[Position] Indépendance de la justice : pour une réforme ambitieuse

[Position] Indépendance de la justice : pour une réforme ambitieuse

Indépendance de la justice : pour une réforme ambitieuse

L’indépendance de la justice, condition indispensable d’un Etat de droit, est une exigence démocratique forte. Les suspicions sur l’instrumentalisation politique de la justice  persisteront tant que la question de l’indépendance des magistrats du ministère public ne sera pas définitivement tranchée.

C’est pourquoi, pendant la campagne présidentielle de 2017 comme pendant celle de 2012, Transparency International France avait affirmé l’importance de mener une réforme de la justice assurant définitivement l’indépendance  des magistrats du Parquet vis-à-vis de l’exécutif. Réclamée depuis plus de vingt ans, cette mesure vise à éviter que des hommes ou femmes politiques s’immiscent indûment dans le cours de la justice, et à combattre tout sentiment de « justice à deux vitesses » pour sortir par le haut de la crise de confiance qui mine notre démocratie.

Le gouvernement a confirmé son intention de conduire une réforme constitutionnelle, avec un projet de loi annoncé pour le printemps prochain : l’heure des décisions est venue.


Les projets de réforme annoncés vont dans le bon sens…

Comme il s’y était engagé pendant la campagne présidentielle auprès de Transparency International France, Emmanuel Macron a confirmé son intention d’aligner dans son projet de réforme constitutionnelle les conditions de nomination des magistrats du parquet sur celles des magistrats du siège, en prévoyant un avis conforme du Conseil Supérieur de la Magistrature et en dotant celui-ci de pouvoirs disciplinaires à leur égard.

D’autres mesures vont dans le bon sens parmi les annonces faites ces derniers mois, notamment la suppression de la Cour de Justice de la République (CJR) et le maintien d’une responsabilité pénale de droit commun des ministres. La CJR constitue une justice d’exception, qui donne un poids trop important aux parlementaires par rapport aux  magistrats et pose des problèmes de coordination avec les procédures suivies devant les juridictions de droit commun.

… mais ne suffiront pas à mettre définitivement fin aux soupçons d’instrumentalisation.

Si les annonces du Président de la République vont dans le bon sens, elles restent en-deçà des recommandations de Transparency International France, qui avait demandé aux candidats à la présidentielle de s’engager également à doter le CSM de pouvoirs plus étendus en matière de nomination et de gestion des carrières des magistrats[1]. A ce stade, les annonces du gouvernement sur le projet de réforme constitutionnelle restent silencieuses sur ce point.

Seule une réforme complète de l’indépendance du parquet, intégrant une refonte des procédures de nomination et de gestion des carrières des magistrats, est de nature à lever de matière pérenne les soupçons d’interférence politique dans les dossiers judiciaires.


Pas d’indépendance réelle sans renforcement des moyens

Au cours des dernières années, les procureurs ont gagné en autorité et en indépendance de fait. Le Parquet National Financier a contribué à désenliser des dossiers et accélérer leur renvoi devant les tribunaux, y compris pour des personnalités publiques de premier plan (affaire Cahuzac, par exemple). Leur efficacité et leur légitimité aux yeux de l’opinion publique s’est accrue.

Ces évolutions notables montrent que l’indépendance effective de la justice ne dépend pas uniquement du statut constitutionnel du Parquet, mais aussi de ses moyens– notamment en matière politico-financière.

Cette bataille des moyens est encore devant nous. Aujourd’hui, les moyens alloués au Parquet National Financier restent inférieurs à ceux qui avaient été envisagés dans l’étude d’impact réalisée au moment de sa création. En octobre 2016, le PNF comptait 15 magistrats – avec un ratio moyen de 27 dossiers -, 10 fonctionnaires et 4 assistants spécialisés. L’étude d’impact réalisée par le gouvernement en amont de la loi instituant le PNF postulait qu’ « un parquetier ne peut assurer le suivi de plus de huit affaires, compte-tenu de la complexité de ces dossiers (suivi et règlement complexe, audiences longues pouvant mobilier plus d’un parquetier ». Il est d’ailleurs symptomatique que les moyens alloués aux juridictions financières ne soient pas détaillés, ni commentés spécifiquement, dans les annexes du projet de loi de finances et dans les rapports parlementaires des Commissions des Finances du Sénat et de l’Assemblée nationale.

Au-delà des moyens financiers, renforcer les moyens de la justice suppose également de lever les obstacles juridiques à l’action de la justice, notamment en matière de grande fraude fiscale (remise en cause du « verrou de Bercy ») et de secret-défense. Tirant les leçons d’affaires comme les frégates de Taïwan ou l’affaire Karachi, Transparency International France demande depuis dix ans une procédure plus transparente et plus rigoureuse en matière de classification secret-défense, en donnant plus de pouvoir à la Commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN)[2]. Dans son bilan du quinquennat Hollande, publié en 2016, Transparency International France avait déploré la timidité des évolutions réglementaires en matière d’impartialité de la procédure de classification « secret défense ».

Au-delà des soupçons d’instrumentalisation, l’insuffisance des moyens de la justice pose un problème de confiance des français dans nos institutions. Selon un sondage IFOP réalisé pour l’Ordre des avocats de Paris en septembre 2016, cité dans un rapport parlementaire de 2017, 69% des personnes interrogées estiment que la justice fonctionne globalement mal et 73% pensent que la justice et les juges ne bénéficient pas de moyens suffisants pour faire correctement leur travail.

Elle pose aussi la question de la bataille de délais d’instruction et de jugement. Dans l’affaire des Biens Mal Acquis, dans laquelle Transparency International France s’est constituée partie civile, la justice s’en est emparée en 2007 et l’audience s’est tenue en juin 2017 : il aura donc fallu dix ans pour que l’affaire soit traitée. Dix ans !


Recommandations principales pour renforcer l’indépendance et les moyens de la justice :

Pour une réforme constitutionnelle ambitieuse :

  • Exiger un avis conforme du CSM pour la nomination des magistrats du parquet et supprimer la Cour de Justice de la République, comme le prévoit le projet de réforme constitutionnel ;
  • Doter le CSM de pouvoirs plus importants en matière de nomination des magistrats et de gestion de leur carrière.

Au-delà de la réforme constitutionnelle :

  • Renforcer significativement les moyens de la justice, notamment des magistrats chargés du suivi des dossiers politico-financiers ;
  • Lever le monopole de l’administration fiscale pour les poursuites pénales pour la grande fraude fiscale (fraude fiscale aggravée, commise en bande organisée, ou internationale) ;
  • Assurer une meilleure transparence des données de justice, pour avoir accès à des données fiables et précises sur l’état des condamnations pour atteinte à la probité ;
  • Mieux contrôler l’usage du « secret-défense ».

Contact presse

Anne Boisse
anne.boisse@transparency-france.org
01 86 95 36 01

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