[Interview] Le directeur de Transparency Hongrie répond à nos questions sur la situation politique du pays
La Hongrie, classée 66ème au classement IPC 2017 de Transparency International, a vu son indice tomber de 10 points ces six dernières années, passant de 55 en 2012 à 45 en 2017. Elle représente l’un des exemples les plus alarmants de la réduction de la liberté d’action de la société civile en Europe de l’Est.
Ces dernières semaines, de nombreuses manifestations s’organisent en Hongrie pour dénoncer les mesures du gouvernement, notamment celles qui portent atteinte à l’indépendance de la justice.
Jozsef Peter Martin, directeur exécutif de Transparency International Hongrie, nous livre son point de vue sur la situation actuelle en Hongrie.
Transparency International Hongrie a dénoncé à plusieurs reprises les risques qui pèsent sur l’indépendance de la justice, qu’en est-il aujourd’hui ?
L’indépendance de la justice est une condition indispensable d’un État de droit et une exigence démocratique forte. L’impunité dont certains dirigeants bénéficient et les mesures adoptées récemment sont autant de menaces préoccupantes pour l’avenir de notre pays.
Depuis 2010, l’initiative des poursuites judiciaires est sous le contrôle du gouvernement et la loi sur les tribunaux administratifs votée par le Parlement fin 2018 renforce le risque d’ingérence du politique dans les affaires judiciaires !
Transparency International Hongrie alerte depuis de nombreuses années sur la « capture de l’État » par des intérêts privés, sur la fragilité du système d’intégrité hongrois et met en garde sur l’incapacité des institutions de contrôle à résister aux abus de pouvoir. C’était d’ailleurs l’objet d’un rapport complet publié en 2012 et des recommandations que nous avions formulées. Parmi les mesures urgentes que nous recommandions figuraient la nécessité de réduire l’influence politique sur les institutions indépendantes, une réglementation plus stricte du financement des partis et des campagnes, une protection efficace des lanceurs d’alerte et la mise en œuvre d’un programme complet de lutte contre la corruption couvrant tous les secteurs et les institutions concernés. De nos jours, la corruption est devenu systémique, ce qui rend le combat encore plus difficile.
Les citoyens se mobilisent-ils suffisamment ?
Malheureusement, de nombreux citoyens sont résignés. Ils savent que la corruption existe, qu’elle touche aussi bien les politiciens que les institutions gouvernementales mais ils considèrent que c’est une chose naturelle en Hongrie, que les partis et les dirigeants étaient et sont « nécessairement corrompus » et qu’on ne peut rien y faire. Il y a aussi ceux qui ont vu leur niveau de vie s’améliorer ces dernières années et qui ne ressentent pas le besoin de se mobiliser, ou bien ceux encore qui ne voient pas les conséquences directes de la corruption dans leur quotidien.
Les récentes manifestations montrent toutefois qu’une partie de la population s’insurge contre cette situation, même s’il ne s’agit juste que de quelques milliers de personnes.
Pour redonner le pouvoir d’agir aux citoyens et encourager la société civile et les ONG à se mobiliser en faveur de l’État de droit, comment agit Transparency International Hongrie?
Nous venons de dresser le premier bilan de notre stratégie 2015-2018. Notre but était de rencontrer, d’engager et d’échanger avec les citoyens hongrois au-delà de la « bulle de Budapest ». Nous avons organisé beaucoup de conférences, d’ateliers à travers le pays afin d’alerter sur le sujet de la corruption. Nous utilisons également les réseaux sociaux pour sensibiliser le plus de personnes possibles, le nombre de suiveurs sur notre page Facebook a d’ailleurs considérablement augmenté. Pour nous, il est essentiel de démontrer que la corruption n’est pas une fatalité et qu’il est possible de lutter contre. Par exemple nous avons organisé des tournées en bus pour expliquer ce qu’est la corruption dans les villes qu’on traversait et porter le débat sur la place publique.
Transparency Hongrie ne peut évidemment pas lutter seul. Nous agissons avec d’autres associations en Hongrie et à l’international mais aussi au sein de notre mouvement, grâce à l’appui de nos sections sœurs deTransparency International.
Quels sont vos attentes quant aux prochaines élections européennes ?
Notre objectif est d’assurer un rôle de vigie citoyenne pour mieux contrôler les dépenses des partis politiques en ce qui concerne les frais de campagne. Nous avons remarqué que lors des élections, les plafonds de dépenses sont très souvent dépassés. Nous allons aussi demander aux candidats de prendre des engagements forts pour lutter contre la corruption et inciter la Hongrie à prendre part à l’EPPO (European Public Prosecution Service). Parmi les gens qui manifestent dans la rue, nombre d’entre eux brandissent des drapeaux de l’Union Européenne. La plupart de la population hongroise, souhaite un maintien de la Hongrie dans l’UE.
Enfin, nous sommes en faveur d’une forme de « conditionnalité » quant à l’attribution des fonds européens. Comme la Commission Européenne l’a proposée en Mai 2018, les financements devraient être suspendus en cas d’atteintes répétées et sérieuses aux règles de droit ou de corruption systémique. Pas seulement en Hongrie d’ailleurs, mais à travers toute l’Europe.