Affaires Nestlé Waters/ LVHM – Quand la connexité étend le champ d’application de la Convention Judiciaire d’Intérêt Public à des infractions sans lien avec les atteintes à la probité ou le code de l’environnement : le risque de non acceptabilité

Le 9 septembre 2024, le Parquet d’Epinal a conclu une convention d’intérêt public environnementale (CJIPE) avec la société Nestlé Waters Supply Est SAS comme la loi du 24 décembre 2020 relative au parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée[1] le permet.

En l’espèce, les services d’enquête de l’Office français de la biodiversité (OFB) étaient saisis par le parquet d’Epinal d’une enquête sur les activités de forage de Nestlé, à la suite de la plainte d’un collectif d’associations (France Nature Environnement, Lorraine Nature Environnement, Vosges Nature Environnement, Association de Sauvegarde des Vallées et de Prévention des Pollutions et UFC Que Choisir Vosges). L’enquête démontrait que neuf forages de la société Nestlé Waters n’avaient pas obtenu d’autorisation préalable comme l’impose le code de l’environnement pendant la période comprise entre janvier 1992 et septembre 2019[2] (date à partir de laquelle Nestlé Waters a régularisé ces forages à la suite de l’enquête). Cependant, l’enquête n’établissait pas de lien clair entre la situation administrative illicite des forages incriminés et un dommage environnemental, bien que les données recueillies aient fait état de perturbations des cycles hydrologiques avec des pertes de biodiversité. Ces faits étaient susceptibles de recevoir les qualifications pénales des articles L 171-1, L173-2, L173-8 etc… code de l’environnement[3].

En 2020, une autre enquête était ouverte par le Service national d’enquête (SNE) de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) pour une période allant de 2016 à 2022 (en raison des délais de prescription). Il était constaté que la société avait utilisé des traitements pour la production de ces eaux qui n’étaient pas autorisés par la règlementation pour les eaux minérales naturelles. Ces faits étaient qualifiés de tromperie au regard de l’article L. 441-1 du Code de la consommation qui dispose : « Il est interdit pour toute personne, partie ou non au contrat, de tromper ou tenter de tromper le contractant, par quelque moyen ou procédé que ce soit, même par l’intermédiaire d’un tiers :

  • 1. Soit sur la nature, l’espèce, l’origine, les qualités substantielles, la composition ou la teneur en principes utiles de toutes marchandises ;
  • 2. Soit sur la quantité des choses livrées ou sur leur identité par la livraison d’une marchandise autre que la chose déterminée qui a fait l’objet du contrat ;
  • 3. Soit sur l’aptitude à l’emploi, les risques inhérents à l’utilisation du produit, les contrôles effectués, les modes d’emploi ou les précautions à prendre.

Les dispositions du présent article sont également applicables aux prestations de services. »

Le Parquet d’Epinal a considéré que les faits susceptibles de recevoir la qualification de tromperie pouvaient être considérés comme connexes à ceux poursuivis sous le visa des articles du code de l’environnement et en conséquence, être traités dans le cadre de la convention judiciaire d’intérêt public environnementale[4] .

Transparency International France avait déjà déploré l’extension de la CJIP à des faits sans lien avec les infractions d’atteinte à la probité lors de la CJIP conclue avec LVMH, par le biais de la connexité.

« Créée par la loi Sapin II pour doter la justice française d’un outil répressif supplémentaire et lutter efficacement contre la corruption transnationale, dans un contexte juridique international largement dominé par des dispositifs anglosaxons extra territoriaux, la CJIP repose sur un équilibre qu’il convient de préserver, sauf à en dévoyer le sens et à instaurer de manière rampante une dépénalisation de la corruption 

En proposant à LVMH une CJIP englobant deux affaires portant sur des infractions distinctes, l’une portant sur l’espionnage de la vie professionnelle et personnelle du journaliste François Rufin, l’autre sur la surveillance de dirigeants du groupe de luxe concurrent Hermès, la justice a permis à LVMH de bénéficier d’un accord pour des faits qui ne rentrent pas dans le champ de la CJIP…Transparency France voit dans ce dossier un très préjudiciable coup porté à cet outil essentiel de la lutte contre la corruption et rappelle le délicat équilibre qui doit présider à cet outil. » [5]

Aujourd’hui la CJIP Nestlé Waters conclue le 9 septembre 2024 donne un autre exemple de l’utilisation de la connexité, permettant d’inclure dans le périmètre de la transaction des faits de tromperie, infraction au code de la consommation[6] qui ne sont pas prévues comme entrant dans le périmètre de la CJIP en qualité d’infraction principale.

Transparency international France rappelle que le mécanisme de la CJIP ne permet pas un débat contradictoire sur la connexité, laissé à la négociation entre le Parquet et l’entreprise elle-même, celle-ci ayant intérêt à épuiser l’ensemble de son contentieux. En outre, les victimes ne participent pas au débat sur la manifestation de la vérité, contrairement au procès pénal. L’entreprise échappe enfin à la sanction pénale, la décision prononcée équivalant à la dépénalisation des faits poursuivis.

Aussi, toute extension du périmètre de la CJIP doit être utilisée avec prudence afin qu’elle reste un mécanisme dérogatoire au droit commun, pleinement justifié par un intérêt public qui ne saurait se confondre avec la seule bonne administration de la justice.

Il en va de son acceptabilité, non seulement pour les victimes mais plus largement pour le citoyen et les organisations de la société civile, qui portent le combat contre les infractions poursuivies.

Il est essentiel qu’en matière environnementale, à l’instar du Parquet National Financier, les autorités de poursuite se dotent de lignes directrices claires afin que les conditions d’ouverture de la CJPE et le calcul du montant des amendes puissent être rendus publics et compris de tous.


[1] LOI n° 2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée (1)

[2] En raison des délais de prescription, la période retenue a été celle s’étalant de 2013 à 2019.

[3] https://www.justice.gouv.fr/sites/default/files/2024-09/CJIPE_Nestle_Waters_20240902.pdf

[4]  l’article 41-1-3 du code de procédure pénale  du code de l’environnement dispose : « Tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement, le procureur de la République peut proposer à une personne morale mise en cause pour un ou plusieurs délits prévus par le code de l’environnement ainsi que pour des infractions connexes, à l’exclusion des crimes et délits contre les personnes prévus au livre II du code pénal, de conclure une convention judiciaire d’intérêt public »

[5] Le dévoiement de la CJIP dans « l’affaire LVMH/ Squarcini » ne doit pas condamner cet outil essentiel à la lutte contre la corruption, 2 juin 2022.

[6] Ce délit est sanctionné par les articles L.454-1 et L.454-5 du Code de la consommation ainsi que par l’article 131-38 du Code pénal.

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