ANALYSE | Plan de relance : La France doit faire toute la transparence sur les bénéficiaires d’aides publiques

ANALYSE | Plan de relance : La France doit faire toute la transparence sur les bénéficiaires d’aides publiques

3 ans après son lancement, on ne sait toujours pas qui sont les principaux bénéficiaires français du plan de relance européen.

Dans son rapport de suivi de la mise en œuvre du plan de relance européen publié le 19 septembre, la Commission européenne a rappelé à l’ordre la France qui fait partie des 11 états-membres sur 27 qui ne respectent toujours pas leur obligation de publier la liste des 100 bénéficiaires à qui ils attribuent le plus d’argent du plan de relance européen. Cette obligation de transparence est issue d’un amendement adopté par le Parlement européen en février 2023, qui impose de publier ces informations en ligne dans un format « open data ».

La transparence sur les bénéficiaires d’aides publiques est pourtant essentielle, car elle permet de s’assurer que les gigantesques flux d’argent public alloués au secteur privé, via le plan de relance européen et les plans France relance ou France 2030 qui en découlent, ne soient pas détournés par la corruption. En effet, ces risques se sont déjà matérialisés par le passé, et ils pourraient se reproduire.

Transparency France plaide donc pour un contrôle et une transparence accrus, à la fois ex-ante et ex-post, de l’attribution des aides publiques. Ces recommandations sont détaillées dans une note que nous avions adressé au Secrétaire général au plan de relance, et à d’autres services compétents du ministère de l’économie et des finances, avec lesquels nous avons eu l’occasion d’échanger lors d’un rendez-vous le 27 juin 2022.

Une transparence lacunaire…

En ce qui concerne la question plus spécifique de la transparence réalisée ex-post, c’est-à-dire postérieurement à l’allocation d’aides publiques à des bénéficiaires d’aides, on ne peut que constater les lacunes de la France en matière de publicité des bénéficiaires d’aides publiques, qu’il s’agisse de personnes morales ou physiques qui peuvent toucher des subventions économiques pour des montants importants. Des initiatives de transparence existent, mais sont insuffisantes. Elles sont en effet :

  • Tardives : Les données relatives aux bénéficiaires français des 100 milliards d’euros du plan de relance européen, dépensés en quasi-intégralité depuis fin 2022, ne seront pas publiées avant 2026 selon une réponse adressée par le Secrétariat général au plan de relance à un journaliste du Monde qui cherchait à y accéder.
  • Incomplètes : le Ministère de l’économie a mis en lige un tableau de bord du plan de relance, mais les données qu’il contient ont un niveau de granularité insuffisant. Les données sont agrégées par département et mentionnent rarement les montants et l’identité des bénéficiaires des aides publiques du plan de relance.
  • Limitées au strict nécessaire : En réponse à une demande d’accès à document administratif adressée par Transparency France et portant sur le montant des aides accordées au titre de l’aide « Industrie du futur », l’administration a initialement opposé un refus implicite. Elle a fini par répondre à la CADA qui avait été saisie, en opposant le secret des affaires à la communication des montants d’aides inférieurs au seuil des 500 000 euros au-delà duquel ces données doivent être publiées obligatoirement sur la plateforme européenne des aides publiques.
  • Eparses : une recherche sur le site data.gouv.fr qui agrège les jeux de données publiés par les acteurs publics permet de constater que les données essentielles des conventions de versement des subventions sont essentiellement publiées par des collectivités territoriales pour les subventions, de faible montant, qu’elles accordent aux associations, et très peu par les opérateurs de l’Etat pour les aides publiques d’un montant bien plus élevé qui sont accordées à des entreprises.

…pourtant imposée par de multiples sources juridiques

Pourtant, de nombreuses obligations juridiques nationales et européennes imposent la transparence des bénéficiaires d’aides publiques en France.

  • Transparence des aides d’Etat dans l’UE : en application des règles européennes sur la transparence des aides d’Etat du 1er juillet 2016, les Etats membres doivent adresser à la Commission européenne dans un délai de 6 mois les données relatives aux subventions accordées à des entreprises pour un montant supérieur à 500 000 euros. Les données sont ensuite accessibles dans un format open data en ligne sur la base de données européenne des aides d’Etat.
  • Ouverture par défaut des données détenues par le secteur public : la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique a créé une obligation de publication par défaut des jeux de données détenus par les administrations, ce qui inclut les jeux de données relatifs aux bénéficiaires d’aides publiques.
  • Communicabilité des documents administratifs relatifs aux aides publiques : La loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 a créé les principes du droit d’accès aux documents administratifs. Plus particulièrement, la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) a déjà rappelé dans son avis n° 20152347 que « toute personne peut obtenir (…) communication des documents comportant le nom et le montant d’aides publiques versées à des personnes physiques ou morales, dès lors que ces documents n’incluent pas des mentions couvertes par l’un des secrets protégés par cette même loi, notamment le secret de la vie privée et le secret en matière industrielle et commerciale. »
  • Transparence des données essentielles des conventions de subvention : l’article 10 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, et son décret d’application n°2017-779, imposent la publication en « open data » des données essentielles relatives aux conventions de versement des subventions. Ces conventions doivent être établies avec des associations ou entreprises bénéficiant de subventions publiques, à partir d’un certain montant et dans un délai de 3 mois après leur versement. Les données doivent notamment comprendre l’identité du bénéficiaire, le montant accordé et la nature et objet de la subvention.

Des obstacles surmontables…

Parmi les obstacles légitimes qui s’opposent à la transparence, figure en premier lieu la difficulté pratique qui découle du nombre élevé d’aides publiques aux entreprises. Les chambres de métiers et d’artisanat recensent ainsi 1985 aides publiques différentes dont peuvent bénéficier les entreprises. Celles-ci sont versées par de multiples opérateurs publics ayant recours à des systèmes d’information différents qui ne permettent pas une centralisation aisée des données dans un répertoire unique.

Un autre obstacle légitime à prendre en compte est le respect de la vie privée pour les aides publiques attribuées directement à des personnes physiques. Sur cet aspect particulier, un équilibre a été trouvé pour les aides attribuées à des agriculteurs au titre de la politique agricole commune. En application de l’article 98 du règlement européen (UE) n° 2021/2116 les Etats-membres doivent publier annuellement les données ex-post sur les bénéficiaires d’aides au titre de la politique agricole commune. Ces bénéficiaires peuvent être des personnes morales ou privées. Pour les personnes privées, le règlement européen tient compte des limites exprimées dans l’arrêt de la CJUE du 9 novembre 2010. Les bénéficiaires sont ainsi informés de la mise en ligne des données les concernant, et lorsqu’ils bénéficient d’aides d’un montant inférieur à 1250 euros leurs données sont anonymisées. Les données relatives aux bénéficiaires français des aides accordées au titre de la PAC sont désormais accessibles en open data sur le site Telepac, exemple de transparence qui pourrait être étendu à toutes les aides publiques.

…mais une promesse politique qui doit être tenue

Au-delà des obligations juridiques, la transparence des aides publiques est une promesse politique qui doit être tenue. C’est un engagement pris par le Président de la République sur le plan de relance lors du sommet du Partenariat pour un Gouvernement ouvert de 2020, et retranscrit par écrit dans le plan pluriannuel 2021-2023 de la France auprès des autres pays membres. C’est aussi un argument revendiqué régulièrement par l’Union européenne qui peut ainsi faire valoir la transparence affichée par l’Union européenne et les Etats membres face à l’unilatéralisme américain, illustré par l’Inflation Reduction Act, ou à l’interventionnisme chinois, tous deux très opaques.

Pour la création d’un répertoire des bénéficiaires d’aides publiques

Une solution pour concrétiser cette promesse serait d’inscrire dans la loi la création d’un répertoire unique et centralisé des données relatives aux bénéficiaires d’aides publiques. Connectées à d’autres jeux de données comme le registre des bénéficiaires effectifs, les données essentielles de la commande publique, les déclarations d’intérêts des responsables publics ou les déclarations de lobbying, ces données permettraient de mieux détecter la corruption et de rendre plus efficient et plus transparent l’usage d’argent public. Ces données pourront ensuite être traitées par des outils comme Integrity Watch développé par plusieurs sections de Transparency International à travers l’Union européenne.


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