Carrefour, Mr. Bricolage, Decathlon… Aux Antilles, toutes ces enseignes – et d’autres – sont sous le contrôle de GHB. En 2023, le groupe a ainsi réalisé près de 4,5 milliards d’euros de chiffre d’affaire et est pointée du doigt pour son rôle dans le coût de la vie. Les produits alimentaires sont en moyenne 40 % plus chers qu’en Hexagone, selon des chiffres de 2022 établis par l’Insee. Un écart qui a provoqué des manifestations contre la vie chère, émaillées de violences, en septembre et en octobre 2024, notamment en Martinique.
Le 21 février 2025, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) a officiellement ouvert une enquête sur le Groupe Bernard Hayot (GBH), à la suite d’un signalement effectué par Transparency International France. Ce signalement, adressé le 3 février 2025, mettait en lumière une possible omission de déclaration d’activités de représentation d’intérêts de la part de GBH et de certaines de ses structures affiliées.
Un lobbying d’influence passé sous silence
Le 9 janvier 2025, un article du journal Libération révélait les pratiques d’influence du Groupe Bernard Hayot auprès des décideurs politiques. Max Dubois, un ancien conseilller du ministre délégué aux Outre-mer, Jean-François Carenco, décrivait le « lobbying intense » du Groupe Bernard Hayot (GBH), et souligne la « connivence politique » marquant ses interactions avec les autorités locales et nationales. Ces révélations ont conduit Transparency International France à mener une analyse approfondie du répertoire des représentants d’intérêts de la HATVP. Résultat : ni GBH ni ses mandataires, l’Association martiniquaise pour la promotion de l’industrie (A.M.P.I.) et le Comité martiniquais d’organisation et de défense du marché du rhum (Coderum), n’étaient enregistrés, alors même qu’ils semblent exercer des activités de lobbying de manière régulière.
Or, la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 impose aux acteurs exerçant une activité de représentation d’intérêts de s’enregistrer auprès de la HATVP et de déclarer leurs actions. Le non-respect de cette obligation constitue un manquement grave aux principes de transparence et peut être sanctionné.
Le Groupe Bernard Hayot, acteur économique majeur dans les outre-mer, semble avoir mené des actions de lobbying intensif sans se conformer aux obligations légales de déclaration. Transparency International France a documenté ces pratiques à travers plusieurs éléments :
- Des rencontres répétées et non déclarées entre Bernard Hayot, fondateur du groupe, et des ministres en charge des outre-mer. Max Dubois, ancien conseiller spécial du ministre délégué aux outre-mer, Jean-François Carenco, a révélé dans un article de Libération du 9 janvier 2025 : « Lorsque j’étais conseiller spécial, j’ai vu Bernard Hayot venir huit fois en personne rencontrer le ministre ».
- Des échanges directs avec des décideurs publics, comme en témoigne l’audition de Stéphane Hayot, directeur général du GBH, devant la Commission d’enquête sur le coût de la vie dans les collectivités ultramarines en mai 2023. Il y a évoqué des discussions avec des députés et des ministres, sans que ces interactions ne soient déclarées.
- L’absence totale d’enregistrement du Groupe Bernard Hayot et de ses mandataires, tels que l’Association martiniquaise pour la promotion de l’industrie (A.M.P.I.) et le Comité martiniquais d’organisation et de défense du marché du rhum (Coderum), dans le répertoire des représentants d’intérêts de la HATVP. Pourtant, ces entités mènent des actions de lobbying avérées, notamment auprès des autorités locales et nationales.
Une influence structurelle dans les Outre-mer
Ce signalement met en lumière un problème plus large : l’absence de transparence dans les relations entre certaines grandes entreprises et les pouvoirs publics, particulièrement dans les territoires ultramarins. GBH, acteur économique majeur en Outre-mer, occupe une position dominante dans des secteurs clés comme la distribution et l’agroalimentaire. Sa capacité à influencer les décisions publiques, sans en rendre compte officiellement, soulève des inquiétudes quant aux collusions entre intérêts privés et politiques locales.
Cette situation est d’autant plus préoccupante que plusieurs rapports parlementaires et enquêtes journalistiques ont déjà mis en évidence le rôle structurant du lobbying dans la régulation économique de ces territoires. Selon l’article de Libération, l’intervention de GBH aurait contribué à bloquer plusieurs réformes visant à encadrer la concentration économique dans les Outre-mer.
Une enquête pour faire toute la lumière
L’ouverture de cette enquête par la HATVP marque une avancée majeure dans la lutte contre l’opacité du lobbying en France. Elle pourra conduire à plusieurs actions : demandes d’informations officielles auprès de GBH et de ses mandataires, vérifications sur place, voire mise en demeure publique en cas de non-conformité. Transparency International France appelle la HATVP à user de tous les moyens à sa disposition pour garantir que les règles de transparence s’appliquent à tous, sans exception.
Ce cas illustre la nécessité d’un renforcement des contrôles et des sanctions à l’égard des acteurs économiques qui tentent d’influencer les politiques publiques sans respecter leurs obligations légales. L’enjeu est crucial : garantir aux citoyens que les décisions politiques sont prises dans l’intérêt général, et non sous l’influence discrète d’intérêts privés.
Transparency International France continuera à suivre de près l’évolution de cette enquête et à défendre un cadre plus strict et transparent pour la régulation du lobbying en France.