[TRIBUNE] Patrick Lefas : « Madame la première ministre, osez être la garante de l’éthique du gouvernement »

[TRIBUNE] Patrick Lefas : « Madame la première ministre, osez être la garante de l’éthique du gouvernement »

Cette tribune a été publiée initialement mardi 17 mai 2022 dans le journal Le Monde 

Depuis les lois Confiance dans la vie politique du 15 septembre 2017 qui avaient cherché à traduire dans la loi la promesse forte d’exemplarité du candidat Emmanuel Macron et à tirer les leçons de l’affaire Fillon, le quinquennat qui s’est terminé le 13 mai laisse un goût d’inachevé en matière de transparence et de déontologie au niveau de l’exécutif. Alors que le Parlement s’est efforcé d’assurer un contrôle aussi rigoureux que possible des frais de mandat et s’est attaché à prévenir les risques de conflits d’intérêts, le gouvernement n’a pas suffisamment pris la mesure de l’exigence croissante d’éthique dans l’action et de redevabilité de chacun de ses membres, à l’instar de toutes les démocraties européennes.

La nouvelle première ministre, Elisabeth Borne, a aujourd’hui l’occasion de marquer dans la Constitution et les règles de fonctionnement de son gouvernement que tout manquement à la transparence et à la probité sera immédiatement sanctionné.

En premier lieu, il revient au chef du gouvernement la responsabilité de s’assurer que ses membres s’acquittent avec le plus grand sérieux de leurs obligations déclaratives auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique [HATVP]. En moins de dix années d’existence, celle-ci s’est fait une place de choix dans la vie publique française. Ses vérifications préalables de la situation fiscale des « ministrables », ainsi que ses contrôles postérieurs renforcés des déclarations d’intérêts et de patrimoine garantissent l’exemplarité des ministres.

Pourtant, quelques démissions contraintes du précédent quinquennat, dont l’affaire Delevoye [le haut-commissaire aux retraites avait « omis » de déclarer plusieurs mandats dans sa déclaration d’intérêts à la HATVP et continuait d’occuper des fonctions rémunérées après son entrée au gouvernement], auraient pu facilement être évitées si les principaux intéressés avaient rempli avec sérieux leurs déclarations. Le contrôle de la HATVP, doublé du contrôle citoyen rendu possible par la transparence, permet tôt ou tard de révéler les inexactitudes avec les dégâts d’image que cela implique. La désinvolture vis-à-vis de ses obligations déontologiques n’est donc aujourd’hui plus tolérable et c’est à la première ministre d’énoncer clairement ce principe.

Un déontologue pour le gouvernement

Faire respecter la discipline déontologique au sein du gouvernement, c’est aussi s’assurer qu’une fois que des risques de conflit d’intérêts ont été identifiés, ils soient neutralisés dès que possible par une règle stricte de déport. Si cette obligation légale a été appliquée avec rigueur par la grande majorité des ministres, comme en témoigne le très complet registre de prévention des conflits d’intérêts du gouvernement accessible en ligne, il aura suffi d’un manquement individuel pour aboutir à une mise en examen.

Malgré les avertissements de la HATVP sur de « possibles conflits d’intérêts » du garde des sceaux vis-à-vis du Parquet national financier et de ses anciens dossiers d’avocat, le décret de déport a tardé à être publié et n’a pas été en mesure d’éviter sa mise en examen par la commission d’instruction de la Cour de justice de la République. Le décret de déport devrait être un des premiers actes réglementaires du nouveau gouvernement.

Le respect des règles déontologiques n’est pas toujours facile à apprécier dans toutes ses implications. C’est pour cette raison que l’Assemblée nationale a confié cette fonction de conseil à un déontologue et le Sénat à un comité de déontologie parlementaire. Le rapport annuel du déontologue de l’Assemblée qui vient d’être publié montre ainsi que le déontologue a répondu en 2021 à 483 consultations de députés ou de collaborateurs parlementaires. C’est pour cette même raison que dans un nombre croissant de collectivités territoriales une fonction de référent déontologue des élus a été instaurée.

En complément du rôle essentiel que joue la HATVP sur toute question déontologique rencontrée dans l’exercice de son mandat ou de ses fonctions par un responsable public, il y a la place pour une fonction de déontologue du gouvernement assurée par un membre de ce dernier, la secrétaire générale du gouvernement ou une personnalité extérieure. En Grande-Bretagne, ce rôle est assuré par la deuxième secrétaire du Cabinet Office, chargée de l’éthique, qui a su s’imposer comme la garante du respect du code ministériel. Ce déontologue du gouvernement pourrait également être chargé de vérifier les éventuelles incompatibilités de fonctions des membres du gouvernement.

Le cumul par M. Delevoye d’un salaire privé et de ses fonctions publiques, contraire à l’article 23 de la Constitution, a en effet révélé un manque de coordination certain entre le secrétariat général du gouvernement, Matignon et la HATVP et il est urgent de clarifier les responsabilités en la matière.

Des rendez-vous à clarifier

Corollaire de l’exigence d’éthique, la transparence constitue un autre axe essentiel sur lequel la première ministre pourrait affirmer sa volonté d’exemplarité. Il est en effet frappant de constater aujourd’hui que le Parlement et certains exécutifs locaux ont réalisé des progrès bien plus importants que l’exécutif sur la transparence de leurs relations avec des représentants d’intérêts, alors même que celui-ci détient l’essentiel du pouvoir normatif et est visé par davantage d’actions de lobbying, comme le démontre l’exploitation des données déclarées à la HATVP.

Comment expliquer que les rendez-vous des ministres et de leurs cabinets avec des représentants d’intérêts – où se rendent de multiples arbitrages – restent toujours aussi opaques ? C’est d’autant moins compréhensible que certains députés ou maires publient, eux, de façon volontaire, leurs rendez-vous avec des représentants d’intérêts. La première ministre pourrait, là aussi, s’inspirer utilement de la pratique gouvernementale outre-Manche, où le code ministériel impose aux ministres de publier leurs rencontres avec des organisations extérieures sur une base trimestrielle.

Enfin, si les mesures de déontologie et de transparence ne sont pas en mesure d’éviter le déclenchement d’une procédure judiciaire, le rétablissement de la « jurisprudence Balladur-Bérégovoy » s’impose. Cette pratique implique qu’un ministre mis en examen, excepté pour diffamation, doive démissionner pour mettre l’action du gouvernement à l’abri de tout soupçon. Affirmée comme un impératif par Edouard Philippe en 2017, et appliquée à la lettre dès le début du quinquennat avec plusieurs démissions successives de ministres visés par des procédures judiciaires, celle-ci a ensuite été progressivement remise en question. D’abord par le maintien en poste de M. Alain Griset jusqu’à sa condamnation, et surtout par le soutien renouvelé du premier ministre à M. Eric Dupond-Moretti malgré sa mise en examen pour prise illégale d’intérêts.

Ces maintiens seraient impensables dans des démocraties plus exigeantes, où l’intransigeance sur l’exemplarité des membres du gouvernement garantit un taux record de confiance des citoyens envers leurs décideurs publics.

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