Pour la première fois depuis l’adoption des premières lois sur le financement de la vie publique en France, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) a organisé un colloque pour dresser un état des lieux du cadre juridique en vigueur, le 22 janvier dernier.
Le colloque a vu se succéder plusieurs tables rondes afin de répondre à des questions larges : quelles-sont les règles générales qui régissent le financement de la vie politique en France ? Quelles en sont les modalités et les enjeux de contrôle ? Faut-il faire évoluer le système ?
Sujet aussi complexe que contemporain tant l’encadrement ambitieux en matière de financement de la vie politique en France n’a pas permis d’assurer la confiance des citoyens en leurs décideurs publics. Un message que le président de Transparency France, Patrick Lefas, a souhaité rappeler en évoquant l’importance d’aller plus loin en matière de transparence, « la place peu enviable de la France au 20ème rang du classement de l’indice de perception de la corruption publié le 30 janvier 2024 montre le poids des scandales politico-financiers largement médiatisés ( Karachi, Cahuzac, Bygmalion, financements libyens, Fillon) dans la perception de la corruption ».
Après ces rappels élémentaires, la première table ronde s’est attachée à poser la légitimité de l’Etat comme garant de la vie démocratique et de l’intégrité des financements politiques. Si les règles de financement qui régissent les processus électoraux permettent de maintenir une cohésion, une objectivité de la règle de droit et une équité entre partis et entre candidats ; elles ne sont plus audibles. Didier Martin, secrétaire général du ministère de l’Intérieur et des Outres-mers fait aussi le constat lucide qu’« il faut davantage expliquer, simplifier et clarifier ». Il a rappellé, à ce titre, qu’aujourd’hui « les enjeux de transparence sont perdus de vue » alors que cette exigence est le principe même sur lequel reposent les lois du 11 mars 1988 et du 15 janvier 1990 régissant le cadre légal du financement de la vie politique.
Au-delà de la légitimité, le professeur Romain Rambaud a abondé, soulevant la complexité des règles de financement de la vie politique et l’adossant à un besoin de formation accrue. Il a ainsi mis en perspective l’augmentation du nombre de saisine du Conseil Constitutionnel (juge de l’élection) par la CNCCFP, preuve d’un fléchissement de la compréhension de ces règles. Sur les enjeux de diversité, il a ouvert le débat sur l’effet de seuil de remboursement des dépenses de campagne des candidats fixé à 5% pour l’élection présidentielle, la problématique des prêts des personnes physiques, les annexes des partis politiques sibyllines ou encore l’absence de sanction d’inéligibilité pour l’élection présidentielle.
La CNCCFP fait sa radioscopie
La Commission est ensuite revenue, au cours d’une seconde table ronde, sur la dématérialisation des comptes de campagne dont les quatre phases successives doivent confiner à l’utilisation de la plateforme Fin ‘Pol par les partis politiques. En voie d’amélioration constante, il faut espérer que cela améliorera la granularité des contrôles et l’information des citoyens
Pour entrer dans le détail, un panorama minutieux des sanctions administratives concernant les candidats dont les comptes de campagne contreviennent à des dispositions générales du code électoral, a été dressé : sanction pécuniaire (baisse de l’assiette de remboursement des dépenses de campagne), sanction privatrice de droit (inéligibilité) ou sanction morale (communication au public). La Commission dispose de différents leviers : elle peut approuver les comptes, les moduler, les réformer ou encore les rejeter avec une saisine automatique du juge (Conseil Constitutionnel ou Conseil d’Etat). Elle notifie donc au candidat une décision administrative préalable et ne saurait en aucun cas se substituer au juge.
Son pouvoir est néanmoins beaucoup plus limité en ce qui concerne le contrôle des partis politiques. Elle ne peut pas infliger de sanction pécuniaire, elle n’a pas de compétence pour accéder aux dépenses des partis politiques (seulement à ce qui est affecté à la campagne et dans une temporalité complétement différente). Elle ne peut pas retirer l’agrément d’un mandataire d’un parti politique. Enfin, elle ne peut pas infliger de sanction pécuniaire.
Pour répondre aux limites des moyens d’investigation et de contrôle de la CNCCFP, TI-F plaide depuis longtemps pour un contrôle en temps réel des dépenses de campagne. Aligné sur le CNCCFP, TI-F préconise également de faire entrer le contrôle des partis politiques dans le périmètre de la Commission.
Transparency s’est réjoui que le statut des Autorités Administratives Indépendantes ait aussi été abordé au cours du colloque : leur coopération accrue pendant la campagne permettrait de lutter contre la déperdition des compétences en matière de financement de la vie politique ou encore de renforcer la résilience des institutions face aux menaces qui pèsent sur l’Etat de droit. Plus prosaïquement, il semble essentiel de retenir les leçons des scandales qui entachent les élections successives. Le procès des financements libyens en cours appelle à trois mesures simples et efficaces : un encadrement renforcé des activités des équipes de campagne, une interdiction du versement des primes de campagne et du remboursement des frais de campagne en espèce et à une baisse du seuil des dons en liquides (aujourd’hui de 150 euros) à 50 euros pour éviter la constitution de « caisses noires » pendant les campagnes électorales.
Les nouveaux risques de manipulation des scrutins
Les nombreux enjeux de contemporanéité n’ont pas échappé aux intervenants de l’après-midi qui avait pour vocation d’imaginer comment faire évoluer le système du financement de la vie politique. Les professeures Aurore Gaillet et Anne Deysine ont exposé le système allemand et américain tandis que le professeur Alexandre Gigue a disserté sur le système anglo-saxon. L’occasion de voir que plusieurs fonctionnements sont possibles : système de remboursement semi-public (Allemagne), manque de transparence sur les donateurs, rôle des podcasts virilistes sur la victoire de Trump et rôle des cryptomonnaies (USA), distinction entre partis d’opposition (financés) et partis majoritaires (non-financés) en Angleterre.
Le Président de Transparency International France, Patrick Lefas a conclu sur les campagnes transnationales de désinformation qui faussent la sincérité des scrutins et qui répondent à des circuits de financements opaques. Elles viennent défier le droit dur qui tente d’encadrer et de réglementer le financement traditionnel de la vie politique et elles défient la structuration progressive des règlementations européennes en la matière. Il alerte également sur le rôle des réseaux sociaux pendant les périodes de réserve électorale. Transparency évoque ainsi deux pistes qu’il faudra nécessairement approfondir : imposer la réserve électorale aux réseaux sociaux et permettre aux utilisateurs des réseaux sociaux la possibilité de filtrer à la demande les contenus qui seraient issus d’un pays ou d’un ensemble de pays donnés.
Pour que toute réforme sur le financement de la vie politique soit utile à renforcer la probité des scrutins et à restaurer la confiance des citoyens envers leurs dirigeants, il faut l’articuler à la prise en compte de ces enjeux. A l’heure où les ingérences étrangères dans les élections déstabilisent l’Europe, nous devons avoir le courage d’une réforme qui maintient nos standards, protège l’esprit des lois et fait œuvre de prospective pour demain.
Diane Semerdjian, responsable vie publique