Le procès du SDIS 13 : analyse du jugement rendu par le tribunal correctionnel de Marseille
En janvier dernier, Jean-Pierre Maggi, ancien maire de Velaux et ancien président du SDIS des Bouches-du-Rhône a été été condamné à 30 mois de prison, dont six mois ferme, cinq ans de privation des droits civils et civiques, dont l’éligibilité, et la confiscation de son appartement parisien d’une valeur de 245 000 euro, pour sept infractions relevant de la prise illégale d’intérêt, du favoritisme et du détournement de fonds publics par le tribunal correctionnel de Marseille dans « l’affaire du SDIS 13 ». Reconnu coupable de favoritisme et de détournement de fonds publics, le colonel Luc Jorda, ex-directeur du même SDIS a écopé de deux ans de prison dont six mois ferme, une interdiction d’exercer toute fonction publique pendant cinq ans et la confiscation de la part indivise d’un appartement qu’il possède avec son épouse à Montpellier. Les deux hommes étaient jugés depuis pour s’être entendus pour recruter des personnes de leur entourage chez les pompiers des Bouches-du-Rhône. Partie civile dans cette affaire et ONG experte en matière d’exemplarité des élus et responsables politiques, Transparency France propose une analyse de ce jugement.
En complément de ses actions de plaidoyer et d’accompagnement, Transparency International France intervient devant les tribunaux en se constituant partie civile dans des procédures judiciaires visant des délits d’atteinte à la probité (corruption, prise illégale d’intérêts, favoritisme, trafic d’influence…). Cette action n’est rendue possible que grâce à l’agrément du Ministère de la justice dont nous disposons, au même titre que les associations Anticor et Sherpa, et qui nous permet de défendre l’intérêt de la société qui subit dans son ensemble les préjudices de la corruption.
Nous inscrivons ces actions dans une démarche résolument stratégique. Car au-delà des personnes mises en cause dans les procès que nous suivons, notre réel intérêt porte sur les lacunes systémiques qui ont permis ces dérives et qui empêchent d’indemniser justement les victimes.
En ce sens le jugement rendu dans l’affaire du SDIS 13, contesté en appel dans sa totalité par les accusés, illustre parfaitement la corruption au niveau local :
Il s’agissait d’abord de sanctionner les pratiques clientélistes du maire constitutives du délit de prise illégale d’intérêt.
Elu sans discontinuité dans sa commune depuis 1977, le maire utilisait ses fonctions à la tête du SDIS pour fournir des emplois saisonniers aux habitants de sa commune. Certaines années, ce sont plus de 80% des emplois saisonniers du SDIS qui étaient ainsi attribués à des habitants de sa commune, alors que celle-ci ne compte que 8403 habitants dans un département de 1,966 millions. Ces recrutements s’effectuaient en grande partie sur des lettres de recommandation stéréotypées et directement rédigées par le président/maire.
En effet, si le clientélisme n’est pas en soi un délit, le juge rappelle que « l’intérêt clientéliste et politique étant évident », il convenait de condamner le maire pour le délit de prise illégale d’intérêts.
Plus largement, l’utilisation de cette double casquette illustre parfaitement l’existence, pourtant parfois contestée, des conflits d’intérêts public/public. S’il est tout à fait légitime que les élus locaux représentent les citoyens au sein d’organismes dits « satellites » des collectivités territoriales comme les SDIS, la nature publique de ces institutions peut être source de comportements délictueux. En outre, l’usage des ressources humaines à des fins électoralistes impacte en effet négativement la collectivité sur le long terme, même si certains habitants pouvaient avoir l’impression d’y trouver leur compte à court terme. Il handicape d’abord la mise en œuvre de l’action publique si les agents en charge de son exécution ne sont pas compétents. Il alourdit également les finances publiques locales en cas de recours excessif aux emplois sans besoins réels, et finit par induire un gaspillage des deniers publics qui se répercute toujours sur les citoyens soumis à l’impôt.
Autre motif de condamnation pour prise illégale d’intérêt, le maire a directement participé au recrutement de sa compagne et de son beau-fils au sein du SDIS.
Il a également contribué activement à la vente d’un terrain communal à son beau-fils, en ayant recours à l’intermédiaire d’une agence immobilière pour masquer sa participation. Une participation finalement relevée par un élu d’opposition, ce qui démontre le rôle indispensable que peut jouer l’opposition locale, malgré ses droits limités, pour veiller à ce que les procédures de déport soient bien respectées. Des lanceurs d’alerte internes au SDIS ont également joué un rôle essentiel pour permettre à la justice de mettre un terme aux confusions permanentes des intérêts publics et privés entretenus par sa direction. Sans leurs signalements courageux, qui les ont exposés à des risques de représailles, le système aurait perduré encore plus longtemps. Davantage qu’un hommage symbolique, ces lanceurs d’alerte ont surtout besoin de l’assistance juridique que nous nous efforçons de leur procurer, ainsi que d’une protection juridique réelle envers les représailles de leur employeur, protection que nous nous efforçons également d’améliorer via notre plaidoyer sur la transposition en droit français de la directive européenne relative à la protection des lanceurs d’alerte.
Les délits de favoritisme et de détournements de fonds publics constituent le second volet de cette affaire.
Le jugement démontre qu’un montage frauduleux a été réalisé, sur les conseils avisés d’un avocat ce qui constitue une circonstance aggravante, afin d’attribuer à une société privée la création d’un centre de formation sur la lutte contre les incendies industriels. Là encore, le contournement illégal des règles de publicité préalable des marchés publics n’est pas sans incidence pour la collectivité puisque le coût total de ce partenariat s’est élevé à un total de 857 916 euros pour une contrepartie faible puisque les formations prévues pour des pompiers du SDIS n’ont pas été réalisées et les infrastructures du centre ont été achevées en partie seulement. Loin d’être un formalisme inutile, le respect du Code de la commande publique a donc un bénéfice réel. En ce sens, les récents assouplissements introduits par la loi d’accélération et de simplification de l’action publique constituent un signal négatif et les élus locaux devraient veiller à respecter scrupuleusement les procédures d’attribution des marchés, dans leur propre intérêt et pour celui du citoyen. Ces règles restent néanmoins parfois complexes et elles nécessitent une diffusion plus large de la formation auprès des élus locaux. Le jugement souligne également la responsabilité des agents publics, en l’occurrence le directeur du SDIS, qui assistent ces élus et peuvent servir de force de rappel pour éviter les dérives. Ces agents se doivent également de connaitre les règles de probité pour stopper dont ils pourraient être témoins, sans quoi ils risquent de devenir les rouages d’un système de corruption.
Il est également très instructif de constater que le délit de détournement a été prononcé non pas pour sanctionner un enrichissement personnel, mais pour condamner un « petit arrangement » réalisé au détriment de l’intérêt général. Des pompiers et un terrain public avaient en effet été mis gracieusement à disposition de l’entreprise partenaire du centre de formation. Or ces usages sans contreparties de moyens publics en dehors de leurs attributions initiales constituent bien un détournement de fonds publics.
Loin des grandes affaires médiatiques et transnationales, ce jugement vient nous rappeler la persistance d’un clientélisme « ordinaire » en France, malgré les progrès effectués durant les dernières années en matière de prévention de la corruption. Cette corruption du quotidien, qui n’implique pas forcément un enrichissement personnel direct et reste parfois socialement tolérée par un jeu d’intérêts réciproques bien compris, est pourtant destructrice car elle vient rompre l’égalité que la loi garantit à chacun d’entre nous ainsi que la confiance des citoyens envers leurs représentants locaux en instillant l’idée que les services rendus et les petits arrangements ne causent ni préjudice à l’intérêt général et sont sans incidence dans la confiance placée en nos élus.
Or, les peines infligées par ce jugement, à l’encontre d’un maire d’une petite commune des Bouches-du-Rhône, ancien député et président du SDIS de son département, ainsi qu’à l’encontre du colonel des pompiers et ex-directeur du même SDIS, sont exemplaires : de la prison ferme comme signal que les atteintes à la probité méritent les même sanctions que celles de la délinquance ordinaire, une confiscation en valeur de biens immobiliers, qui exprime la nécessité de voir les amendes effectivement payées et recouvrées par l’Etat, et surtout une peine d’inéligibilité et d’interdiction d’exercer toute fonction ou emploi public, signifiant au responsable public l’incompatibilité de sa fonction d’élus avec son comportement .Si les lois pour la confiance dans la vie politique n’ont pas véritablement instauré une obligation de casier vierge pour les candidats, nous nous félicitons que la peine d’inéligibilité soit désormais quasi-systématique pour les élus condamnés pour des faits délictueux d’atteintes la probité.
Au-delà de l’aspect répressif, cette affaire témoigne du besoin urgent de sensibilisation des élus au sujet des conflits d’intérêt. Les élus locaux devraient en effet être mieux et plus sensibilisés aux risques de conflits d’intérêts public/public, et se déporter le cas échéant de situation à risques. L’emploi public peut être un important vecteur de clientélisme, davantage encore dans de petits territoires où la part de cet emploi est importante. Il doit donc faire l’objet de procédures de recrutement et d’avancement véritablement transparentes et être pris en compte en priorité dans les plans de prévention de la corruption, lesquels devraient également s’appliquer aux petites collectivités. Il serait également utile de diffuser plus largement l’usage de la déclaration publique d’intérêts, les élus des petites communes n’étant pas concernés par cette obligation qui s’applique aux maires des communes de plus de 20 000 habitants.
Par ses différents volets, le procès du SDIS 13 est donc un cas d’école de la corruption systémique locale qui est loin d’être isolé. Pour y mettre un terme nous entendons poursuivre nos actions en faveur d’une meilleure prévention des risques de corruption et des conflits d’intérêt d’une part, et pour l’application de sanctions judiciaires d’autre part.