
Le 25 septembre 2025, la 32ème chambre du tribunal correctionnel de Paris a condamné Nicolas Sarkozy, Claude Guéant et Brice Hortefeux pour association de malfaiteurs en vue de la préparation du délit de corruption. Une décision historique et inédite, alors qu’aucun homme politique français n’a jamais été condamné pour des faits d’association de malfaiteurs.
- Qu’est-ce qu’une association de malfaiteurs ?
En vertu de l’article 450-1 du Code pénal, l’association de malfaiteurs est définie comme « tout groupement formé ou entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un ou plusieurs crimes ou d’un ou plusieurs délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement ».
Cette infraction est définie dans le code pénal sous le titre des crimes et délits contre la nation, l’Etat et la paix publique (articles 410-1 à 450-5).
Le recours aux termes « groupement » ou « entente » implique, en premier lieu, que l’infraction ne peut être commise par un seul individu : il faut nécessairement au moins deux participants, sans qu’il soit exigé une structure hiérarchique, à la différence de la bande organisée.
À cet égard, dans le cadre de l’affaire dite des financements libyens, le tribunal a retenu que Messieurs Nicolas Sarkozy, Claude Guéant, Brice Hortefeux et Ziad Takieddine avaient constitué un groupement.
En second lieu, l’infraction suppose que le groupement ou l’entente poursuive un objectif déterminé : la préparation d’un crime ou d’un délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement. En l’espèce, le tribunal relève que l’objectif poursuivi par Nicolas Sarkozy, Claude Guéant, Brice Hortefeux et Ziad Takieddine aurait été la conclusion d’un pacte de corruption avec le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, infraction punie de dix années d’emprisonnement, en vue d’obtenir des financements pour la future campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en échange de contreparties diplomatiques, économiques et juridiques.
Enfin, la caractérisation de l’association de malfaiteurs implique que chaque membre poursuivi ait eu la volonté de participer au groupement, en ayant connaissance du caractère délictueux du but poursuivi. A cet égard, comme l’a relevé le tribunal, la proximité établie entre Ziad Tiakkedine, Claude Guéant et Brice Hortefeux et leurs rencontres avec certains hauts dirigeants lybiens ne trouveraient pas d’autre explication cohérente ou crédible que celle de collaborer volontairement et conjointement à la commission d’une infraction de corruption. Selon le tribunal, Nicolas Sarkozy ne pouvait quant à lui ignorer ces échanges du fait de ses relations avec Claude Guéant, alors directeur de cabinet et Brice Hortefeux, ministre délégué.
Il n’est pas nécessaire que l’infraction visée par l’association de malfaiteurs ait été effectivement réalisée ou même tentée. A titre d’exemple, l’association de malfaiteurs terroristes vise à appréhender tout acte préparatoire à la commission d’un acte terroriste, quand bien même celui-ci n’aurait pas donné lieu à un attentat. Ces éléments rappellent que l’association de malfaiteurs, loin d’être une simple infraction « fourre-tout », réprime les actes préparation à la commission d’une infraction, à travers la répétition de contacts toxiques et d’intermédiaires mettant leurs réseaux et leurs intérêts au service d’opérations occultes.
Alors que de nombreuses affaires de criminalité économique et financière conduisent simplement à la mise en cause pénale des exécutants ou intermédiaires, le recours à l’infraction d’association de malfaiteurs permet d’appréhender également la responsabilité du donneur d’ordre, premier bénéficiaire des actes préparatoires entrepris.
- Qu’est-ce qu’un mandat de dépôt ?
Au stade du jugement, le mandat de dépôt est un acte juridique ordonnant le placement ou le maintien en détention d’un condamné à de la prison ferme.
A l’issue d’un procès, si la peine prononcée est un délit d’au moins une année d’emprisonnement sans sursis, le tribunal peut, par décision spéciale et motivée, lorsque les éléments de l’espèce justifient une mesure particulière de sûreté, décerner mandat de dépôt ou d’arrêt contre le prévenu (article 465 du code de procédure pénale).
Le mandat de dépôt est l’ordre donné au chef de l’établissement pénitentiaire de recevoir et de détenir la personne à l’encontre de laquelle il est décerné (article 122 du code de procédure pénale). Cela revient concrètement à prononcer l’incarcération immédiate de l’individu visé, qui sera conduit à l’issue de l’audience dans un établissement pénitentiaire désigné par l’administration.
Au cours du délibéré prononcé dans l’affaire des financements libyens le 25 septembre 2025, le tribunal correctionnel a prononcé deux mandats d’arrêt à l’encontre des intermédiaires Wahib Nacer et Alexandre Djouhri. Dans le même temps, le tribunal a prononcé un mandat d’arrêt à effet différé à l’encontre de l’ancien Président de la République Nicolas Sarkozy.
Introduit par la loi du 23 mars 2019, le mandat dépôt à effet différé permet au tribunal de prononcer un mandat de dépôt tout en différant son exécution en cas de condamnation supérieure à 6 mois (article 464-2 du code de procédure pénale). Le condamné reste libre à l’issue de l’audience, mais doit se présenter ultérieurement (dans un délai maximal d’un mois) devant le procureur pour fixer la date de son incarcération.
- Qu’est-ce que l’exécution provisoire ?
L’exécution provisoire d’une peine est un mécanisme juridique permettant de mettre en œuvre immédiatement une décision de justice, sans attendre l’issue d’un éventuel appel. Autrement dit, la peine est exécutoire dès son prononcé. Cette mesure peut aussi bien viser des peines principales, comme celles d’un emprisonnement avec mandat de dépôt, que des peines complémentaires, comme une peine d’inégibilité, qui avait été prononcée à l’encontre de Marine Le Pen à l’issue du procès des assistants parlementaires du RN. Dans un arrêt rendu le 23 août 2017, la Chambre criminelle de la Cour de cassation précise que l’exécution provisoire se justifie par un objectif d’intérêt général visant à favoriser l’exécution de la peine et à prévenir la récidive.
Lorsqu’il décerne un mandat de dépôt à effet différé, le tribunal correctionnel peut donc assortir ce mandat de l’exécution provisoire. C’est la décision qui a été prise par le tribunal correctionnel à l’encontre de Nicolas Sarkozy dans l’affaire des financements libyens, ce qui déroge au principe suspensif de l’appel, et garantit l’incarcération malgré les voies de recours envisagées.
Le tribunal doit spécialement motiver sa décision, au regard des faits de l’espèce et de la personnalité de leur auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale, afin de justifier les raisons pour lesquelles il estime devoir prononcer un mandat de dépôt avec exécution provisoire. En l’occurrence, pour justifier sa décision, le tribunal a rappelé que les faits d’association de malfaiteurs établis à l’encontre de Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux, Claude Guéant et Ziad Tiakkeddine étaient d’une gravité exceptionnelle, en ce qu’ils portaient une atteinte à l’ordre public et altéraient la confiance des citoyens à l’égard de ceux qui les représentent. Il convient de rappeler par ailleurs que cette condamnation – qui n’est pas encore définitive – intervient dans la continuité d’une condamnation définitive de Nicolas Sarkozy pour corruption dans l’affaire dite « des écoutes » le 18 décembre 2024.
- La recevabilité de l’action civile des associations anti-corruption
De façon inédite, les trois associations anti-corruption Sherpa, Anticor et Transparency International France se sont constituées parties civiles dans le procès dit des « financements libyens ». Les associations anti-corruption disposent en effet d’un agrément pour se constituer partie civile lors de l’instruction ou à l’audience dans les affaires d’atteintes à la probité, dont la corruption, le trafic d’influence et leur blanchiment (article 2-23 du code de procédure pénale), toutes visées dans ce procès.
En conséquence, celles-ci n’ont pas à démontrer l’existence d’un préjudice « direct et personnel » résultant de l’infraction afin d’obtenir une réparation du dommage causé par un crime ou un délit. Le préjudice est en effet caractérisé par la nature même de l’infraction, directement corrélée à l’objet social des associations.
Cet agrément ne s’étend toutefois pas aux infractions de financement illégal de campagne électorale, ni à celle d’association de malfaiteurs. Au cours des débats, les trois associations anti-corruption ont donc dû démontrer l’existence d’un préjudice direct et personnel causé par les deux infractions précitées, dont la nature même est difficilement dissociable des infractions d’atteintes à la probité visées par la prévention.
A l’issue du délibéré, le tribunal a reconnu la recevabilité des trois associations anti-corruption à faire valoir leurs préjudices sur le fondement de l’association de malfaiteurs, en rappelant la connexité qui existe entre cette infraction et les atteintes à la probité au sens large. C’est une décision bienvenue, qui atteste de la grande porosité entre corruption et criminalité organisée. Elle rappelle également le rôle joué par la société civile dans les affaires de grande délinquance financière, tout en ouvrant la voie à un élargissement de l’agrément prévu par l’article 2-23 du code de procédure pénale aux infractions connexes.