[NOTE DE POSITION] REFORME DE LA POLICE JUDICIAIRE – Audition de Transparency France dans le cadre de la mission d’information de la Commission des Lois du Sénat
Le 7 février 2023
Le ministère de l’Intérieur a rendu public le rapport d’évaluation de la réforme de la police nationale qui a été réalisé par les inspections (IGA, IGPN, IGJ). Très attendu, ce rapport évalue la mise en œuvre de la réforme outre-mer et son expérimentation dans huit départements de métropole.
Plus qu’une évaluation d’une réforme très récente, les inspections font des propositions pour répondre aux difficultés et aux objections faites à une réforme contestée par les policiers des services de PJ et par l’ensemble du monde judiciaire. En octobre, le Conseil supérieur de la magistrature avait même jugé nécessaire de formuler des lignes rouges face à une réforme qui fragilise l’indépendance de la justice.
Comme le ministre s’y était engagé à l’automne, il doit attendre maintenant les rapports deux missions d’information parlementaires dont les travaux doivent éclairer les enjeux d’une réforme mal-engagée. Il serait donc souhaitable que le ministre sursoie à la nomination des préfigurateurs de la réforme dans l’attente de la publication de ces deux rapports qui est imminente.
Acteur de la lutte anti-corruption, très attaché à l’indépendance de la justice, Transparency International France a été auditionné au début du mois de janvier par la mission d’information de la commission des lois du Sénat.
EN SAVOIR PLUS
Devant la présidente de la mission, Transparency International France a formulé quatre propositions pour garantir l’indépendance et l’efficacité des enquêtes de police judiciaire. Ces propositions prennent tout leur sens à la lumière de la publication du rapport des trois inspections :
- Transparency International France juge urgent de renforcer les moyens humains et matériels de la police judiciaire dans le cadre de la loi de programmation et d’orientation de la police judiciaire 2023-2027 qui vient d’être adoptée. Le rapport des trois inspections propose de mettre en place des indicateurs pour évaluer les moyens attribués à la lutte contre le crime organisé. Mesurer les moyens est un point de départ indispensable, mais, au vu de notre expérience en matière de lutte contre la délinquance financière et la corruption, une simple sanctuarisation ne serait pas à la hauteur des enjeux et des menaces.
- Transparency International France propose de renforcer la capacité d’enquête spécialisée adaptée à un risque corruptif qui s’aggrave en lien avec l’emprise de la criminalité organisée. Le rapport des trois inspections propose très prudemment de maintenir le principe d’un commandement unique départemental et d’une filière unique d’investigation, tout en ménageant provisoirement les structures actuelles de la PJ (offices centraux, services régionaux…). Il refuse d’écarter les services de PJ de la départementalisation. Une autre option est pourtant possible : le rattachement au directeur zonal (en métropole, on compte 7 zones de défense et de sécurité qui correspondent à une ou plusieurs régions), mais le rapport l’écarte pour sauver ce qui constitue le cœur de la réforme pour le ministère de l’Intérieur : la possibilité de mutualiser des moyens au niveau départemental. Nous considérons que cette mutualisation départementale risque de détourner les moyens d’enquête spécialisée vers d’autres priorités (la délinquance du bas du spectre, l’ordre public, l’immigration illégale, la gestion de crise…).
D’évidence, le cadre départemental n’est pas adapté à la lutte contre la délinquance financière et la corruption. Par ailleurs, les enquêtes complexes ne doivent pas être pénalisées par une gouvernance complexe qui gênerait la coopération entre les services enquêteurs, du local à l’international.
- Le rapport écarte le risque de restriction du libre choix du service enquêteur par l’autorité judiciaire, mais tient compte des inquiétudes exprimées au regard du secret des enquêtes. Transparency International France propose de conforter l’autorité des procureurs en garantissant une indépendance statutaire comparable à celle des magistrats du siège, mais aussi en renforçant leurs attributions opérationnelles. Associer l’autorité judiciaire à l’évaluation des futurs directeurs départementaux, comme le propose le rapport, est intéressant mais insuffisant : les procureurs généraux devraient être associés aux nominations des principaux responsables de la police judiciaire, ainsi qu’à l’affectation des moyens. Le secret des enquêtes devrait être sacralisé en énonçant une interdiction des remontées d’informations vers la hiérarchie judiciaire et policière.
Dans le cadre de la future réforme, les inspections jugent que les futures directions zonales qui superviseront les directions départementales ont un rôle essentiel à jouer pour garantir le fonctionnement harmonieux de la police judiciaire, notamment vis-à-vis de l’autorité judiciaire. Transparency International France estime que, par parallélisme des formes, l’implication des procureurs généraux au niveau zonal est tout aussi indispensable.
- Pour réduire la conflictualité entre institution policière et institution judiciaire, Transparency International France propose de bâtir de nouvelles passerelles entre police et justice : création de postes de liaison, mise en place d’un pilotage impliquant à parts égales les deux tutelles de la police judiciaire, élaboration de formations communes, possibilité de carrières partagées entre police et justice…Nous proposons d’ailleurs que la carte de la police judiciaire se rapproche de celle des juridictions interrégionales spécialisées (JIRS).