[Communiqué] « En pointant le manque de moyens et d’indépendance des acteurs de la lutte contre la corruption, l’OCDE dessine en creux l’absence de volonté politique d’en faire une priorité »

La quatrième évaluation de la mise en œuvre par la France de la Convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales réalisée par le groupe de travail de l’OCDE salue les progrès accomplis par la France depuis 2013. L’évaluation souligne cependant le « problème structurel de ressources » des institutions de lutte contre la corruption. Un constat que partage l’ONG Transparency International France qui appelle à la création d’une véritable politique publique de lutte contre la corruption dotée de moyens budgétaires adéquats et aux pouvoirs à la hauteur des sommes colossales qui sont en jeu.

« Progrès remarquables »

Il s’agit de la première évaluation depuis le vote de la loi Sapin II qui a hissé la France au rang des pays dotés d’une législation ambitieuse en matière de lutte anti-corruption. Le rapport salue notamment la mise en place d’institutions qui ont acquis au plan international une réelle crédibilité – l’Agence Française Anticorruption (AFA), le Parquet National Financier (PNF) ou l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCCIFF). Il salue aussi l’efficacité d’outils répressifs tels que la Convention judicaire d’intérêt public (CJIP) ou encore l’existence d’un statut protecteur des lanceurs d’alerte. L’évaluation souligne ainsi les « progrès remarquables » réalisés par la France dans la mise en œuvre de la convention sur l’infraction de corruption d’agents publics étrangers. Signe de cette nouvelle efficacité, les sanctions définitives de 23 personnes morales et 19 personnes physiques pour corruption d’agents publics étrangers prononcées entre la fin de l’année 2012 et 2021.

Si ce nouveau cadre institutionnel et la mise en place de moyens répressifs ont porté leurs fruits, le groupe de travail de l’OCDE souligne toutefois que ces jeunes institutions ne disposent ni de l’indépendance ni des moyens nécessaires pour remplir leurs missions.

Une lutte contre la corruption en manque d’indépendance et de moyens

Dès 2020, notre rapport Exporting corruption qui évalue la mise en œuvre de la convention OCDE sur la lutte contre la corruption internationale d’agents publics étrangers par les 47 plus grands pays exportateurs mondiaux, alertait sur le manque d’indépendance de l’AFA, soumise au double contrôle du ministère de la justice et du ministère du budget. Le manque d’indépendance est encore plus préoccupant dans le domaine de la justice. Les violentes attaques portées de manière récurrente contre le PNF à propos d’affaires politico-financières qui représentent une très faible part de son activité, l’accusant d’être instrumentalisé à des fins politiques, ne peuvent qu’affaiblir cette institution pourtant indispensable à la lutte contre la corruption particulièrement complexe s’agissant de faits opaques à dimension internationale. La prohibition des instructions individuelles du ministre de la Justice aux magistrats du parquet introduite en 2013 ne suffira pas à répondre à ces accusations. Une réforme ambitieuse des procédures de nomination et de gestion des carrières des magistrats que nous réclamons depuis 2017 et que le Président de la République s’était d’ailleurs engagé à mettre en œuvre, semble indispensable.

Nous partageons également l’inquiétude du groupe de travail de l’OCDE sur le « problème structurel de ressources qui affecte l’ensemble des maillons de la chaine pénale depuis le stade de l’enquête jusqu’au jugement des affaires de corruption d’agent public étranger ».

Les moyens humains et financiers octroyés à l’OCLCCIFF ne sont pas suffisants pour lui permettre de conduire les enquêtes complexes qui lui sont confiées. Un constat l’illustre cruellement : il n’est à l’initiative d’aucune affaire ou presque depuis sa création en 2013.

Le PNF quant à lui, ne dispose que de 18 magistrats et de 7 assistants spécialisés, 13 greffiers et 3 adjoints techniques pour traiter les quelques 600 affaires dont il est chargé. Ce manque de moyens humains limite le nombre d’affaires de corruption d’agent public étranger faisant l’objet d’une enquête ainsi que la proportion d’affaires résolues, qui demeure « relativement faible » pour la 6e puissance économique mondiale qui comptabilise 3,3% des exportations mondiales en 2020.

Le groupe de travail ne manque pas de souligner que le nombre de dossiers gérés par chaque procureur était près de 5 fois supérieur à ce que prévoyait l’étude d’impact annexée au projet de loi qui a créé le PNF (38 dossiers contre 8 maximum). Ce manque de moyens n’a toutefois pas empêché le PNF de jouer un rôle central en matière de lutte contre la délinquance financière, les affaires poursuivies ayant fait l’objet de condamnations rapportant près de 10 milliards d’euros depuis sa création. « Comment ne pas voir dans ce manque de moyens une absence de volonté politique de lutter plus efficacement contre la criminalité économique et financière, à l’heure où l’argent public n’a jamais semblé si rare ? » s’interroge Patrick Lefas, président de Transparency International France.

Manque de volonté politique

Au moment même où les Etats-Unis font de la corruption un enjeu de sécurité nationale et où la nouvelle coalition allemande vient de se constituer autour d’un contrat ne comprenant pas moins de dix points consacrés à la transparence de la vie publique et à la lutte contre la corruption, la France peine à prendre la mesure de l’urgence à revoir ses ambitions à la hausse. Pire, les signaux préoccupants se multiplient.

La loi Confiance dans l’institution judiciaire votée mi-novembre limite désormais à 2 ans la durée des enquêtes préliminaires. Une mesure qui ne prend pas en compte la complexité des dossiers de corruption d’agent public étranger et de fraude fiscale et risque d’impacter l’activité des juridictions spécialisées, dont le PNF et, par voie de conséquence, le combat de la France contre la criminalité économique et financière.

La proposition loi visant à renforcer la lutte contre la corruption du député Raphaël Gauvain, issue de l’évaluation parlementaire de la loi Sapin II effectuée à l’été 2021, comprend également des dispositions inquiétantes. C’est notamment le cas des évolutions proposées s’agissant de la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) qui, en répondant exclusivement aux demandes des entreprises, menacent l’équilibre du dispositif créé par la loi Sapin 2.

Pour Patrick Lefas, « A quelques mois de la fin du mandat présidentiel, il est préoccupant de constater que la lutte contre la corruption n’a pas trouvé le souffle politique à la hauteur des ambitions affichées au départ et de la réalité du phénomène que le Parlement européen chiffrait en 2016 à 990 milliards d’euros, soir 6,3 % du PIB européen. Au rythme des révélations du consortium des journalistes d’investigation, des gestes forts doivent être posés, quoi qu’il en coûte… »

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