Au cours des derniers mois, Transparency International France a été mobilisé sur plusieurs réformes législatives en lien avec la lutte contre la délinquance financière. Après plusieurs mois de plaidoyer, plusieurs législations définitivement adoptées sont venues considérablement renforcer la transparence des bénéficiaires effectifs et les dispositifs de lutte contre le blanchiment de capitaux (LCB-FT).

TRANSPARENCE DES BENEFICIAIRES EFFECTIFS
Prenant acte d’une décision de la CJUE de 2022, la 6ème directive anti-blanchiment, adoptée en mai 2024, a restreint l’accès du grand public au RBE. Seules les personnes disposant d’un intérêt légitime à accéder à ces données pourront désormais les consulter.
Dans le cadre de la transposition de cette directive en droit français, Transparency International France a eu l’opportunité de rappeler la nécessité de favoriser une interprétation extensive de la notion d’intérêt légitime, à fortiori pour les représentants de la société civile susceptibles d’effectuer des investigations, des recherches ou des rapports sur la transparence des bénéficiaires effectifs.
Ces préconisations ont été suivies d’effet. La loi du 30 avril 2025 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes dispose : « sont présumés justifier d’un intérêt légitime à accéder aux informations [contenues dans le RBE] 2° Les organismes à but non lucratif et les chercheurs universitaires qui ont un lien, même indirect, avec la prévention ou avec la lutte contre la corruption, le blanchiment de capitaux, ses infractions sous-jacentes ou le financement du terrorisme ».
Il faudra désormais s’assurer que ces dispositions soient mises en œuvre en pratique, les demandes d’accès aux données étant évaluées au cas par cas par les autorités françaises.
Sur les recommandations de Transparency International France, cette même législation prévoit également un élargissement des données enregistrées au RBE, et intègre les informations relatives à la chaîne de propriété et aux données historiques sur les bénéficiaires effectifs.
Ces deux ajouts constituent des avancées majeures. Alors que jusqu’ici une société française détenue par une société étrangère n’avait pas l’obligation de déclarer les bénéficiaires effectifs de sa société mère, cette législation vient désormais corriger une faille substantielle et favorise l’identification de structures de propriétés extra-européennes ou atypiques.
Toutes ces avancées demeureront vaines si l’obligation de déclaration des bénéficiaires effectifs n’est toujours pas mise en œuvre. Lors de son audition devant la commission d’enquête sénatoriale sur la lutte contre la délinquance financière, Transparency International France a pu rappeler que selon une étude menée en 2023, un tiers des entreprises n’ont toujours pas déclaré leurs bénéficiaires effectifs. Pourtant, les sociétés qui ne se conforment pas à leurs obligations de déclaration des bénéficiaires effectifs s’exposent aujourd’hui à des sanctions pénales. Depuis la mise en œuvre du RBE, force est de constater que très peu de sanctions ont été imposées pour non-respect de l’obligation de déclaration du ou des bénéficiaires effectifs.
Pour répondre à cette lacune, la loi du 13 juin 2025 visant à sortir la France du piège du narcotrafic étend, sur les recommandations de Transparency International France, les possibilités pour les greffiers des tribunaux de commerce de recourir à la radiation d’office du RCS des entreprises n’ayant toujours pas – après relances – déclaré leurs bénéficiaires effectifs : la radiation d’office d’une entreprise en cas de non déclaration des bénéficiaires effectifs suite à une mise en demeure et à l’expiration d’un délai de trois mois (article L.561-47 du CMF) ou à la suite d’une injonction du tribunal (article L.561-48 du CMF) ou en cas de non-régularisation des divergences sur les bénéficiaires effectifs (article l.561-47-1 du CMF).
Si ces mesures constituent un pas significatif, elles ne sont toutefois pas suffisantes pour renforcer le caractère réellement dissuasif d’une non déclaration.
A ce titre, alors que le projet de loi simplification de la vie économique adopté par le Sénat le 22 octobre 2024 proposait d’augmenter significativement les amendes en cas de manquement à l’obligation de déclaration, cette mesure est tombée lors des discussions sur le texte à l’Assemblée Nationale, finalement adopté le 17 juin 2025. Cette augmentation du taux de l’amende, en substitution de la peine d’emprisonnement jamais mise en œuvre en pratique, aurait pourtant été déterminante et plus adaptée aux enjeux spécifiques. Un plaidoyer à continuer.
RENFORCEMENT DU DISPOSITIF LCB-FT
La loi du 13 juin 2025 visant à sortir la France du piège du narcotrafic a placé les enjeux de lutte contre la délinquance financière au cœur des débats. Il était temps, à l’heure où 70% des réseaux criminels opérant au sein de l’UE utilisent le blanchiment et la corruption pour financer leurs activités illicites.
Prenant acte des difficultés d’identification des avoirs criminels, une mesure phare de cette nouvelle législation, soutenue par Transparency International France, concerne l’adoption d’une série de dispositions visant à assujettir à la réglementation sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) les personnes se livrant à titre habituel et principal à la vente ou à la location de navires de plaisance, de véhicules automobiles, ou d’aéronefs privés (au-delà d’un certain seuil fixé par décret). Il en va de même pour les promoteurs immobiliers et les marchands de biens qui n’étaient pas soumis jusqu’ici à cette législation, ce que déplorait un rapport sur l’opacité immobilière récemment publié par Transparency International. Ces dispositions sont bienvenues, à l’heure où la France figure parmi les 10 destinations privilégiées pour blanchir des fonds. A ce titre, le rôle joué par les professionnels pour prévenir, détecter et signaler toute opération potentiellement frauduleuse est aujourd’hui déterminant.
Au cours des débats législatifs sur le narcotrafic, Transparency International France a également eu l’opportunité de rappeler la nécessité de favoriser la récolte de données sur certains avoirs clés qui sont des véhicules privilégiés du blanchiment de capitaux (yachts, œuvres d’art etc). Si ces recommandations n’ont pas été suivies d’effet, elles demeurent plus que jamais actuelles.
Dans le contexte de l’étude Strengthened Enforcement Capacities of Public Authorities soutenue par la Commission européenne et conduit par Transparency International dans plusieurs pays de l’Union européenne, Transparency International France a recueilli des informations en source ouverte et auprès de plusieurs administrations françaises sur l’accessibilité et la qualité de certaines données en France afin de favoriser la détection précoce des délits financiers. Les premiers résultats de cette enquête démontrent la nécessité pour les autorités françaises d’initier des réformes afin de favoriser l’accès à certaines données clés en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (création de registres centralisés, exhaustivité des données recueillies dans les registres, ouverture de certains registres à la société civile, ergonomie des plateformes, interconnexion…).