Alors que certains pays de l’Union européenne obtiennent régulièrement de bons résultats sur l’indice de perception de la corruption (IPC), les derniers résultats montrent une baisse de la moyenne européenne pour la deuxième année consécutive. Cela coïncide avec les récents scandales tels que le Qatargate et les Uber Files, mettant en évidence la persistance du problème de la corruption au sein de l’UE.
Une étude estime que la corruption coûte chaque année 990 milliards d’euros aux pays européens. L’UE n’est pas aveugle, et travaille sur une directive anti-corruption afin d’harmoniser les lois anti-corruption dans l’ensemble de l’Union, dans le but de respecter – et, espérons-le, de dépasser – les normes mondiales. Cependant, cet effort est maintenant menacé.
En mai 2023, la Commission européenne a proposé une directive que le Parlement a renforcée en février 2024 avec une position plus ambitieuse, intégrant plusieurs recommandations d’organisations de lutte contre la corruption. Toutefois, en juin 2024, le Conseil a publié une version bien plus faible du texte, sous la pression de certains États membres cherchant à l’édulcorer.
Les trois institutions européennes sont maintenant en négociation pour finaliser la directive. Il est crucial que le Conseil adopte la position du Parlement. Dans le cas contraire, une version affaiblie de la loi serait une victoire vide de sens, permettant en fin de compte à la corruption de continuer à se propager au sein de l’UE
Pourquoi l’UE a-t-elle besoin d’une directive anti-corruption ?
À l’heure actuelle, chaque pays de l’UE adopte et applique ses propres lois anti-corruption, ce qui permet aux pratiques corruptives de prospérer dans les États aux réglementations plus laxistes. En Italie, par exemple, l’année dernière,l’abus de pouvoir par des fonctionnaires a été dépénalisé l’année dernière. Ces failles juridiques entravent l’harmonisation des règles et compliquent la coopération entre États membres, car les crimes reconnus dans certains pays peuvent ne pas être poursuivis dans d’autres.
Cette mosaïque de règles affecte également les mesures visant à prévenir la corruption et à accroître la transparence. Par exemple, les réglementations en matière de lobbying varient considérablement d’un pays à l’autre. En Pologne, la définition d’un lobbyiste est si étroite qu’avant 2024, seules 19 personnes étaient tenues de s’enregistrer. Aux Pays-Bas, l’enregistrement étant volontaire, seules 72 personnes figuraient sur la liste en 2023, laissant la porte ouverte à des lobbys non enregistrés pour influencer le gouvernement de façon opaque. En revanche, des pays comme la France et l’Allemagne, qui ont des définitions plus strictes, comptent des milliers de lobbyistes enregistrés.
Il y a aussi une énorme divergence dans les normes de transparence pour le financement politique. L’année dernière, il a été rapporté que seuls sept des 27 pays de l’UE exigaient des partis politiques qu’ils révèlent l’identité de tous leurs donateurs privés. Notre analyse montre que de telles failles – telles que les dépenses non réglementées de tiers, l’opacité des donateurs d’entreprise, les rapports inopportuns, les formats de divulgation inadéquats et l’absence de surveillance appropriée – restent courantes dans l’ensemble de l’Union, empêchant finalement les électeurs de savoir qui finance les partis et les candidats de leur choix.
L’UE a maintenant la possibilité de s’assurer que les pays mettent effectivement en œuvre les engagements qu’ils ont pris dans le cadre de la Convention des Nations unies contre la corruption (CNUCC), tout en traitant des problématiques spécifiques à l’UE de manière harmonisée et efficace. Il offre également l’occasion d’exiger des institutions, organes et agences de l’UE qu’ils prennent des mesures qui garantissent le plus haut degré d’intégrité, de transparence et de responsabilité dans l’ensemble de l’Union.
Quelle est la position du Conseil ?
La législation de l’UE est proposée par la Commission européenne, mais doit être négociée et approuvée par consensus entre le Parlement européen et le Conseil. Le Conseil est composé des gouvernements de chaque État de l’UE et, dans le cas de la directive proposée, il semble être devenu un forum pour ceux qui ont des mesures anti-corruption faibles pour la saper. Certains pays ont résisté à certaines dispositions afin de préserver le statu quo sur leur territoire, comme l’Italie, qui a demandé plus de flexibilité dans la position du Conseil sur la criminalisation de l’abus de pouvoir, ce qui permettrait au pays de maintenir ses récentes réformes.
Dans l’ensemble, la proposition du Conseil réduit l’efficacité de la directive sur deux aspects fondamentaux : la prévention et la criminalisation. Elle affaiblit les mesures de prévention tout en réduisant le délai de prescription, ce qui complique à la fois la détection des actes de corruption avant qu’ils ne surviennent et leur poursuite une fois commis. Plus précisément, en matière de prévention, elle limite les exigences de transparence et de divulgation, rendant plus difficile la détection de la corruption et la coopération entre États pour la mettre au jour.
Pire encore, le texte introduit des formulations qui créent davantage de failles juridiques et compliquent potentiellement sa transposition dans les États membres.
Dans certains cas, le langage employé est plus vague, ce qui permet à des cas ambigus d’échapper aux sanctions. Dans d’autres, il est tellement spécifique qu’il ne s’applique qu’à des situations rares. Par exemple, la position plus souple du Conseil sur le trafic d’influence reflète le langage utilisé dans le droit irlandais, qui exige la preuve d’une « influence indue » plus forte dans les affaires pénales – ce qui impose une charge de preuve plus élevée et rend les condamnations plus difficiles. À l’inverse, les normes de la Convention des Nations unies contre la corruption (UNCAC) utilisent une définition plus large d’« influence réelle ou supposée ».
Comment rendre la Directive anti-corruption plus efficace ?
La directive offre une occasion unique de lutter contre la corruption dans tous les États membres et de s’assurer qu’aucun pays ne fasse exception aux règles de prévention et d’application des lois anti-corruption. Le Parlement a fourni un modèle de ce à quoi pourrait ressembler un cadre de prévention solide. De plus, le fait qu’un grand nombre de ces dispositions soient déjà mises en œuvre dans certains États membres démontre leur faisabilité et leur praticité.
Un ensemble robuste d’outils d’intégrité devrait être mis en place afin de rendre beaucoup plus difficile pour les acteurs corrompus d’opérer dans l’ensemble de l’Union Européenne, incluant :
- la déclaration et la vérification des patrimoines et intérêts des responsables publics,
- la gestion des conflits d’intérêts,
- des règles strictes pour limiter les allers-retours entre le secteur public et le privé,
- des principes de données ouvertes,
- une transparence accrue sur le financement des partis politiques.
Des mesures fortes sont également nécessaires pour permettre aux forces de l’ordre de garantir que les responsables rendent des comptes. L’une des étapes cruciales consiste à établir un cadre pour les résolutions judiciaires négociées, afin qu’elles soient transparentes et dissuasives. Trop souvent, ces accords sont perçus comme un simple coût à payer pour continuer leurs pratiques illicites.