Covid-19 / L’urgence ne doit pas servir de prétexte pour remettre en cause des dispositions essentielles à la transparence de la vie publique
Communiqué de presse
Paris, jeudi 28 mai,
Le projet de loi « Dispositions urgentes face à l’épidémie de covid-19 » actuellement en discussion au Sénat pourrait affaiblir l’encadrement du lobbying auprès des collectivités locales et la réglementation des marchés publics locaux.
Les sénateurs poursuivront cet après-midi l’examen de ce texte en séance publique. Transparency International France exprime sa préoccupation à l’égard de deux amendements porteurs d’une même tentation : utiliser ce texte législatif dont la vocation officielle est de répondre à la crise sanitaire, comme prétexte à la remise en cause de mesures essentielles à la transparence de la vie publique.
Le premier amendement[1], déposé lundi dernier, concerne le domaine de la commande publique qui constitue une zone à risque en matière de corruption dans les collectivités territoriales et les services de l’Etat. Cet amendement propose de relever temporairement de 40 000 € à 100 000 € le seuil de dispense de publicité et de mise en concurrence pour la conclusion des marchés publics. En dessous de ce seuil, les acheteurs publics pourront conclure librement un marché de gré-à-gré avec le prestataire de leur choix. Or, ce type de marché peut favoriser des arrangements opaques alors même que l’usage de l’argent public se doit d’être exemplaire et transparent.
L’urgence sanitaire apparue en mars 2020 a pu justifier des exceptions aux procédures obligatoires d’encadrement des marchés publics. Mais, dès avril[2], Transparency France rappelait que ces exceptions ne sont légitimes que si elles restent « strictement proportionnées à l’état d’urgence sanitaire, limitées dans le temps et qu’elles permettent un gain réel d’efficacité sans remettre en cause l’état de droit ». La proposition d’une hausse temporaire du seuil de dispense de publicité pour une durée de 1 an après la fin de l’état d’urgence sanitaire nous semble donc par sa durée dépasser la stricte proportionnalité, et n’exclut pas le risque d’une prolongation future. Nous rappelons à ce titre que le seuil en question s’élevait par le passé à 4 000 euros, avant de faire l’objet de deux augmentations successives à 25 000 puis 40 000 euros par des décrets de 2011 et 2019. La conjoncture actuelle ne doit donc pas servir d’alibi pour accélérer cette tendance.
Le second amendement[3] propose un report de 2 ans des obligations de transparence qui doivent s’appliquer aux actions de lobbying menée auprès des décideurs publics locaux. La loi Sapin 2 oblige en effet depuis 2017 les représentants d’intérêts à déclarer dans un répertoire public géré par la HATVP, les actions d’influence qu’ils mènent sur les décideurs publics nationaux. Afin de permettre une mise en œuvre progressive de ces nouvelles obligations de transparence, la loi prévoyait une extension de ce répertoire au lobbying auprès des décideurs publics locaux à partir de 2018. Cette échéance a d’ores et déjà été repoussée à l’été 2021. L’amendement proposé aujourd’hui prévoit à nouveau un report de 2 ans, à échéance donc de juillet 2023.
Si Transparency International France reconnait la nécessité d’un travail préalable de concertation avant la mise en œuvre de l’extension du répertoire au niveau local, il nous semble essentiel de ne pas reporter indéfiniment son entrée en vigueur, dans un contexte de montée en compétence des collectivités territoriales. Que l’échéance soit reportée à nouveau ou non, il est indispensable qu’un travail de consultation soit engagé sans délai avec les collectivités locales, comme avec les représentants des acteurs exerçant au niveau local une stratégie d’influence sur les décisions publiques. A ce titre, notre ONG est prête à participer à cette consultation afin de rendre la plus pertinente possible cette extension du répertoire, aux acteurs locaux et garantir la traçabilité de la décision publique, qu’elle soit nationale ou locale.
Dans ce contexte de crise sanitaire où des décisions publiques aux effets économiques inédits sont d’ores et déjà prises, la transparence de l’action publique est plus que jamais nécessaire. L’urgence aujourd’hui est à l’amélioration du dispositif existant en matière de lobbying.
Les insuffisances du cadre existant ont déjà été soulignées par la Haute Autorité elle-même ainsi que par de nombreux députés. Les propositions d’améliorations nécessaires ont été formulées par Transparency International[4] et portées à la connaissance du gouvernement, et convergent avec celles proposées par le député Sylvain Waserman en janvier 2020 après une large consultation : elles pourraient, si le gouvernement le voulait, être actées avec rapidité.
La confiance des citoyens dans la légitimité des décisions exceptionnelles qui sont prises au titre de la crise sanitaire ne sera que très relative si l’activité intense des lobbies dans la période reste opaque. Le retard déjà pris en la matière ne se rattrapera pas.
[1] Amendement n°98 au projet de loi « Dispositions urgentes face à l’épidémie de covid-19 »
[2] Marchés publics et plans de relances en temps de crise : la transparence au défi de l’urgence sanitaire, Transparency International France, 20 Avril 2020
[3] Amendement n°83 rect. Bis au projet de loi « Dispositions urgentes face à l’épidémie de covid-19 »
[4] Pour un meilleur encadrement du lobbying, Transparency International France, 26 Septembre 2019
CONTACT PRESSE : Benjamin GUY / [email protected] / 06 26 48 54 00
Pour en savoir plus
Notre dossier COVID-19 / Mobilisés pour qu’une crise démocratique ne vienne pas s’ajouter aux crises sanitaire et économique
Notre rapport Pour un meilleur encadrement du lobbying
[TRIBUNE] Marc-André Feffer et Elise Van Beneden : La « transparence du lobbying » plus nécessaire que jamais face aux conséquences de la pandémie de Covid-19