Commission d’enquête du Sénat sur TotalEnergies : Des lacunes et des perspectives de progrès pour la transparence du lobbying.

Commission d’enquête du Sénat sur TotalEnergies : Des lacunes et des perspectives de progrès pour la transparence du lobbying.

Sur une initiative du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires (GEST) du Sénat, la commission d’enquête relative à TotalEnergies a publié son rapport le 14 juin 2024. Ses auditions ont été l’occasion de montrer les lacunes persistantes dans la transparence du lobbying en France sur 3 points : les agendas des membres de l’exécutif, les informations déclarées par les représentants d’intérêts au répertoire de la HATVP et les informations disponibles sur les mobilités public/privé en France. Transparency International France a formulé 3 recommandations aux membres de la commission d’enquête, dont une a été reprise en partie dans le rapport final.

L’objectif de la commission d’enquête sur TotalEnergies était d’examiner les moyens mobilisés et mobilisables par l’État pour assurer la prise en compte et le respect par le groupe TotalEnergies des obligations climatiques et des orientations de la politique étrangère de la France et de permettre ainsi de mieux comprendre « comment s’articulent la politique publique de l’État en faveur de la transition énergétique et les contraintes d’une grande entreprise multinationale privée ». A ce titre, les sénateurs se sont notamment intéressés aux actions de lobbying de TotalEnergies et de ses filiales. Cet intérêt pour le lobbying d’une entreprise majeure dans l’exploration, la production d’hydrocarbures (2,46 millions de barils équivalent pétrole par jour) et le raffinage (1,8 million de barils par jour) s’explique par la montée en puissance de « l’obstruction climatique », c’est à dire le lobbying mené par des organisations privées pour retarder et limiter la mise en œuvre des politiques publiques nécessaires à la lutte contre le dérèglement climatique, qui trouve leur débouché politique dans le programme de certains partis. Pour lutter contre ce phénomène, il est nécessaire de mieux le comprendre et donc de faire toute la transparence sur le lobbying.


Les travaux de la commission d’enquête ont permis d’illustrer plusieurs lacunes de la transparence des actions de lobbying en France et Transparency International France a défendu auprès des sénateurs trois propositions pour y remédier, à savoir la révision du répertoire des représentants d’intérêts, la publication des agendas des membres de l’Exécutif et la publication des informations détenues par la HATVP sur les mobilités public/privé.

  • La révision du répertoire des représentants d’intérêts : lors de son audition, le responsable des affaires publiques de TotalEnergies a affirmé que 68 % des actions de représentation déclarées par son entreprise à la HATVP visaient le développement des énergies renouvelables et de l’économie circulaire. Si ce chiffre semble correspondre effectivement aux informations déclarées par TotalEnergies qui revendique une production nette d’électricité de 9,6 Twh, soit 1,2 % de la production totale d’électricité, il serait utile de disposer d’informations plus précises sur l’intensité de chaque action de lobbying déclarée pour les mettre en perspective. Les « actions de représentation d’intérêts » qui doivent être déclarées annuellement à la HATVP correspondent en effet plutôt à des objectifs de lobbying, qui peuvent être portées par plusieurs actions concrètes (rendez-vous avec un responsable public, envoi d’un rapport par mail, etc.). Il est donc possible pour un représentant d’intérêts d’optimiser sa déclaration en détaillant précisément en plusieurs actions de représentation d’intérêts ses actions de lobbying « positives », et en agrégeant en une seule action ses actions de lobbying « négatives ». Pour distinguer l’intensité du lobbying effectué pour défendre les différentes actions déclarées à la HATVP, il serait nécessaire d’obliger les représentants d’intérêts à déclarer des informations plus précises, comme par exemple le nombre de rendez-vous effectués, les documents de lobbying envoyés, l’identité des responsables publics visés ou la référence exacte des décisions publiques visées. Ceci nécessiterait une révision du cadre légal s’appliquant aux lobbys en France. Celui-ci est issu de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin 2, . Il comporte de nombreuses lacunes suite à un décret d’application qui a vidé cette loi de l’essentiel de sa substance et n’a toujours pas été révisé malgré de multiples appels. Plus d’informations sur nos recommandations ici.
  • La publication de l’agenda des membres de l’exécutif : L’ONG Greenpeace France a réussi à obtenir des informations relatives aux rendez-vous entre le PDG de Total Energies et l’Elysée ou Matignon en 2022 et 2023 après un recours adressé au tribunal administratif de Paris pour obtenir la communication de ces éléments que l’exécutif refusait de fournir malgré un avis positif de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA). Ces informations ne devraient pas être si difficiles d’accès, et les membres de l’Exécutif devraient les publier systématiquement dans un format « open data ». Cette publication est opérée de façon hétérogène pour l’instant, comme nous l’avons montré dans l’étude de Transparency International France relative à l’état des lieux de la publication des agendas des membres du Gouvernement français, et les pratiques devraient être harmonisées, sur le modèle de la Commission européenne par exemple dont les commissaires doivent publier obligatoirement en format « open data » les informations relatives à leurs rendez-vous avec des représentants d’intérêts.
  • La publication des informations détenues par la HATVP sur les mobilités public/privé : Lors de son audition par le Sénat, le président de la HATVP Didier Migaud a indiqué que la HATVP avait émis, depuis 2019, 9 avis pour 7 personnes différentes pour des projets de mobilités en provenance ou vers TotalEnergies. Cette information était inédite puisqu’aujourd’hui la HATVP ne publie qu’une partie des avis qu’elle émet sur des mobilités public/privé : pour 2023, 124 avis ont été publiés sur un total de 438 émis, soit un taux de publication de 28%. La HATVP publie principalement les avis relatifs aux ministres et conseillers ministériels, et rien pour les autres postes élevés dans la hiérarchie de l’administration publique qu’elle est amenée à contrôler également. La HATVP pourrait pourtant passer au 100 % publication de ses avis, quitte à anonymiser certains d’entre eux, afin de permettre une étude plus détaillée des mobilités public/privé. Par ailleurs, pour les emplois moins élevés dans la hiérarchie, le contrôle de la mobilité est effectué par la hiérarchie et le déontologue de l’administration concernée. Une centralisation et une agrégation des informations relatives à ces avis émis pour les fonctions moins élevées dans la hiérarchie permettrait une étude exhaustive des mobilités public/privé.

Si la commission d’enquête n’a pas repris les propositions de Transparency International France sur la publication de l’intégralité des données détenues par la HATVP sur les mobilités public/privé, elle a néanmoins fait droit à sa proposition sur la nécessaire amélioration des obligations déclaratives des représentants d’intérêts. Cette proposition était partagée par le président de la HATVP, Didier Migaud.

La commission d’enquête du Sénat recommande notamment :

  • De confier à la HATVP de nouveaux pouvoirs de communication de documents et de sanction en cas d’entrave à ses prérogatives.
  • D’améliorer la lisibilité du répertoire à travers le passage à un rythme semestriel de déclaration, la précision de la décision exacte sur laquelle porte l’action de représentation d’intérêts, la mention de la fonction précise des personnes sollicitées, la fin du critère d’initiative de l’action de représentation d’intérêts, l’ajout des actions de représentation d’intérêts auprès des membres des représentations diplomatiques françaises à l’étranger et l’indication de la ventilation des dépenses déclarées par grand poste.
  • De centraliser les déclarations des entités qui entrent dans le périmètre de consolidation d’un même groupe dans la déclaration unique de la société-mère, afin de les rendre plus lisibles.

Il faut également relever que la commission d’enquête formule des propositions sur d’autres leviers de l’influence des entreprises. Elle propose notamment :

  • L’obligation pour les organismes publics de publier les financements privés reçus pour les projets de recherche en matière d’environnement et de réchauffement climatique dans un registre public hébergé par la HATVP.
  • Le renforcement du contrôle des mobilités public-privé avec une possibilité d’étendre le contrôle de compatibilité opérée par la HATVP à une durée de 5 ans après la fin des fonctions publiques dans les cas les plus risqués, un renforcement des sanctions en cas de non-respect des avis d’incompatibilité émis par les autorités hiérarchiques, et l’extension des contrôles aux établissements publics industriels et commerciaux (EPIC) et à la Caisse des dépôts et consignations (CDC).

Consulter notre rapport « Pour un meilleur encadrement du lobbying »

Consulter notre déclaration à la HATVP

Visionner notre interview pour Konbini « Le lobbying doit se faire de la manière la plus intègre et transparente possible »

Visionner notre Webinaire « Lobbying, déclarations d’intérêts, comment faire parler les données de la HATVP ? »

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