RAPPORT | JUSTICE NÉGOCIÉE : QUELLE PLACE POUR LES VICTIMES ?

RAPPORT | JUSTICE NÉGOCIÉE : QUELLE PLACE POUR LES VICTIMES ?

La corruption a longtemps été perçue comme une infraction sans préjudice autre que celui de la violation de l’ordre public. La reconnaissance des victimes de la corruption est ainsi apparue de manière tardive au cours des vingt dernières années, par à-coups et de façon limitée. L’opacité entourant la corruption ainsi que l’immatérialité de ce délit compliquent encore davantage l’identification et la prise en charge des victimes. Des progrès significatifs ont été réalisés ces dernières années en matière de lutte contre la corruption avec notamment la création de nouveaux outils juridique, telle que la Convention Judiciaire d’Intérêt Public (CJIP).

Avec ces nouveaux outils, les victimes de la corruption sont-elles mieux identifiées ? Leur préjudice est-il mieux réparé ? Quel est le profil des victimes ? Certaines sont-elles surreprésentées par rapport à d’autres ? Comment les victimes sont-elles identifiées et, le cas échéant, indemnisées ? Voilà les interrogations sur lesquelles Transparency International France s’est penchée dans ce rapport proposant des recommandations visant à renforcer la place de la victime dans la justice négociée.


Introduite en droit français par la loi « Sapin 2 » du 9 décembre 2016, la convention Judiciaire d’Intérêt Public (CJIP) est un dispositif de justice négociée ayant pour but un traitement rapide et efficace des procédures ouvertes contre des personnes morales mises en cause dans des affaires de corruption, d’atteinte à la probité, de fraude fiscale et d’atteinte à l’environnement. La CJIP constitue une mesure
alternative aux poursuites par laquelle le Ministère public propose, au stade d’une enquête préliminaire ou d’une information judiciaire, la négociation d’un engagement de la part d’une personne morale mise en cause pour l’un des délits évoqués ci-dessus. Elle impose à une personne morale une ou plusieurs de ces obligations.

  • La réparation du préjudice
  • La mise en œuvre d’un programme de mise en conformité d’une durée maximum de 3 ans
  • Le versement d’une amende d’intérêt public au Trésor Public

Dans le cadre d’une CJIP les entreprises mises en cause plaident coupable mais elles ne sont pas condamnées pénalement au sens stricte du terme, elles ne sont pas déclarées coupables formellement. Cela leur permet de ne pas être exclues des procédures de passation des marchés publics mais également d’éviter les peines complémentaires.

La CJIP incite les entreprises responsables de faits de corruption, de blanchiment de capitaux ou de fraude fiscale à coopérer. Le but de la CJIP est de sanctionner rapidement les entreprises, et de les contraindre à mettre en place des programmes de remédiation adaptés sous la supervision de l’Agence française anti-corruption (AFA) ou des services fiscaux compétents.  En outre, les économies de temps et d’argent réalisées permettent à la justice de traiter plus rapidement les affaires de corruption et de fraude, et d’en multiplier le volume.



La preuve de la corruption est difficile à rapporter en raison du caractère occulte de cette infraction assuré par la mise en place de montages financiers complexes. Dans ce contexte, les acteurs économiques gravitant autour des parties impliquées dans le schéma de corruption litigieux, tels que l’entreprise dont l’employé aurait versé un pot de vin ou les actionnaires lésés par une entreprise condamnée pour avoir versé un pot de vin, sont plus à même d’avoir connaissance du pacte de corruption et de rassembler les preuves leur permettant de réclamer ensuite réparation. Ainsi, dans le contentieux anti-corruption, les victimes ayant le plus de chances d’espérer obtenir réparation de leur préjudice sont les acteurs économiques et financiers. 


Afin de permettre une véritable prise en compte des préjudices subis par les victimes du fait de la corruption, le dispositif de la CJIP pourrait être amélioré de cette façon :

Mettre en œuvre une publicité et une sensibilisation large de la société civile à l’existence de ce dispositif avec une pédagogie appuyée sur les recours ouverts aux victimes dans ce cadre.

À l’instar du SFO, établir des lignes directrices pour l’indemnisation des victimes dans les affaires de corruption transnationale, que ce soit dans le cadre du procès pénal ou de la CJIP. Celles-ci devraient prévoir une information rapide des victimes, la reconnaissance de nombreuses catégories de victimes et de préjudices très divers, l’ouverture des actions en indemnisation aux personnes privées et à leurs représentants et des règles relatives à la restitution des avoirs de manière transparente et redevable.

Rendre plus transparente la méthode d’identification des victimes lorsque celles-ci ne se constituent pas parties civiles. Une meilleure publicité est également requise quant aux montants sollicités par les victimes, au nombre de victimes qui se sont manifestées et à la méthode d’évaluation de leur préjudice.

Renforcer la place de la victime dans la CJIP :

  • À chaque stade du dispositif : veiller à l’identification systématique des victimes d’atteinte à la probité, à leur indemnisation effective en y accordant une attention spécifique dès l’ouverture des négociations avec l’entreprise.
  • Au stade de la notification de la négociation d’une CJIP aux victimes : ouvrir un délai suffisant aux victimes pour évaluer et faire valoir leurs préjudices.
  • Assurer une large publicité à la décision d’homologation pour permettre aux victimes non identifiées dans le processus d’enquête puis de négociation de pouvoir, à défaut, saisir le tribunal civil aux fins d’indemnisation.

[TRIBUNE] PRESERVONS L’EQUILIBRE DE LA CONVENTION JUDICIAIRE D’INTERET PUBLIC (CJIP)

JUSTICE / Le dévoiement de la CJIP dans « l’affaire LVMH / Squarcini » ne doit pas condamner cet outil essentiel à la lutte contre la corruption

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