Selon l’édition 2022 de l’indice de perception de la corruption publié chaque année par Transparency International France, plus des deux tiers des 180 pays analysés font face à une corruption endémique : 154 pays sont en recul ou sans aucun progrès notable. 95 % des pays ont fait peu ou pas de progrès depuis 2017 et la moyenne mondiale reste inchangée pour la onzième année consécutive.
Si on rapporte ce constat à la part que représentent les pays dans les exportations mondiales on ne peut qu’être frappé par le recul général de la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales. En deux ans, la lutte contre la corruption des agents publics étrangers n’a presque pas progressé. Selon l’édition 2022 du rapport « Exporting Corruption » publié tous les deux ans par Transparency International, 19 pays qui représentent 36% des exportations mondiales ne luttent pas ou peu contre la corruption. A l’échelle de l’Union européenne, le tableau est encore plus sombre et deux Etats membres enregistrent un déclin brutal. En deux ans, l’Espagne, l’Italie, le Portugal et la Suède passent de la catégorie « mise en œuvre modérée » à la catégorie « mise en œuvre limitée », tandis que la majorité des Etats membres de l’Union européenne demeurent classés dans la catégorie « mise en œuvre inexistante », parmi lesquels la Belgique, le Danemark, la Finlande et le Luxembourg. Responsable de 3,5% des exportations mondiales, la France se maintient dans la catégorie « mise en œuvre modérée. Vingt-cinq ans après la signature de la Convention de l’OCDE, la plupart des pays sont encore loin de respecter leurs obligations au titre de la Convention.
Enfin, l’analyse croisée de l’évaluation Exporting Corruption 2022 avec d’autres indicateurs, tels que le Financial Secrecy Index qui classe les places financières les moins transparentes au monde, révèle que la lutte contre la corruption demeure généralement décorrélée de la lutte contre l’opacité financière. Pourtant, la lutte contre la corruption transnationale ne saurait être efficace que si elle s’accompagne d’un combat contre le recyclage et le blanchiment du produit de la corruption dans nos économies.
Face à ces constats dans un monde dont les défis environnementaux et sociaux n’ont jamais été aussi urgents, les entreprises doivent s’engager durablement pour porter la lutte contre la corruption au plus haut niveau de leur responsabilité sociétale. Elles doivent démontrer à leurs parties prenantes que les déclarations d’engagement de lutter contre la corruption correspondent à leurs actions et que ces actions sont à la hauteur des enjeux auxquels elles doivent prendre part de manière urgente.
Le 5 janvier 2023, la directive CSRD est entrée en vigueur au niveau européen. Cette nouvelle directive renforce les règles concernant les informations sociales et environnementales que les entreprises doivent déclarer. Un ensemble plus large de grandes entreprises, ainsi que des PME cotées, seront désormais tenues de faire un rapport sur la durabilité – environ 50 000 entreprises au total.
Selon les termes de la directive : « les nouvelles règles garantiront que les investisseurs et les autres parties prenantes ont accès aux informations dont ils ont besoin pour évaluer les risques d’investissement découlant du changement climatique et d’autres problèmes de durabilité. Ils créeront également une culture de transparence relativement à l’impact des entreprises sur les personnes et l’environnement. Enfin, les coûts de reporting seront réduits pour les entreprises à moyen et long terme en harmonisant les informations à fournir. » « Les bénéficiaires finaux d’une meilleure publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises seraient les particuliers et les épargnants, y compris les syndicats et les représentants des travailleurs qui seraient informés de manière appropriée et seraient ainsi en mesure de participer au dialogue social dans de meilleures conditions. Les épargnants qui souhaitent investir de manière durable auront l’opportunité de le faire, tandis que tous les citoyens bénéficieraient d’un système économique stable, durable et inclusif. Pour concrétiser ces avantages, les informations en matière de durabilité publiées dans les rapports annuels des entreprises doivent d’abord atteindre deux groupes d’utilisateurs primaires. Le premier groupe d’utilisateurs comprend les investisseurs, y compris les gestionnaires d’actifs, qui souhaitent mieux comprendre les risques et les opportunités que présentent les questions de durabilité pour leurs investissements et les incidences de ces investissements sur la population et l’environnement. Le deuxième groupe d’utilisateurs comprend des acteurs de la société civile, y compris des organisations non gouvernementales et des partenaires sociaux, qui souhaitent que les entreprises rendent mieux compte de leurs incidences sur la population et l’environnement. D’autres parties prenantes pourraient également utiliser les informations en matière de durabilité publiées dans les rapports annuels, notamment pour favoriser la comparabilité entre les secteurs du marché et au sein de ceux-ci. »
Les premières entreprises devront appliquer les nouvelles règles pour la première fois au cours de l’exercice 2024, pour des rapports publiés en 2025.
Les entreprises soumises à la directive CSRD devront faire un rapport conformément aux normes européennes de reporting sur le développement durable (ESRS). Les projets de normes ont été élaborés par l’European Financial Reporting Advisory Group (EFRAG)9. La Commission devrait adopter le premier ensemble de normes d’ici la mi-2023, sur la base des projets de normes publiés par l’EFRAG en novembre 202210 .
La directive CSRD rend également obligatoire pour les entreprises un audit des informations de développement durable qu’elles rapportent. En outre, elle prévoit la numérisation des informations sur la durabilité.
C’est dans ce contexte que le Haut conseil du commissariat aux comptes (H3C), qui travaille actuellement, à la demande du ministère de la Justice, à l’élaboration d’un avis technique pour encadrer les travaux attendus des professionnels dans le cadre des normes européennes, a consulté Transparency International France pour appréhender les différents points d’attention qui impacterait les travaux des contrôleurs. Transparency International France participe en effet à la réflexion menée sur les indicateurs du rapport de durabilité, lequel constitue une avancée majeure quant à la transparence attendue sur les engagements et les actions des entreprises en matière de lutte contre la corruption, notamment.
En effet, par le scope des entreprises incluses dans le champ de la directive, le rapport de durabilité impose aux entreprises, qui jusqu’alors n’étaient pas contraintes de lutter contre la corruption (parce qu’en deçà des seuils de la loi Sapin II ou parce qu’entreprises n’ayant pas leur siège social dans l’union européenne), de se « mettre à niveau » de manière unifiée et de communiquer des informations fléchées sur la prévention et les mesures de remédiation, en fonction de l’importance des enjeux qu’elles auront identifiés.
En outre, ces rapports de durabilité et les audits dont ils feront l’objet, qui seront publiés et balisés selon un format unifié, permettront aux parties prenantes de confronter les informations aux actions et de comparer les travaux réalisés dans les différents Etats membres de l’Union Européenne. L’ensemble des parties prenantes de l’organisation pourra ainsi mesurer les progrès, comparer les entreprises d’un même secteur d’activité, évaluer les informations fournies, et en apprécier la cohérence. Il convient de rappeler sur ce point les objectifs de la directive : « L’assurance de l’information en matière de durabilité à laquelle procéderont les contrôleurs légaux des comptes ou les cabinets d’audit contribuera à lier les informations financières et les informations en matière de durabilité et à garantir leur cohérence, ce qui est particulièrement important pour les utilisateurs des informations en matière de durabilité. »
De plus, la directive impose aux entreprises de publier des informations à la fois sur les incidences des activités de l’entreprise sur la population et l’environnement et sur la manière dont les questions de durabilité influent sur l’entreprise.
Enfin, le caractère prospectif de ces rapports15, qui permettra aux entreprises d’indiquer dans quels délais elles entendent s’améliorer dans la prévention, et remédier aux « incidents » relevés en matière de corruption notamment16, offre un outil innovant qui doit permettre à la lutte contre la corruption de progresser :Transparency International France, qui accompagne les entreprises depuis près de 30 ans dans leur mise en oeuvre des meilleurs standards en la matière, entend formuler des recommandations17 qui permettent aux audits réalisés de s’assurer que les entreprises matures publient des informations fiables, qui identifient des cibles à atteindre dans le cadre d’une démarche de progrès.
Par Laurence Fabre
Responsable du programme secteur privé à Transparency International France