[Position] : Projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire – Positionnement contre l’assouplissement du délit pénal de prise illégale d’intérêt

[Position] : Projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire – Positionnement de Transparency International France contre l’assouplissement du délit pénal de prise illégale d’intérêt

Positionnement de Transparency International France contre l’assouplissement du délit pénal de prise illégale d’intérêt

Adopté en Commission des lois sur le projet de loi confiance dans l’institution judiciaire, l’amendement COM-90 prévoit deux modifications au délit de prise illégale d’intérêts, son assouplissement et son extension aux magistrats. L’assouplissement de l’article 432-12 du Code pénal est opéré par le remplacement du terme « intérêt quelconque » par « intérêt de nature à compromettre son impartialité, son indépendance ou son objectivité » dans sa rédaction.

Transparency International France estime que cette réforme constitue une fausse bonne idée pour les raisons suivantes :

  • La prise illégale d’intérêt est un « délit-obstacle » qui vise autant à sanctionner qu’à empêcher des situations de conflit d’intérêts néfastes pour l’image des institutions publiques. Ce délit permet de mettre un terme à des situations dangereuses qui pourraient dériver vers des délits bien plus graves (corruption, trafic d’influence…) si une définition pénale plus tolérante les laissait perdurer.
  • Il convient de rappeler que pour d’autres délits d’atteinte à la probité comme la corruption ou le favoritisme, la question du bénéfice personnel est également annexe, indépendamment du gain que l’on en retire, il suffit qu’un pacte de corruption soit établi ou que les règles des marchés publics soient violées, pour qu’il y ait condamnation. La remise en cause de cette logique pour la prise illégale d’intérêt remet donc en question la rédaction des autres délits d’atteinte à la probité.
  • Le parquet reste souverain pour apprécier l’opportunité des poursuites. Il poursuit les affaires où il existe une réelle intention délictueuse. Derrière les exemples de jurisprudence présentés opportunément pour justifier la réforme, les statistiques montrent qu’il n’existe pas de vague de condamnation d’élus locaux pour prise illégale d’intérêt. Lors de la dernière mandature, à peine 0,1% des élus ont été poursuivis pour des atteintes à la probité, et parmi ceux-ci seule la moitié ont finalement été définitivement condamnés (soit 1 élu sur 2000…). Surtout, il est probable que l’assouplissement du délit entraine un effet contraire à l’objectif recherché par ses promoteurs : en rendant plus délicate l’appréciation des critères d’une prise illégale d’intérêt, le parquet sera encouragé à poursuivre davantage pour qu’un procès puisse trancher la question de l’objectivité, de l’impartialité ou de l’indépendance.
  • Assouplir la sanction pour éviter des condamnations revient à s’attaquer aux symptômes plutôt qu’aux origines réelles du problème : le manque de formation déontologique des élus locaux. Plutôt que de chercher à réformer le Code pénal de manière précipitée qui ne manquera pas d’apparaître comme opportuniste, il vaudrait mieux renforcer la formation des élus locaux pour leur permettre de prévenir les situations à risque.
  • La jurisprudence actuelle de la prise illégale d’intérêt a le mérite de la clarté : on ne mélange pas ses intérêts privés avec la décision publique, que ce soit par un vote ou une simple participation. L’assouplissement pourrait avoir un effet contre-productif en encourageant élus et agents des services à flirter avec la ligne rouge de l’illégalité s’ils estiment que leur impartialité n’est pas remise en cause. De plus, c’est en contradiction avec toutes les mesures de prévention adoptées dans le droit « souple » depuis la loi de 2013 relative à la transparence de la vie publique. Celle-ci impose le déport de la décision publique même lorsque le conflit d’intérêt est seulement apparent. Le message de prévention porté auprès des élus et fonctionnaires depuis 2013 s’en trouverait donc affaibli : pourquoi se déporter systématiquement en cas de conflit d’intérêt si la condamnation pénale obéit à des critères plus souples ?
  • La jurisprudence de la prise illégale d’intérêt s’est constituée sur le temps long, ce qui était indispensable compte tenu de la grande diversité des situations de conflit d’intérêt qui peuvent exister. Modifier ce délit aujourd’hui remettrait en cause cette jurisprudence et ouvrirait des débats chronophages sur les nouveaux critères établis : comment qualifier juridiquement l’impartialité, l’indépendance ou l’objectivité ? La réponse à ces questions relève davantage de la déontologie que du droit pénal.

Transparency International France appelle donc les sénateurs à revenir sur les modifications adoptées par la commission des lois et à rétablir la rédaction actuelle du délit de prise illégale d’intérêt.

Proposition d’amendement

 

ARTICLE 10 Bis

I – A l’alinéa 2 :

Supprimer cet alinéa

 

II – Par conséquent, à l’alinéa 4 :

Remplacer les mots « de nature à influencer, au moment de sa décision, l’exercice indépendant, impartial et objectif de sa fonction » par le mot « quelconque »

 

Exposé des motifs

Cet amendement est proposé par l’association anti-corruption Transparency International France. Il propose de rétablir la rédaction en vigueur du délit de prise illégale d’intérêt dans le Code pénal. L’assouplissement de ce délit introduit par un amendement de la commission des lois présente en effet plusieurs risques. Il remet en cause le caractère de « délit obstacle » de la prise illégale d’intérêt. Il rompt la cohérence avec les autres délits d’atteinte à la probité comme la corruption ou le favoritisme et ouvre la voie à leur révision ultérieure. Il est fondé sur un diagnostic erroné, puisque moins d’1 sur 2000 parmi les élus locaux a été condamné pour atteinte à la probité lors de la dernière mandature. Il s’attaque aux symptôme plutôt qu’à l’origine du problème qui est le manque de formation des élus locaux. Il va à l’encontre des principes déontologiques définis par la loi de 2013 relative à la transparence de la vie publique et brouille le message de prévention envoyé aux élus locaux. Il crée une incertitude sur l’interprétation qu’en donnera la jurisprudence ancienne et désormais bien établie et annonce des débats juridiques difficiles pour définir les notions d’indépendance, d’impartialité ou d’objectivité.

En conséquence, le présent amendement propose de revenir à la formulation actuelle d’ « intérêt quelconque » en lieu et place des mots « intérêt de nature à compromettre son impartialité, son indépendance ou son objectivité ». Pour maintenir la portée générale de la loi, il aligne également le futur délit de prise illégale d’intérêt applicable aux magistrats sur la rédaction ainsi rétablie.

Dates clés de l’élaboration du projet de loi :

14 avril 2021 : Présentation du projet de loi en Conseil des Ministres – engagement de la procédure accélérée, désignation du rapporteur Stéphane Mazars (LREM)

5 et 6 mai 2021 : Examen en commission des Lois de l’Assemblée nationale

18 au 20 mai 2021 : Examen en séance publique à l’Assemblée nationale

25 mai 2021 : Vote sur l’ensemble du texte et adoption par l’Assemblée nationale

9 juin 2021 : Désignation des rapporteurs au Sénat, Agnès Canayer (LR) et Philippe Bonnecarrère (Union centriste)

13 juillet 2021 : audition de Transparency France devant les rapporteurs de la commission des Lois du Sénat

20 juillet : audition de Transparency France devant le groupe socialiste

21 juillet 2021 : Audition du garde des Sceaux en commissions des Lois du Sénat

15 septembre 2021 : Examen en commission des Lois du Sénat

A partir du 28 septembre : examen en séance, Sénat

EN SAVOIR PLUS :

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