Le 17 juin 2025, la commission du Club des juristes a publié ses travaux afin de « promouvoir les enquêtes internes en France ». Transparency International France alerte sur une enquête interne qui ne garantie pas l’indépendance et l’impartialité des investigations menées au détriment du lanceur d’alerte
L’enquête interne est une pratique déjà connue par le droit pénal du travail mais récente s’agissant des faits d’atteinte à la probité, notamment en raison du développement de la convention judiciaire d’intérêt public. Même si le statut donné au lanceur d’alerte par la loi Sapin II, enrichi par la loi Waserman du 21 mars 2022, a imposé une obligation de diligenter une enquête à la suite du signalement et a renforcé les garanties données à ce dernier, ajoutant un cadre juridique obligatoire à l’exercice[1], il n’existe pas à ce jour un corpus complet venant réglementer la procédure d’enquête interne.
Sensible aux enjeux de détection des atteintes à la probité, Transparency International France entend s’assurer que les lanceurs d’alerte puissent s’exprimer devant des enquêteurs indépendants et impartiaux, et que la détection des atteintes à la probité ne soit pas obérée par la mise en œuvre de pratiques couvertes par le secret professionnel. Dans cet objectif, elle a fait valoir ses positions[2] à la commission d’enquête.
Les recommandations du rapport publié le 17 juin 2025 ne vont pas dans ce sens et sont de nature à susciter les plus vives inquiétudes.
La réflexion du Club des juristes a d’abord porté sur la nécessité ou pas d’encadrer par la loi la procédure d’enquête interne. La commission d’enquête a choisi de maintenir un droit souple, de promouvoir les bonnes pratiques afin de s’adapter à la culture des organisations, aux différents types d’enquêtes, qu’il s’agisse du droit du travail ou de faits d’atteintes à la probité, notamment dans le cadre de la coopération attendue dans le processus de la justice négociée. Toutefois, dans le cadre d’une enquête interne diligentée en parallèle d’une enquête pénale, le rapport préconise une intervention du législateur, reprenant la proposition de loi déposée par le député Marleix déposée le 29 octobre 2024[3].
Plus inquiétantes sont les dispositions qui réaffirment le principe du secret professionnel attaché à l’enquête interne, en relation avec la loi du 22 décembre 2021[4] créant un nouveau secret du conseil se rapportant à l’exercice des droits de la défense[5]. Il en résulterait que le rapport d’enquête interne deviendrait insaisissable dans les conditions de droit commun par les autorités de poursuite, contrairement à la position prise par l’AFA et le PNF en 2023[6], ce qui est de nature à compliquer la détection et la poursuite des faits de corruption. Cette position est largement contestable notamment au regard de la définition de l’enquête interne qui présenterait une double nature, factuelle pour établir la réalité des faits mais aussi acte de défense dans ses recommandations. Enfin, l’’enquête interne menée par les avocats est présentée comme permettant d’établir les faits mais aussi d’assurer la défense des intérêts de l’entreprise qui les mandate. Il en résulte que l’avocat qui mène
l’enquête interne pourrait aussi assurer la défense de l’entreprise[1]. Cette proposition choque. Elle est contraire aux dispositions du décret en date du 3 octobre 2022[2] qui prévoit dans son article 5 que la procédure d’enquête garantit l’exercice impartial des missions menées par les enquêteurs.
On voit mal dans ces conditions comment un lanceur d’alerte pourrait puiser dans ce dispositif la confiance nécessaire pour évoquer les faits dont il aurait connaissance puisque l’avocat qui l’auditionne est celui de l’entreprise et que ce dernier pourra aussi assurer la défense de l’entreprise dans le cadre d’un éventuel contentieux, sans méconnaître le principe d’impartialité.
A la veille de la journée mondiale des lanceurs d’alerte, Transparency International France rappelle que partout où les lanceurs d’alerte sont menacés, l’Etat de droit recule. Plus que jamais, nous avons besoin de lanceurs d’alerte qui ont la liberté de dénoncer des faits de nature à constituer des infractions et nous attendons des organisations la mise en œuvre de dispositifs d’alerte robustes et des modalités d’enquête qui permettent à tout citoyen de s’exprimer sans crainte ni représailles sur les faits dont ils sont les témoins. Ces recommandations ne vont manifestement pas dans ce sens.
Laurence Fabre, responsable du programme secteur privé
- Position de Transparency International
- Rapport du club des juristes : « Promouvoir les enquêtes internes en France »
[1] https://think-tank.leclubdesjuristes.com/wp-content/uploads/2025/06/ENQUETES_INTERNES-CDJpdf-1.pdf, proposition 7
[2] https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000046357368
[1] LOI n° 2022-401 du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte – Dossiers législatifs – Légifrance (legifrance.gouv.fr)
[2] https://transparency-france.org/wp-content/uploads/2024/02/Note-de-position-Enquete-Interne_Transparency-France_0224.pdf
[3] https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000050407618#:~:text=83%20du%20r%C3%A8glement.-,Mme%20la%20Pr%C3%A9sidente%20de%20l’Assembl%C3%A9e%20nationale%20a%20re%C3%A7u%2C%20le,ou%20de%20signes%20ostensiblement%20religieux.
[4] https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000044545992
[5] https://think-tank.leclubdesjuristes.com/wp-content/uploads/2025/06/ENQUETES_INTERNES-CDJpdf-1.pdf
[6] https://www.agence-francaise-anticorruption.gouv.fr/fr/lafa-et-pnf-publient-guide-relatif-aux-enquetes-internes-anticorruption