Financer l’aide à l’Ukraine avec les revenus générés par les actifs russes gelés en Europe ne doit pas faire oublier la nécessaire traque des biens mal acquis russes

Financer l’aide à l’Ukraine avec les revenus générés par les actifs russes gelés en Europe ne doit pas faire oublier la nécessaire traque des biens mal acquis russes

La Commission européenne souhaite financer l’aide à l’Ukraine avec les revenus générés par les actifs de la Banque centrale russe gelés en Europe dans le cadre des sanctions européennes liées à la guerre.. Une proposition loin d’être anodine du fait des ses implications juridiques, économiques et politiques à ne surtout pas confondre avec les efforts engagés par certains pays européens dont la France pour identifier, saisir et confisquer les biens mal acquis en France des oligarques russes et proches de Poutine. Explications.

Depuis le début de la guerre en Ukraine, les 27 Etats Membres de l’Union européenne ont gelé plus de 200 milliards d’actifs appartenant à la banque centrale russe. Ces avoirs sont gelés, c’est à dire qu’ils sont immobilisés suite à une décision politique qui peut être levée à tout moment et ne retire pas le droit de propriété de la Fédération de Russie sur ces avoirs. La Russie en est donc toujours propriétaire, mais elle ne peut plus les déplacer ni en tirer profit. Le gel, décision politique prise dans le cadre de régimes de sanctions économiques ou financières se distingue donc de la saisie, et a fortiori de la confiscation, qui interviennent dans un contexte judiciaire à la suite de la décision prise par un juge.


Le gel des avoirs est une décision politique et temporaire qui consiste en un blocage de comptes bancaires et autres avoirs financiers. Le gel ne retire pas le droit de propriété des propriétaires des avoirs

La saisie pénale aux fins de confiscation est un acte judiciaire réalisé dans le cadre d’une procédure pénale permettant à l’autorité judiciaire d’appréhender matériellement ou juridiquement des biens en vue de leur éventuelle confiscation future

La confiscation d’avoirs constitue une peine complémentaire de l’emprisonnement et/ou de l’amende.


Gelés, ces 200 milliards d’actifs immobilisés dans une société dépositaire de titres financiers basée à Bruxelles, Euroclear, continuent toutefois, comme tous les titres financiers, de générer des profits, estimés à plus de 4 milliards de dollars en 2023 et eux aussi immobilisés par la mesure de gel.

Ce sont précisément ces profits que la Commission européenne propose de taxer à hauteur de 97% pour soutenir soit l’effort de guerre en Ukraine, soit la reconstruction du pays.

Il n’est donc pas question de toucher au capital lui-même, qui bien que gelé appartient toujours à la Fédération de Russie, mais uniquement aux profits réalisés par un opérateur privé, en l’occurrence Euroclear l’institution financière qui détient les avoirs russes.


MEDIAS | UTILISER LES REVENUS DES ACTIFS RUSSES GELÉS EN EUROPE POUR FINANCER L’AIDE A l’UKRAINE, COMBIEN, COMMENT POURQUOI ?

Les réponses de Sara Brimbeuf, notre responsable du plaidoyer Grande corruption et Flux Financiers Illicites et invitée du journal de 12h30 de France Culture du jeudi 21 mars 2024 (à partir de 4:55)


Cette décision fait l’objet d’intenses débats. Le Royaume-Uni, les Etats-Unis et le Canada sont partisans de saisir en vue de leur confiscation l’ensemble des avoirs de la banque centrale russe présents sur leur territoire. Cela pose des enjeux juridiques (quid du respect du droit de propriété et des principes relatifs à l’immunité des Etats en droit international ?), politiques (ce serait la première fois que ces pays confisqueraient des actifs d’un pays avec lequel ils ne sont pas en guerre), et financiers (crainte de faire fuir les investisseurs qui pourraient faire sortir leurs avoirs hors de l’UE).

Ce capital reste gelé, et son immobilisation pourrait permettre de faire pression sur la Russie en vue de futures négociations à l’issue de cette guerre. Le dégel de ces fonds pourrait par exemple être conditionné à la compensation par la Russie des dommages qu’elle a causés. Mais c’est un autre débat et une autre temporalité.

Cette proposition de la Commission européenne ne doit pas occulter la nécessaire traque des biens mal acquis russes en Europe. Si de nombreux oligarques russes et proches de Poutine figurent sur les listes de personnalités visées par des sanctions, le gel de leurs biens est compliqué par la difficulté, voire l’impossibilité, d’identifier leurs propriétaires réels. En effet, malgré les mesures de transparence financière mise en œuvre ces dernières années, comme la création et la publication des Registres des Bénéficiaires Effectifs (RBE) des pays européens, de très nombreux propriétaires de biens immobiliers luxueux se cachent derrière des enchevêtrements de sociétés écrans, enregistrées dans des paradis fiscaux et judiciaires et détenues par des hommes de pailles.



Relier des biens à un propriétaire sous sanction est déjà un défi. Indispensable, cette étape n’est pourtant pas suffisante pour envisager la saisie, voire la confiscation des biens détenus en France par les oligarques russes et les proches de Poutine. Pour espérer priver légitimement un propriétaire de la propriété de son bien, il est nécessaire de démontrer que ce dernier a été acquis avec de l’argent sale, issu d’activités criminelles, du détournement de fonds publics ou de la corruption. Une démonstration qui ne peut se faire qu’à travers une procédure judiciaire. C’est dans cette optique que, forts de notre expérience et de notre légitimité acquises dans les affaires Obiang, Bongo ou Sassou Nguesso dans lesquelles nous nous sommes constitués partie civile, nous avons déposé en mai 2022 au Parquet national Financier une plainte visant cinq oligarques russes et proches de Poutine.



Cette plainte a prospéré puisqu’un an plus tard, des sources journalistes révélaient que dix-neuf enquêtes pénales visant des hommes d’affaires russes étaient ouvertes. Le chemin judiciaire est encore très long avant de pouvoir espérer identifier, saisir puis confisquer des biens mal acquis russes, avant même de pouvoir envisager leur réaffectation à l’aide à l’Ukraine. Une périple plus long, plus difficile et à l’issue plus incertaine que la taxation des revenus des avoirs gelés de la Banque centrale russe, mais qui s’inscrit clairement dans l’Etat de droit et dont la valeur symbolique serait immense.


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