TRIBUNE | Évasion fiscale : « L’Union européenne doit faire le choix de la transparence financière, car il n’y a pas de démocratie sans transparence »

Cette tribune collective a été publiée le mardi 18 avril 2023 par Le Monde.

Les signataires :

Sandra Cossart, directrice de l’association Sherpa, Manuèle Derolez, déléguée générale du CCFD-Terre solidaire, Patrick Lefas, président de Transparency International France, Najat Vallaud-Belkacem, directrice de One France, Elise Van Beneden, présidente d’Anticor.

Le 28 mars 2023, le Parlement européen a arrêté sa position sur le paquet législatif antiblanchiment, qui comprend notamment la sixième directive relative aux mécanismes de lutte contre le blanchiment de capitaux. Ce texte est particulièrement attendu par la société civile et les journalistes d’investigation, tant les mesures de transparence financière mises en œuvre par les précédentes directives de lutte antiblanchiment sont au cœur de l’actualité en matière de lutte contre la corruption, le blanchiment et l’évasion fiscale.

C’est la transparence financière qui a fourni les données de l’enquête « OpenLux » publiée en février 2021 par le Consortium international des journalistes d’investigation, révélant que 45 % des entreprises enregistrées au Luxembourg étaient des sociétés-écrans, détenant plus de 6 500 milliards d’euros. C’est la transparence financière qui a permis l’identification des biens des oligarques russes et proches du régime, visés par les sanctions à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

C’est cette même transparence financière qui est aujourd’hui gravement remise en question par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) qui a abrogé en novembre 2022 l’une des mesures-phares introduites par la cinquième directive antiblanchiment : l’accès du grand public aux registres des bénéficiaires effectifs (RBE), qui permet d’identifier les propriétaires réels des entités juridiques, telles que les sociétés ou les trusts.

Défendre l’accès public aux registres

Dans la foulée de cette décision, plusieurs Etats membres, parmi lesquels certains paradis fiscaux notoires au sein de l’UE, tels que le Luxembourg, les Pays-Bas, l’Irlande, Malte et Chypre, mais aussi l’Allemagne et l’Autriche, ont immédiatement fermé leurs registres. La France a, au contraire, décidé de le maintenir ouvert. L’enjeu des négociations en cours sur le paquet législatif antiblanchiment se cristallise autour de l’avenir de ces registres.

l’Union européenne et les Etats membres vont-ils conforter leur choix de renforcer la transparence financière comme objectif d’intérêt public partout en Europe ? Nos organisations ont défendu de longue date un accès public aux registres. La publicité des registres doit rester le cap, dans le monde entier, afin d’assurer un accès effectif sans restriction indue aux informations.

A la suite de la décision de la CJUE, il est indispensable de garantir au sein de l’Union européenne dès à présent un accès effectif aux registres pour les journalistes et les organisations de la société civile. Le Parlement européen semble être parvenu à atténuer certains effets contraignants de la décision de la Cour de justice de l’Union européenne.

L’accès gratuit aux registres

Le Conseil de l’Union s’alignera-t-il sur cette position ? Rien n’est moins sûr si l’on se réfère à la position laconique qu’il a arrêtée deux semaines après la décision de la CJUE. Nos organisations portent des recommandations pour garantir un accès efficace aux registres, et protecteur pour la société civile et les journalistes, propositions qui semblent avoir été entendues par le Parlement européen.

La présomption d’intérêt légitime pour les organisations de la société civile, les journalistes et les universitaires travaillant sur le blanchiment de capitaux et ses infractions sous-jacentes, le traitement des demandes d’accès dans un délai restreint, une autorisation d’accès valant pour l’ensemble des informations contenues dans les registres et pour une durée suffisante, l’accès accordé par un Etat membre s’étendant à l’ensemble des autres Etats membres, l’accès gratuit aux registres, ainsi que la protection de l’anonymat des personnes souhaitant les consulter.

Garantir l’accès effectif aux registres par la presse

Nous défendons également un alignement de la définition de la notion d’« intérêt légitime » sur celle de la Cour européenne des droits de l’homme, selon laquelle la presse, les ONG, les chercheurs et chercheuses universitaires et les auteurs et autrices d’ouvrages portant sur des sujets d’intérêt public ainsi que les blogueurs et utilisateurs populaires des médias sociaux qui contribuent à améliorer l’accès du public à l’actualité et à faciliter la diffusion de l’information bénéficient d’une présomption d’intérêt légitime du fait de leur rôle de « chiens de garde de la démocratie ».

Les trois institutions européennes ayant arrêté leur position, démarre à présent la phase des négociations entre elles trois, afin de parvenir à un accord sur une version définitive de ce texte. Nous appelons le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne à s’aligner sur la position du Parlement européen, afin de garantir l’accès effectif aux registres par la presse et les organisations de la société civile, ultimes remparts, s’il en est, contre les paradis fiscaux et judiciaires, les corrompus et les blanchisseurs.

L’Union doit faire le choix de la transparence financière, parce qu’il n’y a pas de démocratie sans transparence. La France, qui est candidate à l’accueil de la future Autorité européenne de lutte contre le blanchiment d’argent (AMLA), peut et doit être la première de cordée dans cette ascension.

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