Deux décisions rendues en 2022 par le Tribunal judiciaire de Bobigny démontrent l’existence d’un phénomène de corruption sexuelle en France. La première condamne, pour corruption passive, un gestionnaire pédagogique ayant sollicité des faveurs sexuelles de la part de deux étudiantes, en échange de la modification de leurs notes. La seconde condamne, pour corruption passive également, un agent public départemental ayant sollicité des faveurs sexuelles de la part d’une mineure placée à l’Aide sociale à l’enfance, en échange d’une aide financière.
Il n’existe à ce jour aucune étude permettant de mesurer l’ampleur du phénomène de la corruption sexuelle en France, ni aucun cadre légal spécifique permettant de l’appréhender.
Pourtant, en décembre 2023, la Conférence des États parties à la Convention des Nations Unies contre la corruption (CNUCC) avait déjà encouragé les États parties, dont la France, à « sensibiliser au fait que d’exiger des relations sexuelles ou des actes de nature sexuelle dans le cadre d’un abus d’autorité peut être considéré comme une forme particulière de corruption et à combler d’éventuelles lacunes législatives ».
Une forme particulière de corruption
La corruption sexuelle peut être définie comme l’utilisation d’un pouvoir confié en délégation, aux fins d’exploiter sexuellement celles ou ceux qui en dépendent. C’est une forme particulière de corruption dans laquelle la monnaie d’échange est un acte à caractère sexuel.
Elle se distingue néanmoins du délit traditionnel de corruption en ce qu’elle revêt en outre une dimension contraignante, ou coercitive, et sexuelle. En effet, la corruption traditionnelle repose généralement sur un rapport de force symétrique entre corrupteur et corrompu, dénué de considérations de vulnérabilité ou d’abus d’une position d’autorité.
Cette vulnérabilité circonstancielle est pourtant indispensable à la compréhension de la situation de fait qui caractérise la corruption sexuelle. Lorsqu’une personne se trouve en position d’autorité à l’égard d’une personne particulièrement vulnérable, par exemple en raison de sa situation sociale ou économique, et exige l’accomplissement d’un acte à caractère sexuel en échange d’un acte de sa fonction, la contrainte exercée sur la personne vulnérable fausse nécessairement toute recherche d’une intention corruptive de sa part ainsi que l’idée d’un consentement libre et éclairé à un acte sexuel.
Au vu de ce rapport de force asymétrique, la corruption sexuelle peut être plus convenablement dénommée abus d’autorité corruptif à des fins sexuelles.
Des régimes existants limités
Or, le cadre légal français distingue nettement les infractions de corruption, les infractions sexuelles, et les infractions constitutives d’un abus d’autorité. Au croisement de ces trois notions, la corruption sexuelle se concilie difficilement avec chacune d’entre elles et révèle les limites des régimes existants :
- La répression de la corruption implique en principe la mise en cause du corrupteur, au titre de la corruption active, et du corrompu, au titre de la corruption passive. Or, il est malaisé d’envisager la poursuite pénale d’une personne en situation de vulnérabilité qui se voit exiger un acte à caractère sexuel. On perçoit donc la difficulté d’appréhender, sous le prisme unique de la corruption, les dimensions sexuelle et contraignante de ce fait.
- Les infractions d’agression sexuelle et de viol exigent la preuve d’un acte matériel, à savoir une atteinte sexuelle, et de sa réalisation par violence, menace, contrainte ou surprise. Ainsi, le fait qu’un acte à caractère sexuel soit exigé, mais que celui-ci ne se matérialise finalement pas, ne permet pas de poursuivre l’auteur de cette sollicitation sur le fondement d’une infraction sexuelle. De plus, même lorsque l’atteinte sexuelle a lieu, la personne atteinte se trouve alors confrontée à la difficulté d’établir la preuve d’une contrainte exercée sur sa personne.
- Enfin, les infractions d’abus d’autorité sont au nombre de quatre dans le code pénal et concernent des situations spécifiques : les atteintes à la liberté individuelle ; les discriminations ; les atteintes à l’inviolabilité du domicile et les atteintes au secret des correspondances.
Un rapport pour explorer l’étendue du phénomène
La justice peine donc à apporter une réponse harmonisée aux cas de corruption sexuelle, optant parfois pour des poursuites sur le fondement tant des infractions sexuelles que des atteintes à la probité. La réponse pénale ne garantit donc pas l’absence de poursuites sur le fondement de la corruption active ni que les faits dans leur globalité puissent être appréhendés dans toutes leurs dimensions – corruptive, contraignante et sexuelle.
Au regard de la connaissance insuffisante relative à ce phénomène et, par conséquent, de son traitement judiciaire inadapté, Transparency International France appelle les sénateurs qui s’apprêtent à examiner la proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol, à adopter un amendement demandant au gouvernement l’élaboration d’un rapport qui explorerait l’étendue du phénomène ses réalités, la capacité et les limites des infractions pénales existantes pour l’appréhender et le réprimer effectivement. Cela afin d’interroger la pertinence de créer une nouvelle infraction spécifique d’abus d’autorité corruptif à des fins sexuelles, comme il peut déjà en exister dans d’autres pays.
Juliette Wangen