Dans le contexte de l’ouverture des débats en commission relatifs à la proposition de loi visant à « sortir la France du piège du narcotrafic », Transparency International France a transmis plusieurs recommandations transpartisanes issues de ses travaux de recherche et de son expertise en matière de lutte contre la corruption et le blanchiment de capitaux.
Principale ONG anti-corruption à travers le monde, TI-France a déjà eu l’opportunité de présenter plusieurs recommandations au moment des débats menés par la commission d’enquête sénatoriale sur le narcotrafic, rappelant l’interférence de ces enjeux avec ceux de la corruption et du blanchiment.
Les recommandations portées par Transparency International France dans le cadre de la PPL narcotrafic
- Etendre l’obligation de mettre en œuvre des plans de prévention de corruption dans les collectivités de plus de 100 000 habitants et dans les services de l’administrations exposés.
- L’article 3 de la proposition de loi propose d’ajouter à la liste des personnes assujetties à la LCB-FT « les personnes se livrant à titre habituel et principal à la vente ou à la location de véhicules, lorsque la transaction porte sur un véhicule dont la valeur est supérieure à 50 000 euros ». Il est proposé de maintenir ce seuil à 50 000 euros pour la vente d’un véhicule, et à un montant de 1 000 euros journalier pour sa location (article 3 alinéa 9)
- Ajouter à la liste des personnes assujetties à la LCB-FT les personnes se livrant à titre habituel et principal à la vente ou à la location de navires de plaisance, lorsque la vente porte sur un montant dont la valeur est égale ou supérieure à 300 000 euros et lorsque la location porte sur un montant égal ou supérieur à 10 000 euros journalier (en lien avec l’article 3 alinéa 9)
- Ajouter à la liste des personnes assujetties à la LCB-FT les marchands de biens et les promoteurs immobiliers (en lien avec l’article 3 alinéa 9)
- Créer un registre centralisé permettant d’identifier les propriétaires de bateaux de luxe (création d’un nouvel alinéa)
- Créer un registre centralisé permettant d’identifier les propriétaires d’œuvres d’art (création d’un nouvel alinéa)
- Etendre au RBE le mécanisme de cessation d’office suivie de radiation pour toutes les entités qui n’ont pu être touchées par les injonctions du tribunal (en lien avec l’article 3 alinéa 13)
- Permettre la radiation d’office en cas de non-régularisation de divergences sur les bénéficiaires effectifs (en lien avec l’article 3 alinéa 13)
- Restaurer l’obligation de déclaration des chaînes de détention au RBE et ajouter les données historiques sur les bénéficiaires effectifs (en lien avec l’article 3 alinéa 13)
- Favoriser la coordination entre les nouvelles cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants et Tracfin (article 7 alinéa 15)
Sur l’élargissement des plans de prévention aux collectivités territoriales de plus de 100 000 habitants et aux services de l’administration exposés.
TI-France regrette la quasi-absence de mesures de prévention des actes de corruption liés au narcotrafic dans la PPL. De tels dispositifs de prévention de la corruption sont aujourd’hui indispensables dans les grandes collectivités et certains services de l’administration. Ils permettent d’abord de lutter contre les formes de corruption de “basse intensité” qui peuvent affecter les agents, d’une part, mais aussi contre les formes d’infiltrations par le narcotrafic des milieux politiques au niveau local, d’autre part.
À la suite du passage du texte en commission, la PPL prévoit d’étendre la mise en œuvre de plan de prévention de la corruption aux établissements portuaires. Cette initiative, à saluer, est toutefois insuffisante. Les grandes collectivités sont nécessairement soumises à des risques de corruption et des secteurs clefs de l’administration, douanes, services fiscaux, services de police… n’ont toujours pas de plan de prévention cohérent et systématique de lutte contre la corruption.
La majorité des grandes collectivités mettent déjà en place des plans de prévention de la corruption, sans que cela soit explicitement prévu par la loi. L’agence Française anti-corruption recommande très fortement lors de ces contrôles du secteur public la mise en place de tels dispositifs. Un plan de prévention de la corruption, tel que défini par l’article 17 de la loi Sapin 2, inclus 8 volets. Parmi lesquels : une cartographie des risques qui permet d’identifier les fonctions les plus susceptibles d’être soumises à un risque de corruption par les narcotrafiquants, des actions de formation pour permettre aux agents de mieux reconnaitre les actions de corruption, des contrôles comptables et d’audit interne permettant de détecter les actes de corruption à postériori, un dispositif d’alerte interne permettant aux agents de signaler les cas de corruption.
Sur l’élargissement des professions assujetties à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT).
La disposition de la PPL (article 3 alinéa 11) consiste à mettre en place une certification
professionnelle de connaissances minimales quant à la connaissance de leurs obligations relatives à la
LBC-FT par Tracfin sur l’ensemble des professions assujetties En effet, même lorsque des professions
sont assujetties à la LCB-FT, les obligations qui en découlent sont parfois méconnues ou insuffisamment mises en œuvre. Transparency France recommande l’ajout de professionnels à la liste des personnes assujetties à la LCB-FT posée à l’article L. 561-2 du code monétaire et financier :
- TI-F propose d’ajouter à la liste des personnes assujetties à la LCB-FT « les personnes se livrant à titre habituel et principal à la vente ou à la location de véhicules, lorsque la transaction porte sur un véhicule dont la valeur est supérieure à 50 000 euros ». Ajouter ces professions à la liste des assujettis permettra de renforcer considérablement la détection des infractions de blanchiment ; une telle mesure est très positive. TI-F propose de maintenir le seuil à 50 000 euros lorsqu’il s’agit d’une vente et de fixer un seuil à 1 000 euros journaliers lorsqu’il s’agit d’une location, afin d’appréhender plus facilement des sommes de blanchiment substantielles.
- TI-France appelle à une réflexion complémentaire sur l’opportunité de créer des obligations pour les personnes se livrant à titre habituel à la vente ou à la location de bateaux de plaisance. Les yachts étant devenus en France des vecteurs privilégiés de blanchiment, une telle mesure semble aujourd’hui nécessaire.
- Tous les professionnels du secteur immobilier ne sont pas assujettis à la LCB-FT. Si les agents et mandataires immobiliers sont bien assujettis à la LCB-FT, les marchands de biens et promoteurs immobiliers ne sont pas soumis à ces obligations, ainsi que le déplore le rapport d’évaluation mutuelle de la France par le GAFI (2022)1. TI-F recommande d’inclure dans la liste des professionnels assujettis à la LCB-FT les marchands de biens et promoteurs immobiliers.
Sur la création de registres centralisés relatifs à l’acquisition de bateaux et d’œuvre d’art
Si la sensibilisation des professions exposées au risque de blanchiment est un enjeu clé, il est également nécessaire de faciliter l’accès aux données clés pour les autorités judiciaires, les autorités de supervision ou encore pour le grand public. À cet égard, le registre des sociétés, le registre des bénéficiaires effectifs ou encore le registre des comptes bancaires (FICOBA) sont des outils indispensables pour identifier rapidement les propriétaires de biens ayant pu faire l’objet d’un blanchiment, ainsi que la chaîne de détention dudit bien. En France, de nombreux registres existent déjà, dont certains sont centralisés.
Toutefois, pour certains secteurs particulièrement ciblés par le blanchiment, l’information est disparate et parfois difficilement accessible pour les autorités elles-mêmes :
- L’information sur l’immatriculation des bateaux est tenue dans des registres distincts selon qu’il s’agit de bateaux de commerce ou de plaisance, naviguant en eaux intérieures ou maritimes. Il n’existe pas de registre national centralisé pour les bateaux de plaisance. Dans une démarche LCB-FT, TI-France recommande d’envisager la création d’un registre centralisé pour identifier facilement les propriétaires des bateaux de luxe.
La création de registres centralisés permettrait de faciliter considérablement l’accès aux informations par les autorités (ou le public) sur des avoirs particulièrement privilégiés par les narcotrafiquants pour blanchir leurs fonds.
Sur le renforcement du dispositif de déclaration des bénéficiaires effectifs
L’article 3 de la proposition de loi propose un renforcement du dispositif de déclaration des bénéficiaires
effectifs, en prévoyant la radiation d’office du registre du commerce et des sociétés de toutes les
entreprises qui n’auraient pas satisfait à leurs obligations déclaratives. Il s’agit d’une excellente mesure
que Transparency International France avait déjà eu l’opportunité de porter en lien avec le CNGTC
(Conseil National des Greffiers des Tribunaux de commerce) dans un livre blanc publié en 2024.
Dans la continuité d’une telle mesure, trois autres propositions pourraient être portées :
- Les greffiers effectuent régulièrement l’analyse de leur registre afin de recenser les entités n’ayant pas rempli leurs obligations de déclaration et d’adresser à ces dernières, notamment en concertation avec le président du tribunal et avec le ministère public, un courrier les invitant à régulariser leur situation dans les meilleurs délais. De nombreuses entités régularisent leur situation à la suite de ces envois. Lorsque le courrier de relance est bien parvenu à l’entité, et en l’absence de régularisation dans un délai raisonnable, le tribunal peut mettre en œuvre la procédure d’injonction prévue par le Code monétaire et financier (art. L. 561-48 et art. R. 561-50 et suivants). Or, plusieurs décisions de justice concernant ces injonctions reviennent au greffe avec la mention selon laquelle l’entité n’est plus établie à l’adresse indiquée. TI-France propose, à l’instar de ce qui existe au RCS, d’étendre au RBE le mécanisme de cessation d’office suivie de radiation pour toutes les entités qui n’ont pu être touchées par les injonctions du tribunal, ce qui a pour effet de provoquer la fermeture des comptes bancaires s’y rattachant. Cette mesure permettrait de fiabiliser le registre des bénéficiaires effectifs et serait une mesure de prévention, ces sociétés étant le plus souvent des coquilles vides qui sont souvent détournées à des fins frauduleuses.
- Les professions assujetties doivent signaler au greffier du tribunal de commerce toute divergence constatée entre les informations inscrites dans le registre des bénéficiaires effectifs et les informations sur les bénéficiaires effectifs dont elles disposent, y compris l’absence d’enregistrement de ces informations. En cas de signalement, et conformément aux articles L. 561-47-1 et R. 561-64 du CMF, le greffier mentionne d’office au registre la divergence signalée et invite la société ou l’entité immatriculée à régulariser son dossier. Dans le cadre du signalement de divergences, TI-France propose que la mention de divergence inscrite par le greffier restée sans réponse de la part de l’entité au terme d’un certain délai justifie sa radiation d’office par le greffier. Le mécanisme instauré permettrait au signalement de divergences de devenir un outil puissant de régularisation envers les sociétés actives et de fiabilisation du registre à l’égard des entités ayant cessé leur activité.
- Restaurer l’obligation de déclaration des chaînes de détention au RBE et ajouter les données historiques sur les bénéficiaires effectifs : lors de la mise en place du registre des bénéficiaires effectifs en 2017, les entités étaient soumises au dépôt d’un document comportant l’identification des bénéficiaires effectifs. Ils devaient préciser notamment les chaînes de détention. Cette obligation a été supprimée en 2020 lors de la transposition de la 5e directive anti-blanchiment. Par conséquent, l’identification de l’intervention de structures extraeuropéennes ou atypiques s’avère plus complexe pour les autorités compétentes. TI-France appelle à la restauration de la déclaration des chaînes de détention, lorsque celle-ci est indirecte. TI-France recommande également d’ajouter les données historiques sur les bénéficiaires effectifs. En effet, les normes internationales et européennes exigent que les informations sur les bénéficiaires effectifs soient pertinentes, exactes et à jour. Il est tout aussi important que ces informations soient disponibles sur différentes périodes. Les informations historiques peuvent aider les autorités et les autres parties prenantes à mieux comprendre la structure de propriété d’une entité juridique et à détecter d’éventuelles tentatives de dissimulation ou de contournement des règles.
Sur la création de cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants
L’article 7 de la proposition de loi prévoit la création de cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants. À ce titre, la cellule de renseignement opérationnel sur les stupéfiants peut constituer en son sein un ou plusieurs groupes de travail et d’échange d’informations à vocation territoriale ou thématique. Il semble utile que ces groupes de travail puissent favoriser la coordination entre la détection d’infractions de trafic de stupéfiants et la détection d’infractions connexes, comme celles de corruption ou de blanchiment de capitaux.
À ce titre, la participation de la cellule de renseignement financier nationale à des groupes de travail mis en place par les nouvelles cellules de renseignement sur les stupéfiants pourrait faciliter la transmission d’informations de soupçon par les organismes publics à Tracfin.
Accéder aux amendements transmis par Transparency International :
Plus d’informations:
Charlotte Palmieri, chargée de contentieux et plaidoyer Flux Financiers Illicites -charlotte.palmieri@transparency-france.org
Laurence Fabre, responsable du programme secteur privé – laurence.fabre@transparency-france.org