[Eclairage] La transaction pénale : une avancée ?
Transaction pénale : une avancée dans la lutte contre la délinquance économique et financière ?
Eclairage de Catherine Pierce, administratrice de Transparency France, le 23/02/2018
Dans un communiqué de presse publié le 14 novembre dernier, le parquet national financier faisait savoir :
« Le 14 novembre 2017, le président du tribunal de grande instance de Paris a validé la première convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) signée en France. Celle-ci est le fruit de négociations menées par le parquet national financier avec la banque HSBC private bank Suisse S.A. dans le cadre des dispositions introduites par la loi No 2016-1691 du 9 décembre 2016, relative à la transparence ,à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique dite « loi Sapin 2 ».
Par la signature de cette convention judiciaire d’intérêt public, la banque reconnaît l’existence des faits qui lui sont reprochés et accepte leur qualification légale. Elle s’engage à verser la somme totale de 300 millions d’euros qui abondera le budget général de l’état français. Cette ordonnance insusceptible de recours, met fin aux poursuites menées par le procureur à l’encontre de HSBC qui a bénéficié de ce fait d’une ordonnance de non-lieu, deux de ses anciens dirigeants restant pénalement poursuivis.
D’aucuns, attachés au principe « une infraction doit être sanctionnée par une condamnation et inscrite au casier judiciaire de l’intéressé » se sont élevés contre cette décision qualifiée de justice à minima. Certains reprochent même à Transparency International France sa position générale en faveur de cette procédure et son utilisation dans le cadre de la lutte contre la corruption et certains délits financiers.
Notre ONG s’est, en effet, prononcée en faveur de la mise en place d’une convention judiciaire d’intérêt public.
Rappelons de quel constat nous sommes partis :
1 / Plus de 16 années après la ratification par la France de la convention OCDE sur la corruption internationale, aucune personne morale n’avait été condamnée de manière définitive à ce titre.
2/ La quasi immunité de fait dont bénéficiaient les entreprises françaises en faisait la proie des juridictions étrangères notamment de la justice américaine qui leur a infligé en application du Foreign corruption practices act (FCPA) des amendes extrêmement lourdes pour des faits commis essentiellement hors des États Unis, privant de facto la France de sa souveraineté pénale en la matière.
3/ Les seules options offertes en l’état du droit avant l’adoption de la loi dite Sapin 2 à savoir : engagement des poursuites ou classement sans suite se sont avérées incapables de réprimer efficacement les délits de grande corruption et délits assimilés
4/ Du fait de cette impunité devant les juridictions françaises, les entreprises n’étaient ni obligées ni même incitées à mettre en place un programme de conformité anticorruption et antifraude.
Transparency France a donc souhaité que soit introduite dans l’arsenal juridique français une procédure alternative aux poursuites, comme l’ont fait un nombre croissant d’états ( États Unis, Royaume Uni ,Suisse ,Belgique, Pays-Bas, Allemagne etc…), procédure conçue comme un instrument au service d’une politique pénale répressive et préventive, respectueuse des droits de la défense, prenant en compte les intérêts des victimes, de la société dans son entier et les gages de bonne conduite présentés par la personne morale.
Il convient donc de saluer, dans son principe, cette première convention prise en application de la loi Sapin 2 signée, validée par le président du Tribunal de Grande Instance de Paris. Elle fixe un standard de sanctions auquel nous n’étions pas habitués en matière de criminalité économique. La publicité de cette convention a été faite conformément à la loi, l’indemnisation de la victime, en l’occurrence l’Etat, a été prise en compte, les poursuites contre les personnes physiques sont en cours.
Et pourtant…cette décision appelle de sérieuses réserves, notamment sur l’opportunité du recours à une telle procédure au cas d’espèce, la convention publique traduisant une forme de clémence face à une entreprise pour autant qu’elle coopère avec les autorités de poursuites et s’engage à prendre les mesures nécessaires pour pallier ses manquements et éviter leur renouvellement.
Rappelons en effet que si Transparency France a appelé de ses vœux l’adoption de cette nouvelle procédure qui enrichit la palette des réponses pénales à la disposition du parquet, elle a mis non seulement à son recours mais aussi aux sanctions prévues, des conditions qu’il convient de rappeler.
Concernant les conditions du recours, le recours à cette procédure devrait être exclu en cas de récidive ou toutes les fois que les faits présentent une gravité exceptionnelle. Elle ne devrait être possible que si l’entreprise accepte de coopérer pleinement et sincèrement à l’enquête en cours et uniquement dans des cas limités : soit qu’elle ait révélé spontanément les faits de corruption litigieux ou bien encore qu’elle ait pris toutes les mesures que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elle afin de réparer le tort causé et/ou de remédier aux dysfonctionnements observés (ex. mesure disciplinaire à l’encontre du salarié en cause, réalisation d’un audit de conformité et/ou renforcement de son programme anticorruption…). Ces différents éléments, qui sont autant de gages de bonne conduite, limitent dans le même temps le risque d’abus de la part des entreprises.
Concernant les sanctions, nous avions proposé en sus de l’amende (qui vient sanctionner le comportement) et de l’indemnisation des victimes, la confiscation/restitution des profits illicites – mesure qui n’a malheureusement pas été retenue dans la loi… Si elle l’avait été, tous les profits illicites réalisés par HSBC du fait de cette fraude auraient été confisqués.
Or en l’espèce la banque n’a en rien coopéré à la manifestation de la vérité. Elle ne s’est pas dénoncée spontanément.
La fraude est particulièrement importante puisqu’il s’agit d’avoirs à hauteur de 1,6 milliards d’euros qui ont été soustraits à l’impôt et l’on peut se demander si elle est en adéquation avec les profits réalisés par la banque
Celle-ci ne semble pas avoir donné le moindre gage de « bonne conduite ».
La signature de cette première convention ne répond donc pas à l’ensemble des obligations que nous avions souhaités être respectées par l’entreprise poursuivie et convaincue des faits reprochés pour bénéficier d’une mesure que nous qualifions de clémente.
Il conviendra dès lors d’analyser très précisément les prochaines conventions lorsque celles-ci feront l’objet d’une publicité par le parquet au regard des critères définis plus haut. Transparency internationale France restera très vigilante sur l’application de cette nouvelle procédure dans le temps.