ANALYSE / Déclarations d’intérêts des députés : des avancées réelles et plusieurs points d’alerte

ANALYSE / Déclarations d’intérêts des députés : des avancées réelles et plusieurs points d’alerte

le 15 février dernier, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) a enfin publié les déclarations d’intérêts des députés de la XVIème législature. C’est la deuxième fois que les députés se livrent à cet exercice depuis l’entrée en vigueur des obligations de transparence qui avaient été votées à la suite de l’affaire Cahuzac en 2013, et les comparaisons statistiques que l’on peut en tirer reflètent une tendance positive. Transparency France qui avait plaidé pour la mise en œuvre de ces obligations ne peut que s’en féliciter et espérer qu’il s’agit du signe que la culture de la transparence s’ancre durablement à l’Assemblée nationale. La possibilité d’un retour en arrière ne doit néanmoins jamais être écartée, et des améliorations devront être portées au dispositif légal et à la pratique pour s’assurer que la tendance observée s’ancre dans le long terme.

Attribuer plus de moyens à la HATVP pour résoudre le dilemme entre rapidité de publication et nécessité de contrôle

Premier fait notable quand on compare la situation de 2022 à celle de 2017, le délai de publication des déclarations d’intérêts a doublé. En 2017 ces dernières avaient été publiées en octobre, soit quatre mois après les élections législatives, sachant que les députés disposent d’un délai de deux mois après leur entrée en fonction pour se conformer à leurs obligations déclaratives auprès de la HATVP. Cette fois-ci les déclarations d’intérêts ont été publiées en février, soit huit mois après l’élection des nouveaux députés ! Ce délai a néanmoins permis à la HATVP de procéder à des contrôles approfondis préalables à la publication. Ces derniers-ci étaient bien nécessaires puisque 8 députés sur 10 ont dû procéder à des rectifications afin de « corriger des erreurs formelles ou des inexactitudes non substantielles ». En 2017, la HATVP avait publié les déclarations après des contrôles seulement superficiels, et la presse avait pu détecter rapidement un grand nombre d’erreurs évidentes mais heureusement mineures qui remettaient en cause l’exhaustivité et la sincérité du contenu de l’ensemble des déclarations. Cette fois on peut accorder plus de crédibilité au contenu des déclarations d’intérêts, bien qu’il soit possible que des omissions subsistent ce qui rend toujours indispensable le contrôle externe opéré par la société civile.

Il n’en reste pas moins que ce délai de publication a comme inconvénient l’extension de la période durant laquelle les députés examinent des textes sans que l’on dispose des outils nécessaires à la prévention d’éventuels conflits d’intérêts. Des députés ont ainsi déjà été mis en cause pour de potentiels conflits d’intérêts avant la publication des déclarations, et ces questionnements éthiques ne peuvent être tranchés par le déontologue de l’Assemblée que s’il dispose de déclarations d’intérêts fiables pour bâtir son analyse. Par parallélisme, il convient de rappeler que les faits qui ont valu a Eric Dupont Moretti une mise en examen pour prise illégale d’intérêts ont été commis lors de ses touts premiers mois d’exercice, preuve supplémentaire du caractère sensible de cette période.

Seule solution pour concilier rapidité de publication et exigence de contrôle, donner à la HATVP des moyens nécessaires à l’exercice de ses fonctions, sans induire des délais préjudiciables.

Un meilleur respect des obligations déclaratives dû à la carotte ou au bâton ?

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : les députés respectent de mieux en mieux leurs obligations déclaratives. En 2017, pas moins de 84 députés avaient déposé leurs déclarations d’intérêt après le délai légal de 2 mois. En 2022, seuls 10 députés ont dépassé le délai légal de dépôt, dont un seul pour sa déclaration de patrimoine. Pire encore, en 2017 six députés n’avaient toujours rien déclaré au moment de la publication des déclarations en octobre. Cette situation ne s’est pas reproduite en 2022. On peut attribuer cette amélioration à la progression d’une culture de la déontologie et à une prise de conscience de l’importance de cet enjeu. Mais il faut aussi reconnaitre que la nouvelle sanction de non-remboursement des frais de campagne en cas de dépôt hors délai de la déclaration de patrimoine, introduite par une loi de 2019, a très certainement motivé les nouveaux élus à se mettre en conformité avec la loi. Ainsi seul un député a déposé sa déclaration de patrimoine hors délai en 2022, alors qu’ils étaient 34 dans cette situation en 2017.

La reforme des frais de mandat a porté ses fruits

Une des premières mesures votées par les députés lors de la précédente législature a été la réforme des frais de mandat des parlementaires via la loi Confiance dans la vie politique de 2017. Si cette réforme mérite encore quelques évolutions pour être définitivement aboutie, on peut tout de même constater qu’elle semble avoir porté ses fruits en ce qui concerne les cas de détournement à des fins d’enrichissement personnel. Ainsi, la HATVP n’a identifié en 2022 aucune variation de patrimoine anormale à la suite du contrôle des déclarations de patrimoine des députés sortants. En 2017, douze variations suspectes avaient été constatées pour les sortants et la HATVP avait transmis ces suspicions de dépenses frauduleuses au Parquet national financier. Depuis, 3 députés avaient pu échapper à des poursuites en remboursant les dépenses litigieuses, d’autres procédures sont toujours en cours.

La conservation d’une activité professionnelle annexe, importante source de conflits d’intérêts

94 députés ont déclaré à la HATVP conserver une activité professionnelle en parallèle de leur mandat. C’est une proportion semblable aux députés de la précédente législature, et ces activités annexes devront de nouveaux être scrutées pour éviter des dérives qui ont déjà été à l’origine de mises en cause pénales par le passé. Les activités annexes de consultants, qui peuvent aussi s’exercer via la profession d’avocat, constituent plus particulièrement une zone de risque persistante tant l’opacité demeure sur la réalité des prestations qu’elles peuvent désigner, surtout en l’absence d’obligation de publicité du nom des clients de ces prestations. Huit députés de cette législature déclarent ainsi conserver une activité annexe de consultant et leur situation devra être examinée avec attention. A terme, une solution permettrait de limiter les risques avec le plus de certitude : le plafonnement des revenus issus de ces activités professionnelles annexes, sur le modèle de ce qui est déjà imposé aux parlementaires états-uniens.

La déclaration, une obligation continue et pas un exercice ponctuel

Il est essentiel de rappeler que l’exercice déclaratif ne s’achève pas une fois la déclaration initiale publiée. Les députés ont l’obligation légale de mettre à jour leur déclaration d’intérêts dans un délai de 2 mois après toute modification substantielle. Or, cette obligation n’est que très imparfaitement respectée, en témoigne les variations erratiques du nombre de mises à jour des déclarations d’intérêts des parlementaires, qui dépendent davantage des aléas extérieurs que de la réalité des nouveaux intérêts détenus par les parlementaires. Une solution pourrait être de rendre obligatoire une mise à jour annuelle des déclarations d’intérêts des parlementaires, sans quoi il existe un risque que de nouveaux intérêts (nouveau client d’un député-consultant, achat d’actions…) acquis en cours de mandat ne soient pas déclarés et passent sous les radars.

Et après la déclaration ?

Enfin, les déclarations ne peuvent prendre pleinement leur sens que si elles donnent lieu à des questionnements déontologiques sur l’existence d’éventuels conflits d’intérêts, et à des actions concrètes lorsqu’un tel conflit est constaté. Les chiffres semblent indiquer là aussi un progrès indiscutable et très encourageant : 23 déports ont déjà été déclarés depuis le début de la 16ème législature contre seulement 9 pour l’intégralité de la précédente. Il reste à voir si cette tendance va se confirmer, ou s’il s’agit seulement d’un engouement passager pour la déontologie.

Analyse de Kévin Gernier, Chargé de plaidoyer et d’accompagnement à Transparency International France

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