Elodie Gueguen et Sylvain Tronchet : « Pour comprendre les politiques, il est essentiel de savoir qui les finance. Or, cette information n’est pas toujours transparente en France »

Élodie Guéguen et Sylvain Tronchet : « Pour comprendre les politiques, il est essentiel de savoir qui les finance. Or, cette information n’est pas toujours transparente en France »

Très Chers Elus, co-édité par La Revue Dessinée et Delcourt, fait partie des cinq ouvrages retenus pour concourir au premier Prix pour un ouvrage sur la transparence et l’éthique créé par Transparency International France et l’Observatoire de l’Ethique Publique (OEP). Dans cette bande dessinée, Elodie Guéguen et Sylvain Tronchet, journalistes de la cellule d’investigation de Radio France, analysent les dérives qui empoisonnent la démocratie et alimentent la défiance à l’égard de toute la classe politique.

La question du financement de la vie politique est-elle révélatrice de l’état de notre démocratie ? 

Sylvain Tronchet : D’abord par goût personnel. Ni Elodie ni moi n’avons beaucoup de goût pour la tambouille politique, mais en revanche ce qui se passe dans les arrières cuisines nous a toujours beaucoup intéressés. C’est un sujet qui est un peu dans l’angle mort du journalisme politique en France. Les journalistes politiques ne s’intéressent que très peu à cette question, pourtant essentielle, de savoir comment est financé l’activité politique. La question est aussi essentielle au débat démocratique que l’argent l’est aux grandes victoires politiques : sans moyens, pas de victoire.

Après, soyons honnêtes : les journalistes politiques s’intéressent au financement de la vie politique quand un scandale émerge, mais un scandale en chasse un autre et la plupart manquent de temps pour effectuer un travail de fond qui est réalisé sur le sujet. Au sein de la cellule d’investigation de Radio France, nous avons la chance de pouvoir consacrer du temps à ces sujets, les suivre, tenter de relier les affaires entre elles. On s’est dit que tous ces scandales avaient quelque chose en commun, disaient quelque chose de la vie politique en France et que les compiler, les expliquer, les rassembler et les analyser était important pour le citoyen, l’auditeur et le lecteur. 

Elodie Guéguen : Pour moi qui ai travaillé pendant pendant quasiment dix ans sur les questions politico-financières au service police-justice et pendant plus de cinq ans avec Sylvain Tronchet au sein sein de la cellule d’investigation de Radio France, la question des financements de campagne électorales et de la vie publique et politique fait partie de mon quotidien. Un quotidien qu’il est important de transmettre au grand public, parce que c’est notre devoir de journalistes d’investigation d’aller fouiller et documenter les questions d’intérêt général.

Après avoir enquêté pendant cinq ans sur l’ensemble des partis politiques – je tiens à le préciser – issus à la fois de la majorité et de l’opposition nous avons mis en exergue un certain nombre de dysfonctionnements communs à l’ensemble des partis politiques, de pratiques, de combines, de magouilles. Il nous semblait intéressant de faire l’inventaire de tout cela à travers un livre. 

Pourquoi avoir choisi la bande dessinée pour aborder un sujet aussi complexe ?

Sylvain Tronchet : La bande dessinée a été un vrai choix délibéré. Parce qu’Elodie et moi avions déjà participé à des projets sous ce format, notamment grâce aux gens de la Revue Dessinée avec qui la cellule investigation de Radio France travaille régulièrement. Nous avions donc déjà cette affinité avec le genre. Par ailleurs, la bande dessinée permet de rendre plus accessible, en tous cas moins aride, des sujets qui peuvent parfois paraître un peu rebutants ou rébarbatifs sans l’être pour autant. Ce sont d’abord des histoires à raconter. 

Après le format BD pose aussi des difficultés. Nous devons veiller à conserver l’exigence, la rigueur, la vérification de l’information et le cadrage juridique qui sont les bases de notre métier, le tout avec un volume de texte très réduit propre à la bande dessinée. Il faut faire extrêmement attention à ne pas faire des raccourcis qui deviendraient d’un seul coup des imprécisions qui à la fois pourraient tromper le lecteur mais aussi nous mettre en danger juridiquement. C’est un exercice passionnant car une fois cet essentiel travail de synthèse effectué, on se retrouve avec un récit qui est probablement beaucoup plus fluide, plus sympathique à dérouler que si on l’avait écrit dans un essai.

La BD nous permet également d’introduire l’ironie ou l’humour dans les enquêtes alors que ce type d’outils se prêtent assez mal aux formats classiques sur lesquels nous travaillons à l’antenne ou sur le web. Nous ne sommes pas complètement insensibles aux histoires que l’on découvre et que l’on raconte. S’il nous arrive de nous offusquer de nous révolter, voire de nous moquer des pratiques que nous découvrons et de leurs auteurs, nous nous interdisons de céder à ces émotions dans nos enquêtes. C’est assez jubilatoire au fond pour nous, de pouvoir enfin nous exprimer de cette manière détournée. Ca l’est encore plus quand on le fait par l’intermédiaire d’un dessinateur comme Erwann Terrier qui combine un vrai talent humoristique propre  aux dessinateurs de presse et un côté très académique. Son dessin est extrêmement réaliste. C’est quelque chose auquel nous tenions beaucoup. Nous voulions  que lorsque l’on voit un Sarkozy, un Chirac, un Hollande on les reconnaissent au premier abord. Que les situations dans lesquelles on les représentait replonge les lecteurs dans l’époque, dans un contexte connu, référencé. Je pense que nous avons réussi à bien doser le cocktail entre réalisme, factualité et mise en scène. 

L’exemplarité est partout dans l’actualité, mais peu présente dans les programmes politiques. Comment changer cela ?

Elodie Guéguen : Nous été très étonnés de constater que la question de l’exemplarité, pourtant centrale pour la démocratie et très présente en 2017, ne figurait pas dans le débat des élections présidentielles de 2022.

Il est autorisé d’imaginer qu’il y a un lien entre les affaires politico financières qui défraient la chronique depuis 40 ans et le taux d’abstention aux élections ou le désamour des citoyens français à l’égard de la classe politique. C’est important aussi qu’il y ait une pression qui soit mise à la fois par les ONG, les médias et les citoyens pour que cette question de l’exemplarité soient documentée et maintenue dans le débat public.

Sylvain Tronchet  : Le financement politique c’est quelque chose qui est peu étudié en France. le sujet est pourtant majeur de deux points de vue : le respect de la règle du jeu et la problématique potentielle du conflit d’intérêt. 

La règle du jeu c’est, à partir du moment où quelqu’un ne respecte pas les règles du jeu et finance son activité politique en utilisant des voies détournées, voire illégales, il vole la victoire aux autres. Comme un sportif dopé qui vole les victoires de ceux qui ne se dopent pas. Cela pose une problème du point de vu de la morale, mais surtout démocratique : on parle ici de l’élection présidentielle, le scrutin qui mène à la fonction suprême. Il faut qu’on puisse s’assurer que la réglementation est bien appliquée et que les organismes chargés d’y veiller disposent de suffisamment de moyens, de volonté et d’indépendance pour remplir cette mission. Or, il se trouve que malgré un cadre réglementaire solide et de récentes avancées, ces ingrédients nécessaires ne sont pas réunis en quantités suffisantes. 

Ensuite, il y a la problématique du conflit d’intérêts. Pour comprendre la politique, il est essentiel de savoir qui la finance. Or, en France, on ne sait pas toujours exactement qui finance les politiques. La campagne de 2017 d’Emmanuel Macron a été un très bon exemple puisque elle été financé – et c’était une première en France –  quasiment exclusivement par des dons de personnes privées sans que l’on puisse savoir qui elles étaient. Des cercles, des regroupements d’intérêts privées ont donc massivement soutenu un candidat sans que les citoyens en soient informés car le cadre légal en France n’impose aucune transparence des donateurs aux partis et aux campagnes. 

Sur ce point, la France est très en retard par rapport aux grandes démocraties occidentales et pourtant ces questions majeures de respect de la règle et de transparence sont peu étudiées, peu documentées et peu portées à la connaissance du grand public. C’est pour cela que je pense, très honnêtement, que nos travaux d’enquête sont un d’intérêt public. D’où notre choix de le rendre le plus largement diffusable et à la portée du grand public en utilisant notamment le format de la bande dessinée.


EN SAVOIR PLUS

Très Chers Elus, enquête sur 40 ans de financement politique

d’Élodie Guéguen et Sylvain Tronchet, La Revue Dessinée / Delcourt (2022)

Dans cette nouvelle enquête choc, 2 journalistes de la Cellule investigation de Radio France analysent les dérives qui empoisonnent la démocratie et alimentent la défiance à l’égard de toute la classe politique.

Elodie Guéguen et Sylvain Tronchet ont enquêté sur l’argent du pouvoir (de N. Sarkozy à J-L. Mélenchon en passant par E. Macron ou S. Royal…). La loi française a beau être stricte, sans moyen la transparence est loin d’être acquise. Erwann Terrier utilise son style inimitable et son sens de la dérision pour ouvrir les valises et éplucher les comptes de campagne de nos très chers élus.


Elodie Guéguen

Depuis 2015, Élodie Guéguen est journaliste à la «cellule investigation» de Radio France  . Elle a mené des enquêtes sur le financement politique et sur le terrorisme. Avant cela, elle a passé six ans à France Info  où elle a été cheffe adjointe du service «police-justice-enquêtes». Pour la radio publique, elle avait la charge des affaires politico-financières. Élodie Guéguen a aussi travaillé plusieurs années en presse locale et régionale, en Bretagne et en Franche-Comté.

Sylvain Tronchet

Sylvain Tronchet : Journaliste à Radio France depuis 1995. Après avoir travaillé dans les radios locales, il intègre la cellule investigation de Radio France où il se spécialise dans les affaires politico-financières et tout particulièrement la problématique du financement de la vie politique. Il est depuis septembre 2021 envoyé spécial permanent de Radio France en Russie, à Moscou.


Cinq ouvrages sélectionnés pour le prix du meilleur ouvrage sur la transparence et l’éthique, par Transparency International France et l’Observatoire de l’Ethique Publique (OEP)


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