ANALYSE / EVALUATION PAR LE GRECO DE L’ENGAGEMENT DES AUTORITÉS FRANÇAISES EN MATIÈRE DE PRÉVENTION DE LA CORRUPTION DES PARLEMENTAIRES, DES JUGES ET DES PROCUREURS
Le 30 janvier dernier, le Groupe d’États contre la Corruption (GRECO) a rendu publique une mise à jour de son évaluation de l’action des autorités françaises en matière de prévention de la corruption des parlementaires, des juges et des procureurs.
Au sein du Conseil de l’Europe, le GRECO a été créé en 1998 et la France en est partie prenante depuis l’origine. Le GRECO a pour mission d’évaluer l’efficacité de chaque dispositif national de lutte contre la corruption.
Ce deuxième addendum au deuxième rapport de conformité du GRECO est le rapport final qui vient conclure un processus d’évaluation approfondie de l’action des pouvoirs publics. En dix ans, la France a mis en œuvre six des onze de recommandations formulées par le GRECO en 2013.
Deux désaccords majeurs subsistent.
· Pour les parlementaires, le GRECO (comme Transparency International France) juge que le régime actuel de publicité des déclarations de patrimoine des députés et des sénateurs est un trompe-l’œil. Dix ans après le vote de la loi de 2013 sur la transparence de la vie publique, ces déclarations devraient maintenant devenir accessibles facilement et à l’ensemble du public comme le sont celles des ministres.
· Pour protéger l’indépendance des magistrats du siège, le GRECO considère que le pouvoir d’enquête administrative du garde des sceaux devrait être confié au Conseil supérieur de la magistrature. Même si les enquêtes administratives lancées par le garde des sceaux ont été au cœur de l’actualité depuis l’été 2020, Transparency International France n’a pas retenu cette préconisation.
L’évaluation méthodique et pluriannuelle de l’action des autorités françaises contre la corruption suit des cycles. Deux cycles sont actuellement en cours :
– Le 4ème cycle d’évaluation lancé en 2013 concerne la prévention de la corruption des parlementaires, des juges et des procureurs.
RECOMMANDATIONS DU GRECO RELATIVES AUX PARLEMENTAIRES
En matière parlementaire, le GRECO a formulé six recommandations en 2012. Aujourd’hui la France en met en œuvre trois de manière satisfaisante.
Le GRECO juge que le Parlement s’est doté d’un corpus déontologique, de règles de traitement des conflits d’intérêts et de procédures disciplinaires et qu’en conséquence sa recommandation a été mise en œuvre de manière satisfaisante. Le GRECO salue le contrôle des frais de mandat, mais conteste l’absence de publicité. Le GRECO juge également que les règles relatives aux cadeaux ne sont pas assez strictes.
Publicité des déclarations de patrimoine
Depuis le début de cet cycle d’évaluation, il existe un désaccord sérieux entre le GRECO et les autorités françaises sur la publicité des déclarations de patrimoine. Le GRECO constate que les déclarations de patrimoine des députés et sénateurs ne sont pas rendues accessibles facilement à l’ensemble du public. Nonobstant les objections constantes des autorités françaises, le GRECO regrette que ces règles soient « excessivement contraignantes et particulièrement dissuasives ». Il juge que le nombre de consultations annuelles est dérisoire (18 en 2022 contre un million de consultations des patrimoines accessibles en ligne). Transparency International France partage pleinement le point de vue du GRECO et conteste la pertinence d’un régime de publicité inutilement restrictif.
Prévention des conflits d’intérêts
En matière de déontologie, Transparency International France constate avec satisfaction la mise en place d’un registre public des déports et un début d’appropriation de la pratique du déport par les parlementaires. Nous proposons de renforcer la déontologie parlementaire avec deux mesures :
– Un avis préalable du déontologue sur l’élection des présidents de commission permanente et des rapporteurs, les nominations dans un organisme extraparlementaire et les voyages organisés par les groupes d’amitié diplomatique.
– La mise à jour annuelle des déclarations d’intérêt.
Frais de mandat et cadeaux
Concernant les frais de mandats, si le GRECO est satisfait des conditions du contrôle, il appelle toutefois à un progrès dans la transparence. En réponse, les autorités françaises défendent les dispositifs mis en place à l’Assemblée nationale comme au Sénat. Concernant la publicité, la France rappelle que la non-publication est la norme, alors que la publicité est l’exception (Royaume-Uni et États-Unis). Les autorités évoquent même une difficulté constitutionnelle : le principe de libre exercice du mandat parlementaire, consacré par le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État, s’oppose à la publicité. Transparency International France partage les réserves du GRECO et demande la publication en format ouvert de l’avance sur frais de mandat. Elle recommande aussi de renforcer le contrôle et de supprimer la tolérance de 150 € de dépenses hebdomadaires injustifiées. Au moment où le Parlement a fait le choix d’augmenter l’enveloppe de frais de mandat de 300 € supplémentaires par mois pour les députés (soit 5950 € par mois) et 700 € pour les sénateurs (soit 6600 euros par mois), la réaction de l’opinion montre que sur ce sujet sensible plus de transparence est nécessaire.
Concernant les cadeaux, le GRECO constate que la réglementation n’est pas assez stricte : pas d’interdiction de principe, des obligations qui ne pèsent que sur les tiers et pas sur les parlementaires. Transparency International France recommande d’interdire aux députés d’accepter les cadeaux d’un montant supérieur à 150 euros.
D’autres chantiers
Le cadre défini par le GRECO en 2012 est déjà dépassé. Transparency International France propose d’encadrer les reconversions professionnelles des parlementaires en les intégrant pleinement dans le dispositif de contrôle des mobilités public-privé sous la supervision de la HATVP, mais aussi en interdisant aux anciens parlementaires d’exercer une activité de lobbying pendant un an. Transparency International France propose également de plafonner la rémunération issue des activités professionnelles annexes à 50 %, ou moins, du montant de l’indemnité parlementaire. Par ailleurs, les députés qui conservent une activité de conseil devraient être obligés de rendre publique la liste de leurs clients.
Si le GRECO donne un satisfecit aux autorités françaises en matière de statut des collaborateurs, Transparency International juge toutefois qu’un statut plus protecteur avec des obligations déontologiques précises reste indispensable.
RECOMMANDATIONS DU GRECO RELATIVES AUX JUGES
Comme d’autres organisations européennes : le GRECO distingue strictement les juges (le siège en droit français) et les procureurs (le parquet) et écarte la catégorie « magistrats ».
Depuis 2013, le GRECO recommande que le pouvoir disciplinaire exercé sur les juges soit complètement soustrait à l’Exécutif.
Les autorités françaises soulignent que les chefs de cour et l’Inspection générale de la justice mènent les procédures administratives en amont de toute procédure disciplinaire dans un cadre solide et protecteur pour les juges. Elles s’opposent à ce que le CSM puisse, en l’état du droit constitutionnel, saisir directement l’IGJ (pouvoir propre du garde des sceaux fondé sur l’article 20 de la Constitution et l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen). Elles indiquent que le CSM peut toutefois solliciter le garde des sceaux en vue de saisir le CSM, faculté renforcée par l’article 9 de la récente loi organique qui favorise la saisine directe du CSM par les justiciables. Elles font également valoir que les missions d’enquêtes administratives sont composées exclusivement de magistrats. Le CSM, dans ses décisions des 15 septembre et 19 octobre 2022, a d’ailleurs rappelé les conditions d’impartialité et de loyauté dans lesquelles étaient menées ces investigations.
Le GRECO, en concordance de vue avec la Commission de Venise (Conseil de l’Europe), maintient son désaccord, inquiet que le pouvoir d’initiative et d’investigation soit confié au garde des sceaux et non au seul CSM. Il préconise de retirer au garde des sceaux son pouvoir d’enquête en plaçant l’Inspection générale de la justice auprès du Conseil supérieur de la magistrature.
Dans le cadre de la révision de son plaidoyer constitutionnel, Transparency International France n’a pas retenu une proposition aussi radicale qui priverait le garde des sceaux et le gouvernement d’un outil important pour assurer « la bonne administration de la justice » dont le Conseil constitutionnel a reconnu la valeur constitutionnelle en 2009. Transparency International France estime cependant que le corollaire du statu quo est l’application d’une règle stricte de déport du garde des sceaux en cas de conflits d’intérêts.
RECOMMANDATIONS DU GRECO RELATIVES AUX PROCUREURS
Sur l’indépendance du parquet, les initiatives de 2013 et 2019 ont échoué. Les autorités françaises ajoutent que les États généraux de la justice ont débattu sans réunir de majorité de la possibilité de conférer au Conseil supérieur de la magistrature un pouvoir propre de proposition pour certaines fonctions du parquet. Le GRECO constate que sa recommandation reste partiellement mise en œuvre : en l’espèce, il est très généreux puisque ni la procédure de nomination des procureurs ni la procédure disciplinaire des membres du parquet n’ont été alignées sur celle du siège.
Comme le GRECO, Transparency International France invite les pouvoirs publics à consacrer l’indépendance du parquet en alignant la procédure de nomination et de discipline des magistrats du parquet sur celle des magistrats du siège. Cet alignement est souvent évoqué de manière incomplète en retenant seulement deux aspects :
· l’avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature sur les nominations
· et le transfert du pouvoir disciplinaire du garde des sceaux à ce même CSM.
Un troisième volet est nécessaire pour procéder à un véritable alignement du statut des magistrats sur celui des magistrats du siège. Il s’agit de confier un pouvoir de proposition au Conseil supérieur de la magistrature pour les postes les plus importants. Dans sa rédaction actuelle, l’article 65 de la Constitution dispose que le CSM « fait des propositions pour les nominations des magistrats du siège à la Cour de cassation, pour celles de premier président de cour d’appel et pour celles de président de tribunal de grande instance ». Un véritablement alignement du statut constitutionnel du parquet sur celui du siège suppose que le CSM dispose d’un pouvoir de proposition pour les magistrats du parquet général près la Cour de cassation, les procureurs généraux près les cours d’appel et les procureurs de la République.
Si le GRECO a validé le régime actuel autorisant les remontées d’information, Transparency International France considère que l’interdiction ou a minima l’encadrement strict des remontées d’informations individuelles des parquets vers la Chancellerie est nécessaire. Cette pratique alimente les suspicions d’instrumentalisation politique et sont dommageables pour la confiance des citoyens dans l’institution judiciaire.