Antoine Raimbault « Je suis dans une démarche de ciné-citoyen. J’aime bien l’idée d’apprendre des choses en allant au cinéma »

Antoine Raimbault « Je suis dans une démarche de ciné-citoyen. J’aime bien l’idée d’apprendre des choses en allant au cinéma »


UNE AFFAIRE DE PRINCIPE

Bruxelles, 2012. Quand le commissaire à la santé est limogé du jour au lendemain, dans la plus grande opacité, le député européen José Bové et ses assistants parlementaires décident de mener l’enquête. Ils vont alors découvrir un véritable complot menaçant de déstabiliser les instances européennes, sur fond de lobbying non éthique et de corruption. Tiré de faits réels.


©Duchili

« Les lobbys font partie de la démocratie, c’est comme ça… Ils vont continuer à s’inviter autour de la table des négociations. L’enjeu c’est de savoir comment on gère ça avec transparence, et là, c’est la bagarre. Le film le dit, « la démocratie c’est un sport de combat »

Antoine Raimbault

Antoine Raimbault :  La différence principale c’est que « Une Intime Conviction » c’était en grande partie mon histoire. J’ai vécu le procès en temps réel , depuis les coulisses. J’ai fait un travail d’enquête très proche du procès, pendant et après, en me plongeant dans les écoutes téléphoniques, par exemple. Là, j’arrive 10 ans après et je me glisse dans les pas d’autres personnages, que je rencontre. Il y a donc une distance entre les protagonistes et moi, mais également une distance de temps. Donc il y a un gros travail similaire à celui d’un journaliste, un boulot de sourcing des éléments, du matériau pour fabriquer la fiction. Il a quand même une drôle de nature ce film… C’est une fiction de fait : incarnée par des comédiens avec une certaine liberté, on fait dialoguer ces personnages inspirés de personnes réelles avec des personnages qui, n’existent pas, par exemple le personnage de la stagiaire qui a été inventé pour le film. On joue avec tout ça, et en même temps on circonscrit notre terrain de jeu avec des éléments réels qui eux ne sont pas si flexibles. Alors on compose sur un terrain bourré de contraintes, mais la contrainte ça rend productif et créatif. J’appréhende les choses comme ça, je crois que psychanalytiquement, j’ai un peu peur du vide et j’adore l’idée d’avoir passé un temps fou à enquêter, à faire ce travail obsessionnel, similaire à celui de mes protagonistes. Le point commun entre les deux films, c’est cette histoire d’enquête, ce sont des films d’enquêtes, d’obsessions, et moi je passe par là en fait. Je trouve que l’écriture d’un scénario, quel qu’il soit, a à voir avec un travail obsessionnel d’enquête et de gestion des informations, et là moi je le prends un peu au sens propre, je mène l’enquête : dans Une intime conviction une enquête qui était la mienne et dans « une affaire de principe » une enquête qui n’est pas la mienne, je me glisse dans la peau de l’enquêteur et je mets le spectateur dans cette position-là.

Antoine Raimbault : D’abord la forme du thriller et du film d’enquête c’est ce qui précède tout le reste. moi je cherche de la matière à nourrir une envie de cinéma. Je suis tombé sur l’affaire Dalli dans le cadre de recherches sur les lobbys dans le cadre d’un autre projet qui n’a pas abouti. Ces recherches ont posé pour toile de fond la question suivante : que font les démocraties face à la puissance grandissante des lobbys et des financements privés qui envahissent les institutions publiques ?

Et puis je tombe sur l’affaire Dalli. Avec mon co-scénariste, nous nous sommes aperçus que tous les ingrédients étaient là : un décor propre aux fantasmes, les institutions européennes, une histoire assez surréaliste de tabac à chiquer suédois, un personnage réel encore plus crédible que si on l’avait inventé :José Bové au milieu du champ, devant les caméras, à s’investir, à se battre, non pas par amitié ou accointances politiques, mais pour le droit, pour le principe et vous avez tout ce qu’il faut pour faire un film. En tant que scénariste – réalisateur, je suis toujours en quête de ce genre d’histoires et de personnages.

Antoine Raimbault : Je suis dans une démarche de ciné-citoyen. Effectivement, moi je n’y connaissais rien. J’aime bien l’idée d’apprendre des choses en allant au cinéma. J’assume complètement l’idée que le film, même s’il ne dure qu’une heure et demie et qu’il frôle les choses, a une dimension didactique. Moi le premier, je suis ravi en tant que spectateur d’avoir cette illusion d’être plus intelligent à la fin d’un film qu’un début. C’est évidemment une illusion, mais ça nourrit un désir d’aller voir plus loin, de comprendre, d’explorer. Je vois chaque film comme l’exploration d’une nouvelle planète inconnue. Et en plus on peut changer de planète à chaque film, c’est passionnant.

Je ne connaissais rien aux institutions européennes, que j’ai découvertes pendant mes recherches. J’ai appris en amont pleins de choses sur le travail des lobbystes auprès des députés, au moment des textes et des directives. On a voulu faire rentrer ça mais ça ne rentrait pas trop dans notre projet. On a préféré traiter des coups bas et secrets du lobbying plutôt que du lobbying déclaré et légal, mais j’ai aussi découvert tout ça. Après je me suis demandé ce qu’on racontait dans le film, et j’ai décidé de tourner le projecteur vers ça, mais ça m’a appris beaucoup de choses sur le lobbying, sur tous les acteurs de la société civile, qu’on évoque aussi, qu’on voit apparaitre dans le film. On essaie de représenter un peu tout le monde.

« Frôler » je n’aime pas trop ce mot mais c’est un peu ça, on effleure des choses, avec un objectif très simple : donner envie au spectateur d’aller voir les choses d’un peu plus près, également de donner envie d’Europe et de produire une représentation qui va contre le grand malentendu de l’opinion publique. C’est-à-dire qu’on parle tout le temps de Bruxelles comme si l’Europe c’était une instance, alors que c’est un subtil jeu d’équilibre des forces entre des pouvoirs et des contrepouvoirs, au cœur même des institutions. On voulait représenter la Commission dans sa culture du secret et dans son opacité sur cette affaire, face au Parlement et sa culture de la transparence. Montrer que les alliances se font dossier après dossier, que José Bové peut s’associer à un député vert mais aussi à une députée du PPE. Voilà, je voulais montrer ça, mes héros de cinéma sont l’incarnation du contrepouvoir. Ici ce sont des eurodéputés, et l’équipe de Bové (qu’il surnommait lui-même ses codéputés). Montrer ce travail de fourmi qui est fait au cœur de l’institution par ceux qui ont l’air d’être les anticorps d’un système qui se protège ou qui résiste au cancer des lobbys. Ils font de toute façon partie de la démocratie, c’est comme ça… Ils vont continuer à s’inviter autour de la table des négociations, l’enjeu c’est de savoir comment on gère ça avec transparence, quitte à entrer dans la bagarre pour y arriver. Le film le dit, « la démocratie c’est un sport de combat ».



Antoine Raimbault : Moi aussi.

Antoine Raimbault : Pas du tout. Sans être un idéologue, je regardais la pensée libérale, qui consiste à dire que le lobbying fait partie de l’intérêt général et que les intérêts économiques privés participent à la croissance générale, avec suspicion. En revanche on ne peut pas imaginer une démocratie où on empêcherait les lobbys d’agir, enfin je suis juste démocrate quoi ! (Rires)

Antoine Raimbault : Vous êtes un lobby d’intérêt général.

Antoine Raimbault : Pour moi c’est exactement la même chose que la représentation du terrain judiciaire, c’est-à-dire que y a les avocats des parties civiles, il y a le procureur qui représente les intérêts de la société et les avocats de la défense qui défendent les intérêts d’un client. Chaque acteur est légitime et la défense des différents intérêts s’équilibre… ou non, s’il n’y a pas de régulation.

Antoine Raimbault : C’est fondamental. Le film entend donner des informations au citoyen juste pour aller au-delà de cette idée : « le lobbying tous pourris !! »

Antoine Raimbault : Ce n’est jamais vraiment calculé. Quand on a commencé le travail d’écriture il y a trois ans, on avait aucune visibilité sur la date de sortie. Le projet avançant, on s’est aperçu que les calendriers de production et des élections pouvaient coïncider. Le producteur – distributeur du film, mais aussi le Parlement européen qui nous a ouvert ses portes et qui a été secoué par des crises de corruption, ont vu que ça pouvait être une bonne opportunité. En réalité, ce sont les disponibilités de Bouli Lanners qui ont été déterminantes. Après, on a tout fait pour finir avant les élections. Pas tant pour que le film marche, mais pour qu’il serve au début public. J’ai la naïveté de croire que je fais des films qui sont un petit plus que des films, et qui peuvent avoir une résonnance… J’appelle ça des films citoyens. Ça fait partie intégrante du film, le fait de pouvoir mettre un coup de loupe sur les institutions européennes dans un timing qui permet d’apporter quelque chose, que ça puisse résonner…

Antoine Raimbault :  On a eu du mal à trouver le titre. « Une Affaire de Principe », c’est un producteur qui l’a trouvé, on s’est dit que c’était le titre provisoire et finalement on n’a pas trouvé mieux. On avait même promis à celui qui trouvait le titre un jambon offert par José ! Et finalement c’était un bon titre…  J’assume l’idée que ce soit un film citoyen. Je suis très fier qu’on ait sorti un dossier pédagogique pour accompagner le film et aider le spectateur à trouver des réponses aux questions soulevées par le film. On a cherché cet équilibre entre une forme spectaculaire, efficace capable de séduire le plus grand nombre, y compris les jeunes générations consommatrice de blockbusters, et un contenu éducatif. Je pense qu’on l’a trouvé.

Antoine Raimbault : Notre producteur-distributeur a senti assez tôt que grâce à cet équilibre fond et forme, il y avait quelque chose à jouer du côté des scolaires et d’inscrire ce film dans une logique pédagogiques, pour essayer, toujours et encore, d’expliquer le fonctionnement des institutions européennes . C’est Zéro de conduite, une société de production spécialisée qui a produit un dossier pédagogique d’une trentaine de page, avec des contenus explications, des infographies, des quizz. Nous avons aussi reçu le soutien de plusieurs associations comme la vôtre. C’est une belle validation de notre travail. Moi j’ai besoin de ça, j’ai besoin de réassurance. Je n’ai pas fait de droit, je suis assez profane et je portant, je fais des films « techniques » et denses.

Antoine Raimbault : Le fait qu’on soit juste dans notre démarche, qu’on ne soit pas attaquable sur le fond, c’est essentiel. Evidemment, il y a toujours des petites erreurs, et aussi des libertés prises qui font que des choses peuvent être réduites, d’autres un peu gonflées dramaturgiquement pour nos besoins. Le fait que le film soit « validé » est assez rassurant. C’est le signe que le film va résonner un peu plus largement que ça, quoi. Moi je fais ce cinéma-là. On a besoin de représentations larges, de vulgarisation car c’est tellement complexe, j’assume tout ça volontiers.


Pour aller plus loin

Consulter le dossier pédagogique du film, réalisé par Zéro de production.

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