Rapport de la Déontologue sortante de l’Assemblée nationale : « la révolution déontologique » de l’Assemblée nationale n’a pas (encore ?) eu lieu
Vendredi 16 avril 2021,
Mercredi, Agnès Roblot-Troizier, déontologue sortante de l’Assemblée nationale a présenté son rapport d’activité pour l’année 2020. Un rapport très attendu qui dresse un état des lieux très précis des progrès de la déontologie au Palais Bourbon, entre bonnes pratiques, obligations légales et contrôle du respect de ces dernières, trois ans et demi après l’entrée en vigueur de la loi pour la Confiance dans la vie politique.
Si Transparency International France, qui avait présenté en 2017 un rapport comprenant 6 recommandations pour un Parlement exemplaire, partage les constats de la déontologue sortante quant aux progrès accomplis au Palais Bourbon en matière de déontologie, l’ONG rappelle que le chemin est encore long pour que l’Assemblée nationale accomplisse la « révolution déontologique » promise par la majorité en début de mandat.
Contrôle des frais de mandat
Ce rapport d’activité revient en détail sur la mise en œuvre de la réforme des frais de mandat initiée par la loi de confiance dans la vie politique de septembre 2017 qui ambitionnait de mettre fin à l’opacité entourant les frais engagés par les parlementaires. L’indemnité représentative de frais de mandat (IRFM) a en effet été remplacée au 1er janvier 2018 par l’avance de frais de mandat (AFM) qui est aujourd’hui de 5 373 euros net par mois pour les députés et de 5 900 euros pour les sénateurs. Les dépenses autorisées sont recensées précisément et font l’objet de contrôle par le Déontologue de l’Assemblée nationale, auprès duquel les députés peuvent également prendre conseil. Ces frais sont contrôlés selon deux modalités : en fin d’exercice annuel, sur l’ensemble des comptes du député ; en cours d’exercice, à tout moment, sur des dépenses imputées par le député sur son AFM. Le contrôle annuel est organisé de sorte que tout député soit contrôlé au moins une fois au cours d’une même législature, de manière aléatoire, par sondage ou échantillon d’une ampleur suffisante pour être considéré comme significatif. Les députés qui font l’objet d’un contrôle sont tirés au sort.
Si elle admet une première phase de contrôles “chaotique” durant la première année de mise en œuvre, en raison d’un déficit de moyens humains et d’un temps trop court de pédagogie nécessaire, Madame Roblot-Troizier souligne une nette amélioration dès l’exercice 2019, grâce à son engagement et aux efforts de ses services sur les activités de contrôle et l’accompagnement des députés en faveur de ces nouvelles modalités de contrôle.
Le rapport souligne des avancées indéniables. Il liste aussi, en creux, tous les progrès qui restent à accomplir pour atteindre une réelle transparence dans l’utilisation des frais de mandat à l’Assemblée nationale, un objectif également partagé par Transparency International France et que nous formulions dès décembre 2017.
Justification // La Déontologue regrette un manque de clarté de la nouvelle AFM (qui limite l’appropriation de la réforme par les députés. Les propositions de simplification qu’elle avance rejoignent les recommandations de TI-France d’élargir le champ des dépenses directement prises en charge par l’Assemblée nationale et le Sénat ou remboursées sur justificatifs, et d’enrichir le guide des dépenses autorisées et interdites.
TI-France partage également la recommandation de Madame Roblot-Troizier de mettre en place un outil en ligne centralisé et obligatoire d’enregistrement et de catégorisation des dépenses, comme c’est le cas au Sénat, alors que cela n’est pas encore envisagé au Palais Bourbon.
Contrôle // Avec 307 députés contrôlés en 2 ans, l’ambition d’avoir contrôlé l’ensemble des membres de l’Assemblée au moins une fois pendant la législature semble réaliste. TI France demande cependant que cet objectif soit dépassé en mettant en place un contrôle aléatoire en fin de mandat. En effet, l’Assemblée, tout comme le Sénat, ne doit pas véhiculer l’idée qu’un parlementaire contrôlé en début de mandat serait à l’abri de tout contrôle ultérieur.
TI-France regrette, comme Madame Roblot-Troizier, que le recours à des cabinets d’experts-comptables, que cela soit pour l’enregistrement des dépenses ou l’examen des dépenses contrôlées soit encore sous-utilisé. Dès 2017, nous recommandions de recourir à un organisme extérieur pour effectuer les contrôles sous l’autorité de la déontologue ou a minima que les équipes dédiées au contrôle et les équipes dédiées au conseil déontologique soient bien séparées.
Transparence // Madame Roblot-Troizier se dit favorable à la publication des données relative à l’utilisation des frais de mandat. Ce sujet ne semble cependant pas être à l’ordre du jour de l’Assemblée. Pour TI-France, cette absence de volonté limite structurellement les ambitions de la réforme engagées par la loi pour la Confiance dans la vie politique. En effet, si la clarification des dépenses éligibles et l’instauration d’un système de contrôle constituent des étapes nécessaires et indispensables, le moyen le plus efficace de réformer les frais de mandat et leur contrôle est d’en assurer la transparence. Au Royaume-Uni, par exemple, une autorité indépendante est chargée de publier et de contrôler les dépenses des parlementaires. Cette proposition fait par ailleurs l’objet d’un large consensus politique : interrogés par Transparency International France à ce sujet pendant la campagne de 2017, dix candidats à la présidentielle sur onze se disaient favorables à une transparence des frais de mandat des parlementaires.
Encadrement du Lobbying
Si la réflexion sur le contrôle des frais de mandat semble plus avancée au Sénat, tel n’est pas le cas sur l’encadrement du lobbying où l’Assemblée nationale conforte son rôle d’institution pionnière grâce à ce nouveau rapport de la déontologue qui vient consolider les réflexions déjà alimentées, entre autres, par les députés Sylvain Waserman ou Mathieu Orphelin. Transparency se félicite que la déontologue, sans sortir des prérogatives de sa mission qui limite sa compétence aux députés, se positionne en faveur de toutes réformes qui pourraient contribuer à la réalisation d’une véritable empreinte normative, c’est-à-dire d’une traçabilité de toutes les contributions des lobbys dans l’élaboration d’une décision publique.
Révision de décret d’application Sapin 2 // Madame Roblot-Troizier rejoint TI-France et de nombreux observateurs sur la nécessité de réviser le décret d’application du répertoire des représentants d’intérêts. D’abord par une suppression du critère de l’initiative qui limite les obligations de déclarations d’actions de lobbying aux communications réalisées à l’initiative du représentant d’intérêts. Elle se prononce également en faveur d’une révision du cadre légal lui-même pour réintégrer pleinement dans la définition du représentant d’intérêts les associations cultuelles, les syndicats ou les associations d’élus locaux qui exercent une influence certaines auprès des parlementaires. La déontologue soutient également la nécessité de réintégrer le Président de la République, et les membres du Conseil d’Etat et du Conseil constitutionnel à la liste des décideurs publics pouvant être visés par une action de lobbying. Cette nouvelle contribution tend à renforcer le consensus qui se construit en faveur d’une révision du décret et de la loi, y compris de la part des représentants d’intérêts eux-mêmes, et nous espérons que le Gouvernement et les parlementaires prendront acte de ces volontés partagées.
Sourcing des amendements // La déontologue souhaite, a l’instar de TI-France que le « sourcing » des amendements par les députés progresse plus rapidement. Si quelques députés s’y sont pleinement engagés, la questionde la transformation de ces bonnes pratiques en obligation se pose aujourd’hui avec acuité d’autant qu’il en résulterait de moindres contraintes. Sa mise en œuvre passe par une indispensable réflexion préalable sur les différentes possibilités d’inspiration d’un amendement (du copier/coller direct à la simple inspiration à partir d’un cas particulier signalé par un groupe d’intérêts)
Publication des rendez-vous des députés avec des représentants d’intérêts // cette question, la déontologue se montre davantage réservée et encourage plutôt la bonne pratique volontaire. Constatant les limites induites par le volontariat, TI-France souhaite que l’Assemblée nationale rende cette pratique obligatoire pour les présidents de commission, les rapporteurs généraux, rapporteurs au fond et rapporteurs pour avis, comme c’est le cas au Parlement européen pour les présidents de commission, les rapporteurs et les référents des groupes politiques sur un texte législatif. Une obligation qui a d’ailleurs conduit 44% des députés européens à adopter cette bonne pratique sans y être obligés.
Si les développements de la transparence du lobbying restent encore timides à l’Assemblée, celle-ci reste néanmoins l’institution la plus en avance sur cette question. Le Sénat, et surtout l’exécutif qui concentre aujourd’hui la majorité des pouvoirs alors que l’opacité y demeure la règle, devraient donc s’inspirer de ces avancées.
Statut des collaborateurs parlementaires à l’Assemblée nationale
TI-France partage les regrets de la déontologue sortante quant à l’absence d’avancée sur ce sujet depuis la loi pour la Confiance dans la vie politique qui a instauré l’interdiction pour un parlementaire de recruter un membre de sa famille. Madame Roblot-Troizier a pourtant remis, à la demande du Président de l’Assemblée nationale, un rapport sur le sujet le 19 juin 2018. La déontologue y proposait la mise « soit un code de déontologie des collaborateurs parlementaires, soit une charte annexée à leur contrat de travail ».
Ces pistes rejoignent celles proposées par TI-France qui préconisait la création d’un véritable statut pour les collaborateurs parlementaires aligné, soit sur celui des collaborateurs du Président de l’Assemblée nationale ou du Sénat, soit à travers l’établissement d’une branche professionnelle ou la négociation d’une convention collective.
Le manque d’avancée sur ce sujet est d’autant plus regrettable que la déontologue fait état d’une dizaine de saisines concernant des cas de collaborateurs souhaitant cumuler leurs activités auprès de députés avec des emplois susceptibles d’entraîner des situations de conflit d’intérêts.
Prévention des conflits d’intérêts et registre des déports
TI rejoint la position de la déontologue en matière de prévention des conflits d’intérêts : elle leurs enjoint en effet de se saisir de la déclaration écrite ou orale d’intérêts, du déport et de l’abstention de solliciter ou d’accepter une fonction liée au travail parlementaire. Une position partagée par TI-France qui proposait dans son rapport Parlement exemplaire d’ « imposer une déclaration orale des intérêts préalablement à un vote ». Or, on constate aujourd’hui encore que les députés utilisent peu, ou trop tardivement, ces outils déontologiques à leur disposition.
Conclusions
Au total, le Palais Bourbon est encore loin d’avoir achevé la « révolution déontologique » promise par la majorité en début de mandat. Quelques pas supplémentaires pourraient être franchis avant la fin de la législature, par exemple la publicité des avis de la déontologue.