[Interview] Élection présidentielle : Transparency International Brazil répond à nos questions

[Interview] Election présidentielle : Transparency International Brazil répond à nos questions

Suite à l’élection du nouveau président brésilien, Jair Bolsonaro, et toutes les inquiétudes qu’elle suscite, nous avons interrogé Fabian Angélico, conseiller principal de Transparency International Brazil.

Pouvez-vous revenir sur l’élection récente au Brésil et la prise en compte de l’agenda anticorruption dans le programme des candidats ?

Premièrement, il est important de comprendre que les citoyens brésiliens sont en colère. Ils ne supportent plus de voir éclater des affaires de corruption années après années – 2014, 2015, 2016, 2017 – nous avons vu défiler de nombreux scandales et ça continue. Les scandales majeurs comme Petrobras[1] et Odebrecht[2] sont des exemples qui ont eu des répercussions mondiales. La corruption a aussi largement participé à renforcer la crise économique actuelle dont les répercussions affectent directement le quotidien des brésiliens.

Deuxièmement, les responsables politiques n’ont pas suffisamment réagi face à ces scandales inacceptables. Ils auraient dû reconnaître la gravité des faits et prendre les mesures nécessaires pour sanctionner les personnes responsables, ce qui n’a pas été le cas.

Pendant la campagne, Transparency International Brazil avait soumis aux candidats un ensemble de recommandations visant à renforcer la lutte contre la corruption dans le pays. Jair Bolsonaro, le Président nouvellement élu, n’avait pas répondu à nos recommandations.

Plus de 10% des pays du monde ont vécu un bouleversement politique lié à des scandales de corruption au cours des cinq dernières années, selon le think tank américain Carnegie, comment expliquez-vous ce chiffre ?

La corruption a toujours existé mais dorénavant nous sommes mieux informés de sa réalité. Si l’on prend l’exemple du Brésil, le développement et le renforcement des institutions aussi bien que la demande croissante de transparence de la part de la société civile ont permis de mettre en lumière des scandales et d’ouvrir des enquêtes. La corruption, tout comme les vaines promesses d’y mettre un terme, n’est aujourd’hui plus tolérée par les citoyens qui réclament à juste titre un vrai changement. Nous l’avions souligné en 2016 lors de la publication de l’Indice de Perception de la Corruption[3], lorsque les politiciens traditionnels ne parviennent pas à lutter contre la corruption, les gens se tournent de plus en plus vers les dirigeants populistes qui promettent de briser le cycle de la corruption et des privilèges. Pourtant, cela risque d’exacerber – plutôt que de résoudre – les tensions qui ont nourri la poussée populiste.

Les citoyens sont-ils plus exigeants qu’auparavant ?

Oui ! Avec le boum économique, l’accès aux médias et à l’éducation, l’accès à de nouvelles ressources, les citoyens veulent voir la situation s’améliorer. Ils se disent que la vie n’est pas si mauvaise mais qu’elle pourrait être meilleure. Non seulement les citoyens sont beaucoup plus exigeants, mais ils n’hésitent pas à demander des comptes aujourd’hui, à des responsables publics qui étaient auparavant considérés comme intouchables. C’était le cas par exemple avec l’accueil de la coupe du monde de football en 2014 par le Brésil, les citoyens attendent des responsables plus de redevabilité : comment expliquer la construction d’équipements sportifs très modernes, flambant neufs alors que les budgets de la santé publique et de l’éducation étaient délaissés ?

Dans les pays dirigés par des leaders populistes ou autocrates, nous constatons souvent des démocraties en déclin et des tentatives inquiétantes de réprimer la société civile, de limiter la liberté de la presse et d’affaiblir l’indépendance du pouvoir judiciaire. Quelle est la solution ?

Si l’arrivée au pouvoir de leaders extrémistes ou populistes est une des conséquences majeures du désenchantement de la population, nous devons être particulièrement vigilant quant au risque de basculement vers un système plus opaque, mettant en danger notre démocratie et nos libertés fondamentales. Même si dans ce nouveau contexte politique, nous avons tout de même des garde-fous pour préserver les libertés fondamentales. Nous pouvons compter sur le procureur fédéral, aujourd’hui mieux équipé, mais aussi sur notre Constitution, aussi appelée « la constitution des citoyens », qui protège et encadre les droits de chacun et dont la Cour suprême est le garant.

L’appui de la communauté internationale est aussi très important. Enfin, de jeunes citoyens ont crée des mouvements politiques et investi le Congrès, c’est un phénomène nouveau qui peut être un levier intéressant sur lequel nous appuyer pour faire entendre la voix de la société civile.

 Pensez-vous que ce nouveau gouvernement est en mesure d’apporter des mesures concrètes à la corruption ?

C’est difficile à dire. Il s’est présenté et a été élu comme le leader anti-corruption donc il y a une chance que certaines mesures que nous soutenons soient mises en place. Nous sommes toutefois très inquiets de voir ce combat contre la corruption être instrumentalisé et devenir une menace pour notre démocratie – comme on l’observe dans d’autres pays.

(Le Brésil affiche la note de 37 à l’IPC 2017 : 20 journalistes ont été tués au cours des six dernières années). Toutes les sections de Transparency International ont voté en octobre une résolution en faveur de la protection des journalistes. Concrètement, qu’attendez-vous du mouvement sur cette question ?

C’est une question majeure. Les menaces sur la presse proférées pendant la campagne présidentielle suite aux révélations de deux affaires par des journalistes, l’une sur l’existence d’une employée fictive depuis licenciée, l’autre sur un possible schéma de financement illégal de campagne électoral, nous invitent à être très attentifs et vigilants.

C’est pourquoi nous sommes particulièrement investis sur le sujet. Nous travaillons avec une association de journalistes d’investigation brésiliens qui fait un travail remarquable. Nous souhaitons collaborer plus activement, afin non seulement de les aider, les protéger dans leurs investigations mais aussi permettre leur médiatisation et le passage des révélations aux recommandations et réformes attendues.

[1] https://www.transparency.org/news/pressrelease/brazils_carwash_task_force_wins_transparency_international_anti_corruption

[2] https://www.transparency.org/news/pressrelease/new_leads_in_odebrecht_case_must_be_followed_up_in_11_countries_after_settl

[3] https://www.transparency.org/news/feature/corruption_perceptions_index_2016

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