Financement de la vie politique et contrôle des comptes de campagne : « L’actualité judiciaire démontre que les modalités et les moyens de contrôle ne sont pas suffisants pour empêcher de nouvelles « affaires »
Publié le 8 octobre 2020
Trois affaires de financement illégal de campagne présidentielle sont actuellement en cours d’instruction : les élections de 1995, de 2007, de 2012. Alors que la prochaine échéance présidentielle est dans 18 mois, le calendrier judiciaire des prochains mois se fait l’écho de faits datant pour certains de 25 ans. Mais demain, l’histoire pourrait-elle se répéter ?
Trois affaires de financement illégal de campagne présidentielle sont actuellement en cours d’instruction : les élections de 1995, de 2007, de 2012. Alors que la prochaine échéance présidentielle est dans 18 mois, le calendrier judiciaire des prochains mois se fait l’écho de faits datant pour certains de 25 ans. Mais demain, l’histoire pourrait-elle se répéter ?
Ces trois campagnes entachées de soupçons sont autant d’arguments plaidant pour une réforme de la CNCCFP (Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques) de l’autorité chargée de valider les comptes de campagne des candidats à la présidentielles, et instaurant tout particulièrement un contrôle en temps réels des comptes des candidats.
Campagne présidentielle de 1995 / Affaire Karachi : premières condamnations et comparution devant la Cour de justice de la République… 25 ans après les faits
Edouard Balladur et François Léotard devraient comparaître devant la Cour de Justice de la République en janvier 2021 dans le volet financier de l’affaire Karachi. L’ancien candidat à la présidentielle et celui qui fut son ministre de la Défense sont renvoyés pour « complicités d’abus de biens sociaux » et, pour M. Balladur, recel de ces délits. Ils sont soupçonnés d’être impliqués dans un possible système de rétrocommissions – illégales – sur des ventes de sous-marins au Pakistan et de frégates à l’Arabie saoudite entre 1993 et 1995, rétrocommissions, qui auraient pu servir en partie à financer la campagne de M. Balladur.
En juin dernier, six proches d’Edouard Balladur ont déjà été condamnés à des peines de prison ferme dans ce dossier.
Campagne présidentielle de 2007 : l’ombre d’un financement libyen supposé et une enquête validée
13 ans après la campagne présidentielle 2007, 8 ans après le début des investigations suite aux première révélations de Mediapart, on en est encore à débattre de la validité de l’enquête visant Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux et Eric Woerth. S’il est légitime que la défense use de tous les recours permis par le droit, d’aucuns voient en ces initiatives des manœuvres dilatoires. La décision de la Cour d’appel de Paris permet à la procédure de se poursuivre, elle ne va pas clore pour autant le débat sur la légitimité de l’enquête puisque le clan Sarkozy a encore la possibilité de se pourvoir en cassation. L’horizon d’un jugement semble encore bien loin.
Jeudi 24 septembre, la Cour d’appel de Paris a rejeté les recours déposés contre la validité de l’enquête sur les soupçons de financements libyens de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007. Cette décision signifie que la procédure judiciaire va se poursuivre et que l’ancien président de la République reste mis en examen dans cette affaire, tout comme Eric Woerth et Brice Hortefeux, bien que les 3 personnalités ont encore la possibilité de se pourvoir en cassation.
Campagne présidentielle de 2012 / Affaire Bygmalion : l’imminence d’un procès
C’est l’affaire qui a été instruite le plus rapidement par la justice. C’est aussi celle dans laquelle les faits supposés étaient les plus facile à détecter : un système de fausses factures destiné à masquer l’emballement des dépenses et le dépassement du plafond des dépenses de campagne.
Une précaution vaine puisqu’ à l’issue du scrutin, la CNCCFP a tout de même conclu au dépassement du plafond de dépenses avant de rejeter ses comptes de campagne du candidat de l’UMP. L’autorité n’a pourtant pas été capable de détecter le système de fausse facture, fraude « à l’ancienne » qui a qui a été révélée 2 ans après la campagne par la journaliste Violette Lazard.
En mars 2021, 13 prévenus comparaîtront aux côtés de Nicolas Sarkozy devant la 11e chambre du tribunal judiciaire de Paris. Si l’ancien chef de l’Etat est poursuivi pour le seul délit de dépassement du plafond des dépenses électorales, d’anciens cadres du parti UMP (devenu LR), des cadres de la campagne et des dirigeants de la société Bygmalion seront poursuivis notamment pour « complicité » de financement illégal de campagne et « escroquerie ».
L’urgence d’une réforme du financement de la vie politique et du contrôle des comptes de campagne
Trois des cinq dernières présidentielles ont été entachées de graves soupçons d’irrégularités découvertes non par les autorités de contrôle mais grâce à l’action des lanceurs d’alerte, des journalistes d’investigation et de la société civile. Ce niveau de récurrence d’« affaires » associé à la longueur des procédures judiciaires – jusqu’à 25 ans pour l’affaire Karachi, notamment du fait du secret défense qui couvrait tout un volet de ce dossier tentaculaire et qui a considérablement ralenti la procédure – génère de la défiance vis-à-vis du politique et du pilier de la vie démocratique qu’est l’élection présidentielle. Compte tenu de cette réalité, nous proposons d’engager une nécessaire réforme du financement de la vie politique et notamment la réforme des missions et des moyens de la CNCCFP.
Au contrôle a posteriori et essentiellement sur pièce, qui est la règle actuelle, nous proposons d’ajouter un contrôle qui démarrerait pendant la campagne, en amont de l’élection. Si une fraude ou un soupçon de flux financier illicite était détecté pendant la campagne, la CNCCFP, dotée de nouveaux pouvoirs et de nouvelles prérogatives, disposerait d’outils gradués (rappel à la loi, avertissement, transmission au parquet), avec possibilité de rendre publics les avertissements émis.
Un tel système constituerait un puissant garde-fou, la menace de publicité des avertissements ayant pour objectif d’inciter les candidats à se montrer vertueux. Cela leur permettrait également de corriger les erreurs de bonne foi commises pendant la campagne et d’éviter ainsi d’être critiqués a posteriori. Enfin, la phase de contrôle post-élection (détermination de l’assiette du remboursement public notamment) en serait facilitée.
La CNCCFP rénovée devra être capable de garantir que les prochaines élections présidentielles soient financées de manière irréprochable. Elle devra aussi être suffisamment armée pour s’adapter et faire face aux nouveaux risques de manipulation des scrutins et de financement occulte offerts par les nouvelles technologies : un rapport de la commission de régulation électorale britannique publié en 2018 suite au scandale Cambridge Analytica montre que ces risques sont un challenge pour le régulateur à mi-chemin entre financement occulte et manipulation de l’opinion.
Une réforme s’impose donc. L’élection présidentielle de 2022 pourrait être celle de la transparence tant des comptes de campagne, que des comptes des partis. Non seulement cette réforme est essentielle, mais au regard des échéances, elle s’avère désormais très urgente.