Exiger des comptes aux puissants peut être un acte dangereux. Les individus courageux qui révèlent les actes répréhensibles de gouvernements, d’organisations publiques ou d’entreprises privées s’exposent souvent à des risques – harcèlement, mise sur liste noire, campagnes de diffamation, voire violences physiques, persécutions ou arrestations. Et pourtant, ils continuent de s’engager pour plus de transparence et de redevabilité, afin que les fonds publics soient utilisés comme il se doit.
Le droit individuel à la liberté d’expression inclut le droit de signaler des actes répréhensibles – que ce soit dans le secteur public ou privé. Celles et ceux qui s’expriment doivent être protégés, non punis.
C’est pourquoi, au cours de la dernière décennie, nous avons plaidé pour l’adoption et la mise en œuvre de cadres solides de protection des lanceurs d’alerte, ainsi que pour le développement d’outils destinés à aider les organisations à mettre en place des systèmes internes de signalement efficaces.
Des avancées législatives
La protection juridique est la pierre angulaire d’un système d’alerte efficace. Lorsque les citoyens disposent de moyens sûrs et efficaces pour signaler des abus, c’est toute la société qui en bénéficie. Or, dans de nombreux pays, les lois ne couvrent qu’un secteur limité, ou n’exonèrent pas les lanceurs d’alerte de toute responsabilité civile ou pénale. Parfois, les canaux de signalement restent flous, inaccessibles ou peu sûrs. Les représailles sont fréquentes, tandis que les responsables restent souvent impunis.
Ces dix dernières années, nous avons contribué à l’élaboration de normes internationales et à des réformes juridiques nationales visant à protéger ceux qui osent dénoncer les abus dans les gouvernements, les institutions publiques et les entreprises privées.
Parmi nos principales initiatives figurent les Principes internationaux pour la législation sur les lanceurs d’alerte et un Guide des bonnes pratiques législatives, largement adoptés ou cités par les gouvernements, la société civile et les institutions internationales – y compris dans le cadre de la Directive européenne sur la protection des lanceurs d’alerte.
Transparency International a également fait partie d’une coalition d’ONG qui a joué un rôle clé dans l’adoption de cette directive européenne en octobre 2019. Celle-ci constitue une base solide pour une protection uniforme et robuste des lanceurs d’alerte dans l’UE. Nous avons ensuite collaboré avec les États membres et pays candidats pour garantir une bonne transposition de la directive au niveau national, et suivi sa mise en œuvre. Tous les États membres ont aujourd’hui adopté des lois en ce sens, mais notre analyse montre que la majorité d’entre eux présentent encore des lacunes importantes, notamment en matière de soutien aux lanceurs d’alerte. Des constats similaires sont observés dans les pays candidats à l’UE : les lois existent parfois, mais leur application est faible et la sensibilisation du public à ce droit reste limitée. Nous poursuivons notre travail avec les gouvernements et les parties prenantes pour renforcer les cadres nationaux et suivre les progrès.
Même lorsque des standards internationaux existent, leur mise en œuvre efficace requiert une réelle volonté politique, des ressources adéquates, une surveillance constante et une coopération multi-acteurs forte.
Le rôle du secteur public et privé
Le signalement d’alerte permet aussi aux entreprises de se prémunir contre les effets des irrégularités : responsabilités juridiques, pertes financières et atteintes à leur réputation. Un bon système de signalement interne favorise une culture d’entreprise fondée sur la confiance et la réactivité. Des recherches montrent que les organisations qui écoutent leurs lanceurs d’alerte identifient les problèmes plus tôt et construisent ainsi des environnements de travail plus sains et plus performants.
Pour aider les organisations publiques et privées, nous avons développé un ensemble complet de ressources pour concevoir, évaluer et améliorer leurs dispositifs internes de signalement. Nos principes de bonnes pratiques décrivent les éléments clés d’un système efficace, et notre cadre d’autoévaluation permet aux organisations d’évaluer la conception et la mise en œuvre de leurs dispositifs.
En collaboration avec Transparency International Ireland, nous avons aussi développé un nouvel outil :
- Surveiller les systèmes internes d’alerte : un cadre pour la collecte de données et l’évaluation des performances et de l’impact
Cet outil permet aux organisations d’aller au-delà des simples listes de conformité : il propose des indicateurs pour mesurer le bon fonctionnement du système – nombre et nature des signalements, niveau de confiance des utilisateurs, cas de représailles, ressources allouées… Il fournit également des conseils pour communiquer ces données en interne et en externe, afin de renforcer la confiance, l’apprentissage organisationnel et la redevabilité.
Plusieurs sections nationales de Transparency International ont développé des outils similaires adaptés à leur contexte, ainsi que des formations et des accompagnements pour les organisations. Aux Pays-Bas, Transparency International a évalué la protection des lanceurs d’alerte dans les 70 plus grandes entreprises du pays et formulé 20 recommandations concrètes, comme la garantie de l’anonymat et la promotion d’une culture propice au signalement. En Italie, la section locale propose une plateforme de signalement en ligne gratuite et sécurisée aux administrations publiques.
Soutien aux lanceurs d’alerte
Transparency International dispose de Centres de conseil juridique et de plaidoyer (ALAC) dans plus de 60 pays. Ces centres fournissent un accompagnement confidentiel aux individus dénonçant la corruption et permettent d’identifier les obstacles concrets rencontrés sur le terrain, tout en proposant des solutions pratiques.
En mars 2023, par exemple, Transparency International Hongrie a reçu le signalement d’un lanceur d’alerte dénonçant de la corruption dans un hôpital public, et l’a accompagné dans le dépôt d’une plainte officielle auprès de l’Autorité nationale de protection, qui a ensuite ouvert une enquête. En 2019, Transparency International Liban s’est associé à des journalistes d’investigation pour dénoncer les rejets illégaux d’eaux usées et de déchets industriels dans le fleuve Litani – et la corruption ayant empêché toute action. Le documentaire produit a suscité un tollé national et les opérations de nettoyage sont désormais en cours.
Et maintenant ?
L’alerte éthique consiste à faire la lumière sur les pratiques nuisibles qui nourrissent la corruption et à construire des systèmes où chacun, quel que soit son genre, son origine ou son statut, peut s’exprimer en toute sécurité.
Cela exige l’engagement des gouvernements, des organisations publiques et privées, et de l’ensemble de la société. Nous appelons donc les autorités à valoriser l’alerte en aidant les entreprises à renforcer leurs dispositifs de signalement, à évaluer l’efficacité des lois de protection, et à créer un climat où parler devient un acte sûr.
Les organisations de la société civile, les syndicats, les employeurs, les associations professionnelles, les médias indépendants, les chercheurs et les acteurs communautaires sont des partenaires clés dans le développement et la mise en œuvre de législations et de pratiques efficaces. Leur rôle dans la sensibilisation, le conseil indépendant, le suivi et l’expertise est essentiel : les États devraient donc institutionnaliser leur participation à chaque étape, dès la rédaction des lois jusqu’à leur mise en œuvre, en passant par la formation et l’évaluation.
Ce n’est qu’à ce prix que nous pourrons construire une société plus transparente et plus sûre pour toutes et tous.
Les outils mentionnés :
- Monitoring Internal Whistleblowing Systems: A framework for collecting data and reporting on performance and impact et Internal whistleblowing system: Self-assessment framework for public and private organisations ont été produits dans le cadre du projet européen SAFE4Whistleblowers.
- Best practice principles for internal whistleblowing systems et le rapport How well do EU countries protect whistleblowers? ont été développés dans le cadre du projet européen Speak Up Europe.
- Le suivi de la mise en œuvre des recommandations des Systèmes d’Intégrité Nationaux dans les Balkans occidentaux et en Turquie a été financé par le projet CEPI – Citizen Engagement for Public Integrity, également soutenu par l’Union européenne.