« Les entreprises ont aujourd’hui des dispositifs anticorruption qui sont réellement robustes et efficaces » : 3 Questions à Isabelle Jégouzo, Présidente de l’Agence Française Anticorruption

« Les entreprises ont aujourd’hui des dispositifs anticorruption qui sont réellement robustes et efficaces » : 3 Questions à Isabelle Jégouzo, Présidente de l’Agence Française Anticorruption

Depuis sa création en 2017, l’Agence Française Anticorruption (AFA) est chargée de contrôler et d’accompagner les entreprises dans la mise en œuvre de mesures de prévention de la corruption imposées par la loi Sapin 2. Plus de six ans plus tard, quel bilan tirer de la mobilisation du secteur privé ? Eléments de réponses en vidéo avec cette interview d’Isabelle Jégouzo, directrice de l’AFA. 


Isabelle Jégouzo : La loi Sapin II a incontestablement permis aux entreprises françaises de progresser en matière de prévention, de détection de la corruption. Nous nous en rendons compte notamment à travers nos contrôles, ils représentent un excellent moyen de tester l’engagement des entreprises. Cela nous permet de constater, dans le détail, ce que les entreprises ont mis en place, et donc de nous assurer que les dispositifs qui existent ne sont pas des dispositifs cosmétiques. C’est un point qui est important pour nous. Nous allons pouvoir tester l’engagement des entreprises, des groupes, mais aussi des filiales de ces derniers. Nous pouvons nous assurer le cadre anticorruption d’un groupe va véritablement s’appliquer à l’intégralité de ses filiales. Nos contrôles sont détaillés, nous allons sur place afin de voir où en sont les entreprises, et effectivement elles ont beaucoup progressé. Depuis la loi sapin II, il résulte de nos contrôles que les entreprises sont globalement moins sujettes aux manquements. Nous observons de plus en plus de contrôles où il n’y a pas du tout de manquements, c’est à dire qu’on peut faire des recommandations pour améliorer les choses mais les entreprises ont aujourd’hui des dispositifs anticorruption qui sont réellement robustes et efficaces, et c’est une chose positive. D’autant plus que ces progrès concernent également les plus petites entreprises, car la loi sapin II a un effet vertueux de ruissellement vers ces dernières dans la mesure où les grandes ont des obligations, notamment d’évaluation de leurs tiers, elles insèrent avec leurs sous-traitants des clauses, dans les contrats, anticorruption qui conduisent les entreprises de taille plus petites à progresser dans la lutte contre la corruption. C’est donc un engrenage vertueux qui se met en place et que nous accompagnons, car nous
exerçons également une action de conseil, que nous avons très fortement développé pour les entreprises de différentes tailles. C’est dans ce cadre que nous avons été conduits, d’une part, à expliciter les exigences de la loi sapin II et aussi à produire un certain nombre de documents, comme, par exemple, des guides. Nous en avons publié un récemment à propos du mécénat et du parrainage. Ce sont des opérations importantes pour la vie culturelle et sportive, mais elles doivent se dérouler en toute
transparence. Le guide que nous venons de publier a pour but d’aider les entreprises à travailler en toute transparence, donc oui il y a eu de vrais progrès, et l’Agence Française Anticorruption (AFA) les accompagne.

Isabelle Jégouzo : Le sujet de l’engagement au plus haut niveau est un facteur clef, nous nous en rendons compte lors de nos contrôles. Dès que le top management est véritablement engagé pour un dispositif de conformité anticorruption et dit “non ça n’arrivera pas dans mon entreprise” on voit que le dispositif s’aligne. Dans nos contrôles nous observons systématiquement comment se matérialise l’engagement de l’instance dirigeante, et avons noté 5 points importants. Le premier point c’est l’affirmation d’une tolérance 0 vis à vis de tout acte qui ne soit pas conforme à la probité. Cette tolérance zéro doit s’exprimer de manière personnelle par les dirigeants, qui doivent être exemplaires, tant en paroles qu’en actes, dans le quotidien de leur activité. Deuxième point : un dispositif anticorruption, cela nécessite des moyens et les entreprises engagées doivent fournir des moyens conformes à leurs tailles. Cela se traduit concrètement par : une part des ressources humaines, un responsable de la conformité anticorruption (dans le cadre d’un groupe ce responsable peut avoir des référents dans les différentes filiales du groupe) pour qu’il y ait des gens qui s’occupent de la corruption avec un budget suffisant. Troisième élément : une communication claire et régulière en matière de conformité anticorruption. Le dirigeant doit s’exprimer pour rappeler régulièrement que l’éthique est une valeur du temps, cela peut prendre plusieurs formes. Bien entendu il peut préfacer le code de conduite, c’est quelque chose qui est assez simple et que, d’ailleurs, nous regardons systématiquement dans nos contrôles. Cela peut également prendre d’autres formes, il peut s’exprimer régulièrement sur les canaux de communication interne de l’entreprise. S’il y a des formations, elles peuvent, par exemple, être ouvertes par une vidéo de l’instance dirigeante dans laquelle elle communique autour de l’importance de ces dispositifs anticorruption. Certaines entreprises organisent des journées de l’intégrité, dans ce cadre-là, c’est important que l’instance dirigeante puisse s’exprimer sur ce sujet. Il y a ensuite l’idée de montrer que l’instance dirigeante est attentive à ce dispositif, et à la façon dont il évolue. Cela se traduit par exemple par une cartographie des risques formalisée et qu’elle passe par les instances dirigeantes de l’entreprise, qu’elle soit régulièrement réexaminée et que ce dispositif fasse véritablement partie de la stratégie générale de l’entreprise. Le 5eme point concerne les sanctions. Si ces règles, qui sont au cœur de l’engagement déontologique de l’entreprise, ne sont pas respectées, il y a un régime disciplinaire et un répertoire de sanctions qui peuvent être appliquées. Voilà comment une instance dirigeante peut véritablement démontrer, par un certain nombre d’actes très concrets, que son entreprise est engagée en faveur de la probité.

Isabelle Jégouzo : Aucune entreprise ne pourra s’engager dans un dispositif de prévention et de détection des atteintes à la probité efficace si ses salariées n’ont pas conscience des exigences, des risques et de la façon dont on peut y faire face. D’où la nécessité de mettre en place un dispositif de formation. C’est d’ailleurs une des exigences de l’article 17 de la loi sapin II : la formation des cadres et des personnels les plus exposés au risque de corruption. Alors cela nécessite bien entendu auparavant une cartographie des risques, parce que c’est en fonction des risques que l’on va identifier qui sont ces cadres et personnels exposés. Une fois qu’ils ont été identifiés, il faut qu’ils aient une formation adéquate, et là encore ce qui est important c’est le “surmesure”. Une des difficultés en matière de conformité anticorruption c’est qu’il existe toute une série de mécanisme un peu en prêt à porter sur étagère. Cela
revient à faire de l’anticorruption qui ne sera pas vraiment adapté aux besoins de l’entreprise. Or cela ne peut fonctionner que si l’entreprise fait une formation qui est adaptée à sa situation, c’est à dire adaptée à ses propres risques, qui sont variables en fonction du secteur d’activité, de la géographie, de sa propre organisation interne. C’est obligatoire pour les grandes entreprises, et les plus petites ont tout intérêt à
mettre en place ces formations. Ce n’est pas une mesure très compliquée ni très lourde mais ça permet de sensibiliser à ce risque. Outre les formations de ceux qui sont plus directement exposés, il peut être utile de faire une sensibilisation à l’ensemble des personnels. Quelque chose de plus court, de moins fouillé, mais qui permette d’alerter sur les risques corruptifs, de faire passer le message suivant “attention ce sont des choses qui peuvent arriver, et voilà ce qu’il est possible de faire”.


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