LOBBYING : Une fenêtre d’opportunité s’ouvre pour renforcer la transparence du lobbying. Voici nos propositions

LOBBYING : une fenêtre d’opportunité s’ouvre pour renforcer la transparence du lobbying. Voici nos propositions

La Transparence du lobbying peut et doit être améliorée en France. Ce constat était partagé par de nombreuses organisations comme l’OCDE, le Conseil de l’Europe, la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP), une vingtaine d’ONG et même les lobbyistes eux-mêmes, à travers l’Association Française des Conseils en Lobbying. Ces derniers mois, il a – enfin – gagné l’exécutif, à la faveur du « Qatar Gate », ce scandale de corruption qui a révélé les insuffisances du contrôle du lobbying et de l’influence au niveau des institutions européennes. Le système de régulation français, créé en 2016 par la loi de transparence de la vie publique, dite « Sapin 2 » était régulièrement prise pour exemple par les parlementaires européens et les observateurs désireux de renforcer la régulation du lobbying au niveau européen. Si les mesures d’encadrement du lobbying en France comptent parmi les plus ambitieuses au monde, force est de constater qu’elles échouent à atteindre leur objectif initial : faire toute la transparence sur l’influence des lobbys sur l’élaboration de la loi. La faute à un décret d’application très en deçà des ambitions affichées dans le texte. C’est à la faveur d’une question au gouvernement posée le 15 décembre 2022 par la député Cécile Untermaier que le gouvernement a indiqué, par la voix d’Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme, que « la révision du décret de 2017 fai[sait] partie des améliorations possibles » et que « le Gouvernement é[tait] disposé à revenir sur sa rédaction, et à y travailler avec les députés qui le souhaiteraient, afin d’améliorer la transparence dans ce domaine ».

Une mission d’information a été mise en place suite à cette déclaration pour recueillir les expertises des différentes parties prenantes sur les améliorations à apporter au décret et permettre de rendre réellement transparent le poids des lobbies sur la décision publique.

Auditionnée par les députés Transparency International France a pu présenter ses propositions formulées depuis plusieurs années. Les voici :

 Le manque d’ambition du décret décrié dès sa publication

Dès sa publication lors des derniers jours du quinquennat du président François Hollande, Transparency International France avait estimé que le décret ° 2017-867 du 9 mai 2017 relatif au répertoire numérique des représentants d’intérêts pris en application de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, notamment ses articles 18-1 à 18-10, de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, notamment son article 25 et de l’ordonnance n° 2005-1516 du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives, était très en deçà des attentes, voire qu’il vidait la loi de sa substance.

Nous critiquions notamment, et continuons de critiquer :

  • Un critère de l’initiative de la communication qui permet paradoxalement aux lobbys les plus influents, et donc systématiquement consultés par le décideur public, de ne pas déclarer une partie de leurs actions ;
  • Une périodicité annuelle de publication qui conduit à des déclarations trop tardives qui empêchent de détecter en temps réel de phénomènes d’influence abusive ;
  • Une déclaration par catégorie des décideurs publics et décisions publiques visées, qui laisse la possibilité de déclarer des actions très vagues qui ne permettent pas leur exploitation correcte et utile dans des traitements de données ni l’identification du processus décisionnel qui a été influencé ;
  • Une publication par fourchettes très larges des montants des dépenses en actions de représentation d’intérêts et du chiffre d’affaires lié aux actions de représentation d’intérêts ;
  • Des critères de définition de l’activité « principale ou régulière » trop élevés.

A l’usage, le répertoire a confirmé nos craintes. Ces données trop imprécises sont difficilement exploitables par la société civile. Cela se ressent dans le faible nombre de visites en ligne du répertoire. En 2020, la HATVP comptabilisait 250 000 visites sur le répertoire, soit cinq fois moins que les déclarations de patrimoine et d’intérêts des responsables publics. Seules 401 entités inscrites sur le répertoire, soit 18,3 %, avaient vu leurs déclarations consultées au moins une fois.

Il convient de rappeler néanmoins que le dispositif français d’encadrement du lobbying reste l’un des plus ambitieux au monde, même si sur certains aspects spécifiques il est en deçà du dispositif d’autres juridictions. On peut citer néanmoins quelques bénéfices indéniables obtenus par le répertoire :

  • Les clients des cabinets de conseil en lobbying, excepté les Etats étrangers et les administrations publiques – mais ce point devrait être corrigé dans les futures lignes directrices de la HATVP-, sont désormais publics, ce qui empêche en théorie les intermédiations opaques qui pouvaient exister auparavant ;
  • La justice administrative a confirmé que les correspondances entre un lobby et un décideur public sont bien des documents administratifs communicables. Les déclarations d’action au répertoire des représentants d’intérêts ont permis à des journalistes de fonder des demandes de communication adressées avec succès à des administrations et de mener à bien des enquêtes (échanges entre l’Elysée et le lobby de l’alcool, échanges entre les GAFAM et l’exécutif) ;
  • Des organisations de la société civile ont pu publier des rapports sur l’influence d’un secteur, en se fondant notamment sur les données du répertoire (Rapport des Amis de la Terre sur Total, rapport de Transparency International EU ou de l’Observatoire des multinationales sur le lobbying des GAFAM…) ;
  • De façon plus difficilement mesurable, si ce n’est par des sondages comme celui mené par Polling Vox pour le CEDAP et Koz en 2018, la culture des professionnels des affaires publiques semble évoluer vers une culture de la transparence et de la déontologie, grâce aux obligations déclaratives.

Nos Propositions

Ces réussites restent trop rares néanmoins, et le répertoire conserve encore un potentiel inexploité qui pourrait être débloqué par quelques corrections d’ordre réglementaire. Dans notre rapport Pour un meilleur encadrement du lobbying, publié en 2019 , nous avions formulé des propositions concrètes que nous n’avons eu de cesse de défendre depuis lors, sans que l’exécutif n’envisage à aucun moment une quelconque révision du décret. Pourtant, la nécessité d’une révision de ce décret fait l’objet d’un consensus croissant depuis 2017 et des propositions de renforcement ont été formulées par des institutions publiques internationales (OCDE, Conseil de l’Europe) et nationales (HATVP), des ONG (tribune publiée en septembre 2022 et co-signée par 20 associations), des parlementaires de diverses tendances politiques (mission d’évaluation de la loi Sapin 2 ou de la loi confiance dans la vie politique, rapport du député Sylvain Waserman lors de la précédente législature) et des professionnels du lobbying (AFCL).

La réponse adressée par Madame la Ministre Olivia Grégoire à la députée Cécile Untermaier le 15 décembre dernier constitue la première ouverture de l’exécutif vers une éventuelle révision du décret depuis cinq ans. Une ouverture certes timide, qui mentionne seulement des possibilités de limitation du répertoire sans évoquer les approfondissements possibles, mais qui doit néanmoins être exploitée. Nous nous félicitons donc de la mission qui vous a été confiée et qui, nous l’espérons, prospérera.

Parmi les principales évolutions réglementaires dont nous détaillons la mise en œuvre dans un document annexe, nous demandons :

  • La suppression du critère de l’initiative ;
  • L’abaissement du seuil de l’activité principale ;
  • Le décompte du seuil de l’activité régulière au niveau de le personne morale ;
  • Le passage à une périodicité trimestrielle de déclaration pour les activités de lobbying, et un maintien à la périodicité annuelle pour les informations financières ;
  • La mention exacte de la décision publique et de l’identité du décideur public visé ;
  • La mention du montant exact des dépenses d’action de représentation d’intérêts, réparties par grands postes tels que nous les décrivions déjà en 2016, et du chiffre d’affaires lié aux actions de représentation d’intérêts, réparti par clients dans le cas des cabinets de conseil comme c’est déjà pratiqué au niveau de l’Union européenne ;
  • Parmi les types d’action de lobbying mentionnées en annexe, l’extension des stratégies d’influence menées sur le web aux stratégies d’influence menées également dans les médias.
  • La publication d’un décret en Conseil d’Etat après avis de la Haute Autorité, comme le prévoit la loi, précisant les obligations déontologiques des représentants d’intérêts fixées par la loi. Ce décret pourrait également préciser que toute mise en demeure pour manquement aux obligations déontologiques devrait être annexée à la fiche du représentant d’intérêts fautif sur le répertoire des représentants d’intérêts durant une certaine durée.

Propositions législatives

Pour parfaire le dispositif, des modifications législatives pourraient également être apportées en complément de la révision du décret :

  • Elargissement de la définition des représentants d’intérêts aux Etats étrangers, et suppression des exemptions totales des associations à objet cultuel et associations d’élus, et des exemptions partielles des organisations syndicales ;
  • Elargissement de la liste des cibles des activités d’influence au Président de la République, ainsi qu’aux membres du Conseil Constitutionnel et aux membres de la section administrative du Conseil d’État ;
  • Réaffirmation dans le texte de la finalité du dispositif autour des principes d’équité d’accès aux décideurs publics, d’intégrité, de traçabilité et de transparence ;
  • Publication complète des positions transmises par les représentants d’intérêts aux décideurs publics.

Hasard du calendrier, Transparency International France a également été récemment sollicitée par la HATVP, l’autorité indépendante notamment chargée de veiller au respect des mesures de transparence du lobbying, pour commenter son projet de nouvelles lignes directrices applicables aux représentants d’intérêts. Une autre opportunité pour notre organisation de rappeler nos propositions et notre ambition qui était aussi celle de la « loi Sapin 2 » : un lobbying transparent, éthique et équitable.

EN SAVOIR PLUS

Télécharger notre analyse et nos propositions pour améliorer la transparence du lobbying présentées lors de notre audition devant la mission d’information Mission d’information sur le décret relatif au répertoire des représentants d’intérêts

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