[Interview] Que nous dit vraiment la cartographie de la corruption ?
Raymond, que peux-tu nous dire sur cette cartographie ?
La cartographie est avant tout un outil en ligne mis à disposition des citoyens, pour mieux comprendre et agir contre la corruption en France. Cette base de données unique recense les condamnations dans les secteurs publics et privés, pour faits de corruption et de manquements à la probité. En l’absence de données centralisées et publiques, nous l’alimentons en grande partie grâce aux chroniques judiciaires de la presse locale. Aujourd’hui, la « carto » atteint plus 900 condamnations et fêtera son 5e anniversaire le 09 décembre 2018.
A quelles informations les citoyens peuvent-ils avoir accès ?
En consultant le site web de la cartographie, les internautes peuvent :
– mieux comprendre les caractéristiques de la corruption en France : ampleur, formes, récurrence, répartition géographique,
– identifier les condamnations prononcées dans leurs villes, départements ou régions,
– suivre une procédure judiciaire à ses différents stades (première instance, appel, cassation),
– constater le temps qui s’écoule entre la date de commission des faits et la date de la condamnation,
– connaitre le type de sanction prononcé en fonction de la nature de la (ou les) infraction(s).
Plus globalement, cet outil permet de mieux rendre compte de l’action de la Justice française en matière de lutte contre la corruption.
A ce propos, quels enseignements peut-on tirer d’un tel outil ?
Les statistiques tirés de la cartographie nous livrent des informations très intéressantes, notamment sur les délais d’une procédure judiciaire. Par exemple, sur la base des affaires recensées nous avons calculé un délai de 7 ans entre la date des faits et le jugement, la durée entre première instance et appel, etc. Cette information met en évidence le manque de moyens de la Justice en France depuis longtemps déploré par Transparency France.
La cartographie nous permet de connaître les infractions les plus fréquentes. Arrive en tête le détournement de fonds publics suivis de la prise illégale d’intérêts, du faux et usage de faux, de la corruption passive ou active, de l’abus de biens social, l’abus de confiance, le favoritisme… Ces données là nous ont permis de lancer des fiches pratiques sur des thématiques ciblées pour les citoyens qu’on retrouve à ce lien.
Mais attention, certaines données sont à relativiser ! Je m’explique. La cartographie informe également sur les secteurs d’activité les plus impliqués dans des affaires de corruption, mais il s’agit d’être prudent et de rapprocher ces données du nombre de personnes exerçant dans le dit secteur. Concrètement, si la majorité des condamnations recensées concerne des élus, ces condamnations ne représentent pourtant qu’un ratio largement inférieur à 1 pour mille à l’égard des 600 000 élus en France. Cette information est majeure pour les citoyens car elle vient contredire l’idée peut-être trop répandue du « tous pourris » et met plutôt en lumière la probité de la grande majorité des élus.
Cet outil peut-il être utile également au plaidoyer de Transparency France ?
Tout à fait. Certaines données extraites peuvent venir étayer les recommandations et rapports de Transparency France comme ça a été le cas dans le dernier en date qui dresse un premier état des lieux des avancées et des manquements en matière d’éthique et d’intégrité de la vie publique.
Transparency France avait plaidé pour l’obligation de présenter un casier judiciaire vierge pour se présenter à une élection, or, la loi rétablissant la confiance dans la vie politique, promulguée en septembre 2017, n’a que partiellement répondu à cette recommandation en instaurant une extension de l’inéligibilité de plein droit – mesure qui était déjà partiellement mise en œuvre par la loi Sapin 2.
Si les deux mesures visent, dans les principes, le même objectif, elles n’ont pas le même effet dans la réalité. Grâce à la cartographie, on constate que des citoyens condamnés pour faits de corruption ou atteinte à la probité après la promulgation de la loi de septembre 2017 pourraient se présenter librement aux prochaines élections s’ils le souhaitent, malgré une condamnation.
Depuis la promulgation de la loi de septembre 2017, une cinquantaine de condamnations d’élus ou d’anciens élus ont été répertoriées. L’analyse des condamnations révèle que la peine complémentaire d’inéligibilité n’a été prononcée que dans moins de la moitié des cas, alors que des peines d’amende et d’emprisonnement ont sanctionnés les infractions.
Les condamnés conservent, donc, leur mandat et peuvent se représenter à de prochaines élections.
Raymond, la cartographie est en constante évolution, quelles sont les dernières fonctionnalités ?
Tout d’abord, je tiens tirer un coup de chapeau à Fabien Schwebel, jeune ingénieur bénévole qui est un pilier de la cartographie. Il a assuré la conception de l’outil, il est à l’origine de sa mise en œuvre technique et l’améliore en permanence. Récemment, nous avons ajouté deux nouvelles fonctionnalités. Désormais, il est possible d’accéder plus facilement aux condamnations des DOM-TOM, en utilisant le champ de recherche dans la page d’accueil ou en cliquant sur la zone DOM-TOM située à gauche de l’écran. Aussi, nous avons ajouté l’accès à des statistiques dynamiques et à un exemple de vue comparative par Région. Il suffit de cliquer sur le « picto » affichant une France en bleu « Visualisations et Statistiques » (https://carto.transparency-france.org/analysis)
Raymond, pour conclure, nous comprenons que la cartographie est avant tout un outil construit pour les citoyens ! Comment chacun peut apporter sa contribution ?
Oui, les échanges, la communication, l’enrichissement par et pour les citoyens, a toujours été au cœur de notre projet ! La cartographie est basée sur deux principes. D’abord, celui de « Données Ouvertes » (Open Data) : tout internaute possède un libre accès, peut télécharger les données, faire ses propres analyses.
Ensuite, celui de « Production Participative » (crowdsourcing): tout internaute peut contribuer à l’enrichissement des données.
Comme mentionné plus haut, notre principale source d’information est les articles de presse qui relatent les condamnations. Mais toutes les condamnations ne sont pas publiées et nous avons besoin de l’aide des internautes qui peuvent avoir connaissances d’affaires locales pour compléter notre cartographie, la rendre la plus exhaustive. Aujourd’hui, près de 10% des condamnations enregistrées sont identifiées par des internautes.
Nous avons besoin de l’aide de tous pour donner aux citoyens le maximum d’éclairages sur les formes que revêt par la corruption en France. La cartographie est profondément un outil démocratique !