Indice de Perception de la Corruption 2023 de Transparency International : la France stagne encore, la faute au manque d’exemplarité du pouvoir exécutif et au manque d’indépendance de l’autorité judiciaire

Indice de Perception de la Corruption 2023 de Transparency International : la France stagne encore, la faute au manque d’exemplarité du pouvoir exécutif et au manque d’indépendance de l’autorité judiciaire

Paris, mardi 30 janvier 2024

Comme chaque année, Transparency international publie son Indice de Perception de la Corruption, le classement de 180 pays et territoires devenu le principal indicateur de la corruption dans le secteur public au niveau mondial.

INDICE DE PERCEPTION DE LA CORRUPTION 2023 : UNE CORRUPTION NON MAÎTRISÉE PAR DES SYSTÈMES JUDICIAIRES DE PLUS EN PLUS FAIBLES

publié aujourd’hui par Transparency International montre que dans la plupart des pays, la lutte contre la corruption du secteur public n’a pas ou peu progressé. À l’échelle mondiale, l’IPC moyen est de 43 et reste inchangé. Pour la douzième année consécutive, plus de deux tiers des pays ont un score inférieur à 50. Ceci est un signe de graves problèmes de corruption.

L’indicateur État de droit révèle une détérioration globale du fonctionnement des systèmes judiciaires. Les pays qui obtiennent les scores les plus bas sur cet indicateur obtiennent également des scores très bas sur l’IPC. Ceci met en évidence un lien manifeste entre l’accès à la justice et la corruption. En fragilisant la justice, les régimes autoritaires aussi bien que les dirigeants partisans de la démocratie, renforcent l’impunité des actes de corruption. Dans certains cas, ils l’encouragent même en supprimant la sanction des malfaiteurs. L’impact de leurs actions est évident de par le monde, du Venezuela (13) au Tadjikistan (20).


Classée 20e de cette édition 2023, la France gagne une place par rapport à l’édition précédente. Cette progression est toutefois à relativiser dans la mesure où sa note (71) est moins bonne que celle reçue l’an dernier (72). La France n’a progressé que grâce à l’affaiblissement des autres pays du peloton de tête du classement. Ce qui est non seulement peu flatteur, mais surtout particulièrement frustrant au regard des outils dont dispose la France depuis dix ans en matière de prévention, de détection et de sanction de la corruption. La France paie notamment le manque d’exemplarité du pouvoir exécutif, l’absence de politique publique de lutte contre la corruption, le manque d’indépendance de l’autorité judiciaire et la faiblesse des moyens consacrés à la délinquance économique et financière, conséquence de la réforme de la police judiciaire.

Malgré les réformes, la France stagne depuis 10 ans

Classée 20e sur 180 pays et territoires, la France obtient un score de 71 à l’Indice de Perception de la Corruption 2023, soit la même note qu’en 2013. Si ce score a légèrement évolué durant cette décennie, oscillant entre 69 et 72/100, cette stagnation sur dix ans sanctionne la communication gouvernementale qui n’accorde aucune priorité à la politique de lutte contre la corruption malgré une législation et un appareil institutionnel parmi les meilleurs au plan européen.

C’est une situation à la fois préoccupante pour l’attractivité de la France et paradoxale : en effet, en dix ans la France ne semble pas avoir tiré profit de la montée en puissance de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP), de l’Agence Française Anticorruption (AFA), du Parquet National Financier (PNF), de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) ou encore d’un statut de lanceur d’alerte parmi les plus ambitieux au monde. Pourquoi ?

Le manque d’exemplarité du pouvoir exécutif

Encore en vigueur en 2017, la jurisprudence dite Bérégovoy-Balladur exigeait des ministres mis en examen qu’ils démissionnent. Cette règle pouvait sembler injuste, mais elle était claire, exigeante et, au fond, respectueuse de la présomption d’innocence, tout en étant protectrice de l’éthique de l’ensemble de l’équipe gouvernementale. A l’indifférence de l’exécutif pour l’exemplarité a succédé le mépris. Les affaires Griset, Dupont-Moretti et Dussopt ont montré aux Français qu’il était possible de rester au gouvernement tout en étant mis en examen. La nomination de Rachida Dati a montré qu’il était possible d’être nommée ministre, tout en étant déjà mise en examen. Ce retentissant recul en matière de déontologie suffit à lui-seul à compenser les maigres avancées obtenues en matière de transparence et de lutte contre la corruption, comme la décision de la France de maintenir l’accès du grand public au registre des bénéficiaires effectifs des sociétés dans l’attente d’une redéfinition de la législation européenne en la matière. Nos appels à la création d’un déontologue du gouvernement, chargé de conseiller et d’accompagner les ministres pour leur éviter de se trouver en situation de conflits d’intérêts est resté lettre morte, alors que l’Assemblée nationale, le Sénat et collectivités locales se dotent tous d’autorités déontologiques. La prévention des conflits d’intérêts au plus haut sommet de l’Etat ne repose que sur les initiatives individuelles des membres du gouvernement. Insuffisant.

L’absence de politique publique de lutte contre la corruption

Dix ans après, la création de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP), l’Agence Française Anticorruption (AFA) ou du Parquet National Financier (PNF), la France ne dispose toujours pas d’une politique publique de lutte contre la corruption. Les atteintes à la probité ont augmenté de 28% entre 2016 et 2021, selon une récente étude statistique du ministère de l’Intérieur et de l’Agence française anticorruption ; les affaires de corruption de basse intensité impliquant notamment des agents publics rythment l’actualité judiciaire, au point que la nouvelle directrice de l’IGPN s’inquiétait récemment de l’émergence de la consultation illégale de fichiers dans la police ; et le secteur de l’immobilier demeure extrêmement vulnérable face au blanchiment, comme l’a révélé notre rapport Face à un mur d’opacité qui pointait que l’identité des propriétaires des deux tiers des biens immobiliers détenus par des sociétés en France demeurait inconnue.

Malgré nos appels à la mise en place d’une politique publique de lutte contre la corruption pilotée par le Premier ministre, la France combat ce phénomène en ordre dispersé : les services du ministère de la Justice, de Bercy et du Quai d’Orsay semblent travailler chacun dans leur couloir et les initiatives interministérielles sont peu nombreuses, peu claires et trop éphémères, à l’instar de la « task force » créée au lendemain de l’invasion de l’Ukraine par la Russie et chargée d’identifier les avoirs des oligarques et proches de Poutine sous sanction.

Pire, à ce manque de volontarisme politique s’ajoute la volonté d’entraver l’action des associations anticorruption illustrée par le feuilleton du non-renouvellement de l’agrément d’Anticor dont le dernier épisode en date a vu le gouvernement rejeter implicitement le 27 décembre dernier, la nouvelle demande d’agrément déposée par l’association, au grand dam de l’ensemble des associations anticorruption agréées



Indépendance de l’autorité judiciaire : un chantier inachevé

Si le garde des Sceaux a été finalement relaxé par la Cour de justice de la République, ni la justice ni cette juridiction d’exception en sursis ne sortent grandies de cette séquence désastreuse.

Sortir par le haut de « l’affaire Dupond-Moretti » appelle à reprendre le chantier de l’indépendance de la justice en alignant pleinement le statut des magistrats des parquets sur celui des magistrats du siège, en encadrant strictement les pouvoirs de nomination et le pouvoir disciplinaire du Garde des sceaux. Cette réforme qui a échoué en 2013, puis qui s’est perdue en 2018, doit être remise sur le métier et menée à son terme. Le président de la République en a convenu dans son discours du 4 octobre dernier devant le Conseil constitutionnel à l’occasion des 65 ans de la Constitution de la Vème République. Il reste à passer des paroles aux actes.

Alors que des propositions de suppression de la Cour de Justice de la République figurent depuis dix ans dans les programmes des candidats élus à la présidentielle et dans les propositions des associations anticorruption, il est temps de passer aux actes. Transparency International estime que les contentieux concernant les ministres en exercice devraient être confiés à une juridiction de droit commun, comme la Cour d’appel de Paris, avec le filtre d’une commission des requêtes.

La réforme de la police nationale engagée par l’exécutif constitue également une source d’inquiétude quant à l’indépendance de la police judicaire et donc de la justice. La mise en place d’un commandement unique de l’ensemble des services de police au niveau départemental sous l’autorité du préfet et la dissolution de l’actuelle police judiciaire dans une filière investigation qui réunirait tous les OPJ, généralistes et spécialistes, inquiète.

Les augmentations successives du budget de la Justice de ces dernières années ne sauraient nous rassurer. En effet, nous ne savons toujours pas quelles en sont les éventuels effets bénéfiques sur la justice financière. Le Parquet national Financier qui a fêté ses dix ans en 2023 dispose de moyens inversement proportionnels aux sommes en jeu dans les affaires de corruption.

La France, malgré son classement flatteur à l’Indice de Perception de la Corruption de Transparency International, n’est donc pas immunisée contre les dérives illibérales qui touchent nombre de pays aux structures et cultures démocratiques plus fragiles. Notre pays dispose pourtant de nombreux atouts, outils et autorités. Il lui manque peut-être le plus important : la volonté politique.


Besoin d’informations complémentaires ? 

Consultez la page média de Transparency International. Elle contient le rapport IPC 2023 ainsi que l’ensemble des données, la méthodologie et des analyses supplémentaires portant sur six régions dans lesquelles se trouvent des pays dont il est avéré que la surveillance est importante, dont le Liban (24), le Guatemala (33) et la Grèce (49).


C’est quoi l’Indice de Perception de la Corruption 2023 de Transparency International ?

Depuis sa création en 1995, l’Indice de perception de la corruption est devenu le principal indicateur de la corruption dans le secteur public au niveau mondial. Il classe 180 pays et territoires du monde entier en fonction de la perception de la corruption dans le secteur public, à l’aide de données provenant de 13 sources externes dont la Banque mondiale, le Forum économique mondial, des sociétés privées de conseil et de gestion des risques, des groupes de réflexion, et d’autres sources. Les scores attribués reflètent les points de vue d’expert·e·s et de personnalités du monde des affaires, et non celui du public.
 
La méthode de calcul de l’IPC est régulièrement revue pour garantir, autant que possible, son caractère solide et cohérent. Sa révision la plus récente, par le Centre commun de recherche de la Commission européenne, date de 2017. Depuis 2012, tous les scores de l’IPC sont comparables d’une année à l’autre. Pour plus d’informations, sur l’Indice de perception de la corruption, sa méthodologie, consultez l’ABC de l’IPC de Transparency International (en anglais).

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