemplaire » de Transparency en mai dernier.
La loi pour la confiance dans la vie politique renforce par ailleurs l’encadrement des activités annexes des parlementaires. > En savoir plus
Mais d’autres réformes ne sont toujours pas à l’agenda : plafonnement des revenus annexes des parlementaires, transparence des clubs parlementaires, transparence des agendas des parlementaires, publication des déclarations de patrimoine des parlementaires, meilleure régulation du lobbying (transparence sur l’empreinte normative). Transparency France sera très attentif à la réforme du règlement de l’Assemblée nationale de mai 2019. > En savoir plus
Par ailleurs, les obligations déclaratives des parlementaires auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique doivent être mieux appliquées, comme nous l’avons signalé via notre outil Integrity Watch > En savoir plus
Interdire aux parlementaires d’embaucher leurs proches comme collaborateurs
La loi pour la confiance dans la vie politique de septembre 2017 interdit aux parlementaires d’embaucher leurs enfants ou leurs conjoints. > En savoir plus
Élaborer un véritable statut des collaborateurs parlementaires
L’Assemblée nationale et le Sénat ne se sont toujours pas dotés d’un véritable statut pour les collaborateurs parlementaires. Transparency France salue toutefois des progrès en la matière : tout n’est pas réglé, mais la réflexion sur le code de déontologie est bien avancée et devrait aboutir rapidement.
Renforcer le rôle et les pouvoirs du déontologue au sein du Parlement
La loi pour la confiance dans la vie politique a renforcé les pouvoirs des organes déontologiques au sein du Parlement. Signe de la montée en puissance de la déontologie parlementaire, la déontologue de l’Assemblée nationale indique dans son rapport qu’elle a été consultée plus de 220 fois par des députés et des collaborateurs parlementaires pour des questions relatives aux conflits d’intérêts. A ce stade, Transparency reste néanmoins vigilant sur les moyens qui lui seront alloués, notant qu’elle demande plus de moyens pour mener à bien ses missions de contrôle.
Dans les deux chambres, plusieurs recommandations sont encore attendues : avis préalables du déontologue dans les situations susceptibles d’entraîner un conflit d’intérêt, publication d’une liste anonymisée des recommandations de sanctions transmises par l’organe de déontologie au Bureau de chaque assemblée. Au Sénat, nous déplorons l’absence de déontologue indépendant.
La réforme du règlement de l’Assemblée nationale, prévue pour le mois de mai 2019, devra être l’occasion d’approfondir la déontologie au Parlement.
Valider la situation fiscale des parlementaires, ministres et personnalités nommées en Conseil des Ministres
La loi rétablissant la confiance dans l’action politique prévoit une attestation de conformité fiscale pour les parlementaires. L’extension de cette disposition aux personnes nommées en conseil des ministres n’a pas intégrée au projet de loi. Le futur projet de loi de réforme de la fonction publique pourra être un support législatif afin d’avancer sur les procédures de vérifications fiscales préalables pour les personnalités nommées en conseil des ministres.
Favoriser la consultation en ligne des citoyens en amont de la loi
Des consultations ont été organisées ou sont en cours sur certains projets de loi, ainsi qu’à l’Assemblée nationale. Pour autant, d’autres textes ou réformes n’ont fait l’objet d’aucune consultation particulière. De manière générale, les pratiques sont encore hétérogènes : les plateformes utilisées ne sont pas toujours en format ouvert, et les critères de traitement des contributions ne sont pas toujours parfaitement transparents, contrairement aux recommandations de Transparency International. Par ailleurs, les délais des débats parlementaires, souvent très serrés, n’offrent pas les conditions nécessaires à un dialogue serein et constructif avec la société civile : par exemple, il s’est écoulé moins de deux mois entre la présentation du projet de loi rétablissant la confiance dans la vie publique et son adoption finale par l’Assemblée nationale en plein mois d’août.
Le début d’année 2019 aura été marquée par l’exercice du Grand débat national. Transparency France a alerté le Collège des garants pour demander que les contributions soient téléchargeables en open data et que le code source de la plateforme du grand débat soit rendu public. Les modalités de restitution, encore floues à ce stade, sont un point de vigilance important.
Instaurer un droit de pétition nationale
Si certains élus, notamment parlementaires, ont fait part de leur intérêt pour cette mesure, celle-ci n’a pas encore été incluse dans les propositions de réformes constitutionnelles. Le gouvernement ne souhaite pas inclure ce projet dans de potentielles réformes constitutionnelles.
Etat des lieux 2017 - 2018
Un an après le premier tour des élections, Transparency International France avait publié un premier état des lieux des avancées et des manquements en matière d’éthique et de transparence de la vie publique. L’ONG constatait que les mesures adoptées n’étaient pas suffisantes et appelait le gouvernement à replacer ces questions en haut de l’agenda politique.