ANALYSE / « Qatargate » : la France doit se prémunir contre la corruption stratégique d’Etats-tiers

ANALYSE / « Qatargate » : la France doit se prémunir contre la corruption stratégique d’Etats-tiers

La gravité des accusations qui visent aujourd’hui une vice-présidente du Parlement européen et ses proches fait planer l’ombre de la corruption bien au-delà des institutions européennes.

Cette affaire dénommée “Qatargate”, mais qui pourrait impliquer d’autres pays, incarne une menace identifiée de longue date : celle de l’ingérence dans l’Union européenne de pays tiers pour qui la corruption est un outil parmi d’autres pour influencer la décision politique.

Les parlementaires français et les décideurs publics nationaux en général sont-ils à l’abri de ces ingérences ? La réponse est malheureusement négative. En effet, si le Parlement français a fait davantage de progrès que le Parlement européen ces dernières années en matière de transparence et de déontologie, ce qui doit être salué, il subsiste des failles dans le dispositif qui sont autant de portes d’entrée pour des corrupteurs déterminés. Surtout, il serait erroné de limiter la réponse à ce scandale à de simples mesures d’éthique et de transparence. Celui-ci appelle à s’interroger sur l’architecture de la politique publique de lutte contre la corruption et les manquements à la probité, de la prévention à la répression.

 

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Une stratégie gouvernementale de lutte contre la corruption

La réponse au Qatargate doit d’abord s’inscrire dans une politique publique globale de la France pour lutter contre la corruption.

La révision en cours du plan national pluriannuel de lutte contre la corruption de l’Agence Française Anticorruption, en offre l’occasion. Lors des Etats Généraux de la Justice, Transparency International France a défendu la mise en place d’une structure interministérielle qui fasse de Matignon, le pilote d’une action globale, résolue et cohérente contre la corruption.

Indépendance et moyens de la Justice

La révélation du  “Qatargate” est avant tout le résultat d’une longue investigation de la justice belge, qu’il convient de saluer à l’heure où, en France, la réforme de la police nationale menace de déstabiliser les services de la police judiciaire. La lutte contre la corruption nécessite une justice indépendante et des services enquêteurs spécialisés et autonomes, à l’abri des pressions et des ingérences, capables de travailler sur la longue durée et bénéficiant de signes de reconnaissance dans leurs plans de carrière. Transparency International a pris part aux débats sur l’avenir de la police nationale qui ont eu lieu en marge de l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur. Elle sera auditionnée au début de l’année 2023 par la mission d’information sénatoriale. Il est impératif que la réforme de la police nationale ne fragilise pas la liberté du choix du service enquêteur par les magistrats. Il importe aussi que les moyens policiers affectés à la lutte contre la corruption soient préservés dans le cadre d’une nouvelle gouvernance départementale tout entière conçue au service du traitement de la délinquance visible, celle du quotidien.

Comme l’a rappelé le Conseil supérieur de la magistrature, la réforme dont le contenu sera arrêté au début de l’année 2023, ne peut pas sacrifier des principes de droit aussi fondamentaux que la direction de l’enquête par le parquet, le libre choix du service enquêteur par les magistrats, le respect du secret de l’enquête et la mise en œuvre locale de la politique pénale par les procureurs et les procureurs généraux.

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Encadrement de l’usage d’argent liquide

Les images spectaculaires des fonds en espèces – plus de 1,5 million d’euros – saisis à la suite de perquisitions de la police belge démontrent que l’argent liquide reste un moyen de corruption au même titre que des comptes bancaires cachés dans des paradis fiscaux et judiciaires. Cela remet sur le devant de la scène la question des règles encadrant les paiements en espèces. Or les pratiques sont encore très disparates entre les Etats membres de l’Union européenne. Si la France interdit tout paiement en espèces au-delà de 1 000 euros, d’autres Etats tels que l’Allemagne, l’Autriche, Chypre ou Malte, n’imposent aucune limite aux paiements en espèces. Dans le cadre du paquet anti-blanchiment en cours d’examen par les institutions européennes, le plafond de 10 000 euros pour les paiements en espèces sur lequel le Conseil de l’Union s’est mis d’accord le 6 décembre 2022, est manifestement trop élevé et doit être substantiellement abaissé.

Déclarations de patrimoine et contrôle des activités de conseil

L’importance des déclarations de situation patrimoniale que vérifie la HATVP pour 17 000 responsables publics, élus ou agents publics, est également soulignée par ce scandale. En permettant de vérifier une éventuelle hausse inexplicable de patrimoine en début et en fin de fonctions ou de mandat, et d’opérer des contrôles pour en assurer la sincérité, cette déclaration est un outil essentiel de détection des pots-de-vin et autres cadeaux et aussi un outil de prévention des manquements à la probité. En France, depuis le tournant éthique pris en 2013, à la suite de l’affaire Cahuzac, les parlementaires français sont tenus de déclarer leur patrimoine contrairement aux parlementaires européens qui ne sont soumis qu’à l’obligation de déclarer leurs intérêts. Le législateur a cependant prévu un régime de publication compliqué : les déclarations des membres du gouvernement sont accessibles en ligne, celles des parlementaires sont seulement consultables en préfecture. Or, le scandale du Qatargate rappelle que les parlementaires sont aussi exposés que les membres de l’exécutif. Il est devenu aujourd’hui pertinent de publier les déclarations de patrimoine des parlementaires comme celles des membres du gouvernement. Il est aussi nécessaire, au-delà des créations de postes prévus dans le PLF pour 2023, de donner à la HATVP les moyens de s’assurer de leur sincérité et de détecter d’éventuels comptes bancaires ou biens immobiliers cachés qui seraient issus de la corruption.

Protéger le Parlement français nécessite aussi un régime plus rigoureux de contrôle des activités de conseil des parlementaires. Depuis 2013, un parlementaire en exercice ne peut pas commencer à exercer une activité de conseil, mais peut poursuivre une activité de conseil préexistante. Cette cote mal taillée doit être remise en cause. Un parlementaire devrait se consacrer entièrement à sa mission d’élu de la Nation. L’activité de conseil annexe devrait donc être interdite.

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Transparence du lobbying

Le “Qatargate” soulève aussi la question de la transparence des relations entre les décideurs publics et les représentants d’intérêts. Il est ainsi urgent que l’Assemblée nationale et le Sénat imposent à leurs membres, rapporteurs généraux et spéciaux, coordinateurs de groupe politique et présidents de commission permanente et de groupes d’amitié, la publication en format ouvert de leurs rencontres avec les représentants d’intérêts, à plus forte raison lorsqu’il s’agit des représentants d’Etats tiers. Le simple volontarisme a en effet montré ses limites. Le règlement de chaque assemblée doit prévoir des mécanismes de contrôle et de sanctions en vue de s’assurer que tous les parlementaires concernés se conforment à cette règle de transparence pour éviter qu’elle ne soit à géométrie variable, comme c’est le cas au Parlement européen.

Cette transparence accrue du lobbying doit aussi passer par des obligations renforcées pesant sur les représentants d’intérêts et sur les Etats tiers qui ne sont visés par aucune obligation aujourd’hui, que ce soit au niveau européen ou français. S’il est positif que la HATVP envisage de modifier ses lignes directrices pour inciter les cabinets de lobbying à déclarer les Etats tiers qu’ils pourraient représenter, il convient d’aller plus loin en inscrivant cette obligation dans la loi sur la transparence de la vie publique et en incluant les Etats tiers dans la liste des représentants d’intérêts soumis à des obligations de transparence lorsqu’ils cherchent à influencer des décisions publiques nationales, ce qui dépasse le cadre strict des usages diplomatiques.

Une telle inclusion des Etats tiers dans le répertoire des représentants d’intérêts de la HATVP ne saurait être suffisante. En effet, il semble ressortir du Qatargate que des ONG qui n’avaient pas d’obligation d’inscription au registre de transparence des lobbys de l’Union européenne auraient pu servir de paravent à d’autres intérêts politiques et économiques restés dans l’ombre. Il paraît donc indispensable de réviser le décret du 9 mai 2017 afin de simplifier les seuils déclenchant une obligation d’inscription, d’étendre l’obligation de déclaration aux entrées en communication à l’initiative des responsables publics et d’étendre le champ des entités soumises à déclaration.

Dans la foulée de la révélation du Qatargate, interrogé au sujet du décret de 2017, le Gouvernement a esquissé pour la première fois une ouverture timide vers une réécriture du décret. Après six années de blocage par le gouvernement, c’est un changement à saluer mais la révision du décret doit être suffisamment ambitieuse pour prévenir les risques d’influence abusive auxquels notre démocratie doit faire face, tant de la part d’acteurs étatiques que privés.

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