Marchés publics et plans de relances en temps de crise : la transparence au défi de l’urgence sanitaire
Publié le 20-04-2020
Alors que les mesures d’exception se multiplient pour lutter contre les terribles conséquences de la pandémie de Covid-19, les mesures de prévention de la corruption adoptées ces dernières années en France subissent une mise à l’épreuve sans précédent qui ne doit pas conduire à leur remise en cause. La nécessité d’agir vite et fort face à l’urgence autorise en effet certains aménagements temporaires et limités du cadre juridique, mais en aucun cas elle ne justifierait des entorses aux principes essentiels de transparence et de redevabilité qui sont les garants de l’efficacité de l’action publique.
La commande publique constitue le premier outil utilisé par l’Etat et les collectivités territoriales durant cette crise, via l’achat de produits de première nécessité. Or il s’agit déjà d’un des domaines les plus concernés par le risque de corruption en temps normal, mais également un des plus encadrés juridiquement. Le code de la commande publique prévoit néanmoins des dérogations en cas « d’urgence impérieuse », notamment sous condition de danger ponctuel imminent pour la santé publique telle qu’il apparait aujourd’hui. Le contrat public urgent peut alors être conclu sans publicité ni mise en concurrence préalables. Ces exceptions au droit s’inscrivent dans un contexte géographique plus large, l’Union européenne ayant précisé dans de récentes lignes directrices les adaptations nécessaires à la commande publique dans les Etats-membres, et concernent des domaines plus larges, avec la publication récente d’un décret pérennisant le droit de dérogation reconnu au préfet sur des normes arrêtées par l’Etat. Transparency International France reconnait la nécessité de ces exceptions tant qu’elles restent strictement proportionnées à l’état d’urgence sanitaire dans le temps, et qu’elles permettent un gain réel d’efficacité sans remettre en cause l’état de droit. Dans le cas de la commande publique, l’Etat a ainsi rappelé par la voix de la direction des affaires juridiques de Bercy que les dérogations au code de la commande publique sont strictement limitées à des marchés publics en lien avec la lutte contre l’épidémie ou à ses conséquences immédiates.
Le contexte de pénurie sur certains marchés comme celui des masques chirurgicaux suscite néanmoins une concurrence éthiquement contestable, voire des comportements de recel illégal, qui multiplient le risque de corruption. Face à cette situation, la tentation de profiter des assouplissements nécessaires du cadre juridique pour renforcer l’opacité de la commande publique est réelle. Cette tentation est dangereuse et contre-productive. Loin de sécuriser un approvisionnement vital, elle n’aurait pour effet que de renforcer les détournements ou « dessous de table » en tous genres et de raviver la défiance entre les acteurs publics à l’heure même où la coordination nationale et européenne, voire mondiale se révèle indispensable.
Pour pallier ces risques, la transparence est plus que jamais nécessaire et elle ne constitue en aucun cas un frein à l’exécution rapide de l’action publique. Pour les marchés publics, nos recommandations restent ainsi inchangées : publication systématique des marchés publics conclus en ligne dans un standard unique facilitant l’exploitation et la réutilisation. A cet égard le travail mené par l’Ukraine en partenariat avec la section locale de Transparency International se montre exemplaire. Les récentes réformes anti-corruption du pays obligent tous les contrats d’urgence à être publiés dans leur intégralité, et grâce à un outil de veille développé par la société civile, il est possible de suivre le prix des fournitures médicales essentielles dans les différentes régions du pays, et de garantir la bonne allocation de ces ressources pour le traitement des citoyens. En France, la publication exhaustive des données essentielles de la commande publique est toujours en cours sous l’égide de l’administration Etalab et nous espérons que cette mission contribuera utilement à la gestion efficace de cette crise. Après la commande publique d’urgence, le second outil qui sera mobilisé par l’Etat pour répondre à la crise sera celui des plans de relance budgétaires et monétaires en soutien aux entreprises. Leur ampleur s’annonce historique : la France prévoit un ensemble de mesures s’élevant à 426 milliards d’euros, soit 17% de son PIB, la BCE prévoit d’injecter 1050 milliards d’euros dans l’économie européenne, et le FMI a annoncé des mesures d’aides aux gouvernements de plus de 1000 milliards de dollars. Les enjeux autour de l’allocation de ces sommes et garanties publiques au secteur privé sont gigantesques et le risque d’un accaparement d’une partie de cet argent au détriment de l’intérêt général est inévitable et s’est déjà matérialisé dans différents pays. Pour garantir l’efficacité de l’action publique, il sera donc indispensable de conditionner l’octroi de ces fonds et garanties à la mise en œuvre de mesures essentielles : transparence totale sur les critères d’allocation et les destinataires, contrôle de l’utilisation des fonds d’urgence et renforcement du cadre légal anti-corruption et anti-blanchiment. En temps de crise sanitaire plus que jamais, la corruption se paie littéralement en vies humaines et la transparence s’avère vitale.
Pour en savoir plus
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Découvrez la déclaration de la coalition pour la protection des lanceurs d’alerte composée de plus de 90 organisations : COVID-19 / Transparency International France se joint à la coalition pour protéger les lanceurs d’alerte en temps de pandémie