Indice de Perception de la Corruption 2021 de Transparency International : la grande stagnation de la France face à la corruption

Paris, mardi 25 janvier 2022,

Publié aujourd’hui par Transparency International, l’Indice de Perception de la Corruption (IPC) de Transparency International 2021 révèle 10 ans de stagnation de la lutte contre la corruption dans le monde, sur fond d’atteinte aux droits de l’homme et de déclin de la démocratie.

Quelques chiffres illustrent cette stagnation générale :

– 154 pays sont en recul ou sans aucun progrès notable dans la lutte contre la corruption au cours des 10 dernières années
– 27 pays ont atteint leur score le plus bas cette année.
– La Moyenne globale de la note à l’IPC (43 sur 100) n’a pas bougé en 10 ans
– Avec un score inférieur à 50/100, les deux tiers des pays (123 sur 180) font face à une corruption endémique.Tout savoir sur l’IPC 2021 de Transparency International


CORRUPTION, DEMOCRATIE ET DROITS HUMAINS : NOTRE WEBINAIRE POUR TOUT COMPRENDRE DE L’INDICE DE PERCEPTION DE LA CORRUPTION 2021



LA LUTTE CONTRE LA CORRUPTION N’A PAS PROGRESSE EN FRANCE EN 10 ANS


Inquiétant, ce constat l’est plus encore si l’on élargit le spectre aux 17 dernières années : la France peine à imprimer une dynamique suffisante pour retrouver son plus haut classement à l’IPC enregistré en 2005, la faute à l’absence de stratégie globale et soutenue de la France en matière d’éthique et de lutte contre la corruption : chaque progrès est annulé par un recul ultérieur dans un phénomène de reflux qui condamne la France à l’immobilisme.

Si cette stagnation concerne 86% des pays et territoires classés à l’IPC et si les pays les mieux côtés ne sont pas exempts de scandales, en France, les conséquences potentielles de l’inaction en matière de prévention, de détection et de répression de la corruption sont particulièrement dommageables au regard de son haut niveau de dépense publique (62,1% de son PIB en 2020, taux le plus élevé de l’Union européenne, 8,7 points de PIB de plus que la moyenne de l’Union européenne en 2020 –source Eurostat).

Phénomène de flux et de reflux

La dynamique initiée durant le mandat 2012-2017,avec la création de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP), de l’Agence Française Anticorruption (AFA), du Parquet National Financier (PNF), de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCCIFF), mais également avec la création d’outils répressifs tels que la Convention judicaire d’intérêt public (CJIP) ou un statut protecteur des lanceurs d’alerte, saluées en décembre dernierpar l’OCDE dans son rapport d’évaluation de la mise en œuvre par la France de la Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, ne s’est malheureusement pas poursuivie depuis. Les effets bénéfiques des quelques progrès accomplis par la France ces cinq dernières années ont malheureusement été amoindris par les nombreux reculs et signaux inquiétants enregistrés sur la période.

Si on peut se féliciter des avancées permises par la loi de confiance dans la vie politique de 2017 ou la création d’un mécanisme de restitution transparente et exemplaire des avoirs issus des « biens mal acquis » créé en juillet 2021, ces avancées sont atténuées par les signaux inquiétants qui ont émaillé le mandat du candidat de la « République exemplaire » comme par exemple : les attaques portées contre le PNF et les associations de lutte contre la corruption, ou encore le nombre de membres de gouvernement mis en cause dans des affaires d’atteintes à la probité (avec notamment la condamnation pour « déclaration incomplète ou mensongère » de sa situation patrimoniale d’un ministre délégué en exercice et la mise en examen d’un Garde des Sceaux pour prise illégale d’intérêts, deux premières).

Autre motif d’inquiétude, par ailleurs pointé du doigt par l’OCDE : le manque de moyens et d’indépendance des acteurs de la lutte contre la corruption. Un chiffre suffit à illustrer ce cruel manque de moyens : le PNF ne compte que 18 magistrats et 7 assistants spécialisés, 13 greffiers et 3 adjoints techniques pour traiter les quelques 600 affaires dont il est chargé. La justice financière n’a bénéficié d’aucun crédit supplémentaire dans un budget de la justice en hausse de 8% en LFI 2022. Quant à l’indépendance, il suffit de rappeler notamment que l’AFA est soumise à la double tutelle de deux ministères, justice et budget, qui ne se sont jamais articulés entre eux sur ce sujet de l‘anticorruption, sans oublier qu’en l’absence d’une réforme de la justice pourtant promise depuis 10 ans, la nomination et la gestion de carrière des magistrats du parquet dépend toujours du Garde des sceaux, ministre de la Justice.

Cette absence de dynamique n’a d’ailleurs pas échappé au Greco, dans son dernier rapport sur la prévention de la corruption et la promotion de l’intégrité au sein des gouvernements centraux et des services répressifs. Regrettant l’absence de réforme statutaire du Parquet en France, le Groupe des Etats contre la corruption a souligné que les efforts de prévention des conflits d’intérêts et de sensibilisation à la prévention de la corruption permise grâce à la création de la HATVP et de l’AFA peinaient à atteindre les cabinets du premier ministre et celui de la présidence de la République.

Autre illustration de ce ralentissement global de la dynamique engagée durant le quinquennat 2012-2017, le renoncement de l’exécutif actuel à renforcer les dispositions de la loi Sapin II en matière de transparence du lobbying. Malgré une évaluation parlementaire menée au cours de l’été 2021 et un consensus sur la nécessaire révision du décret d’application du texte, notamment sur le registre des représentants d’intérêts de la HATVP afin qu’il reflète plus précisément les relations entre les décideurs publics et les représentants d’intérêts particuliers, aucune amélioration n’a été apportée sur ce point au cours du mandat.

Pour Patrick Lefas, président de Transparency International France, « L’évolution du classement de la France à l’IPC nous amène à nous demander si la France, à l’instar de la plupart des pays dans le monde, prend suffisamment au sérieux la lutte contre la corruption. Son absence de progrès durables ne révèle pas son impuissance face à ce phénomène, mais bien son absence de volonté politique de lutter durablement et efficacement contre lui. Cette stagnation est d’autant plus coupable que notre connaissance de la réalité de la corruption a beaucoup progressé ces dernières années au rythme des fuites (leaks) et autres enquêtes menées par la presse d’investigation. En 2016, le Parlement européen plaçait la fourchette haute du coût de la corruption pour l’Union européenne à 1.000 milliards de d’euros, soit 6,3% du PIB de son PIB. Cette évaluation pessimiste semble aujourd’hui proche de la réalité. La lutte contre la corruption, n’est pas seulement une question d’éthique, c’est une question économique, démocratique, environnementale, mais aussi migratoire : les vingt premiers pays dont sont originaires 80% des demandeurs d’asile en France en 2020 occupent tous sauf un pays, la Géorgie, le dernier tiers du classement de notre IPC. »

Une France pas exemplaire en matière de respect de la démocratie et de l’Etat de droit

L’édition de l’IPC 2021 met en évidence un lien fort entre corruption, autoritarisme et atteintes à la démocratie.

Même si le président de la République aime à rappeler son profond attachement à l’Etat de droit et même si les lois confiance dans la vie politique ont permis de réelles avancées, la France est restée au-delà de la vingtième place de l’IPC sur les dix dernières années, et n’a pas pour autant été épargnée par les atteintes à la démocratie et aux droits humains.

Comme dans bien d’autres pays démocratiques, la crise sanitaire liées à la COVID 19 a fragilisé l’Etat de droit et réduit l’espace de débat démocratique. Un nombre très important de décisions impactant considérablement les libertés publiques ont été prises dans le cadre très restreint et très opaque du Conseil de défense sanitaire, sans réel débat parlementaire, sans réels contrepouvoirs. Mais les atteintes au débat public et au rôle des contre-pouvoirs en France ne trouvent pas leurs origines dans le seul contexte sanitaire mondial. En février 2019, les députés européens ont voté une résolution dénonçant « le recours à des interventions violentes et disproportionnées de la part des autorités publiques lors de protestations et de manifestations pacifiques ». Si le texte ne cible pas un État membre en particulier, nous nous rappelons en France les moyens mis en œuvre par les forces de l’ordre durant les manifestations de « gilets jaunes ».

La loi confortant le respect des principes de la République votée à l’été 2021, destinée à limiter l’action d’individus prônant la haine, réfugiés derrière des associations, contient des restrictions dangereuses de la liberté d’association avec l’introduction des principes de responsabilité des dirigeants sur les agissements délictueux d’un de ses membres ou la conditionnalité des subventions publiques au « respect de l’ordre public », un concept juridiquement flou qui pourrait ouvrir la voie à des demandes abusives de remboursement des subventions. Autre signal inquiétant envoyé par l’exécutif en direction du mouvement associatif, les difficultés pour l’ONG Anticor à obtenir son agrément gouvernemental lui permettant de se constituer partie civile dans les affaires d’atteintes à la probité.

Corruption, démocratie et droits humains : la diplomatie commerciale française pointée du doigt

Les pays les mieux classés de l’IPC ne sont pas immunisés contre la corruption ni exempts de responsabilité dans sa persistance au niveau international. A travers leurs stratégies commerciales internationales, les pays les mieux classés à l’indice sont peu regardants quand il s’agit de commercer avec des dirigeants corrompus du monde entier soucieux de consolider leurs richesses illicites au détriment de l’intérêt général de leurs concitoyens. La concentration de la richesse et du pouvoir aide à son tour les dirigeants sans scrupules à s’en tirer malgré des violations flagrantes des droits de l’homme.

Ainsi la synthèse des flux commerciaux (biens) de la France en direction de ses principaux partenaires commerciaux qui se dégage du rapport sur le commerce extérieur 2021 de la France nous apprend qu’au moins 12,3% des exportations françaises ont pris, en 2020, la direction de pays confrontés à une corruption endémique (score inférieur à 50). Ce chiffre passe même à 16,3%, si l’on prend en compte les pays autoritaires où sont recensées des atteintes aux droits humains, aux libertés publiques et aux contre-pouvoirs sans pour autant être apparemment confrontés à un haut niveau de corruption.

Selon le Rapport annuel 2020 du Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), sur la période 2015-2019, la France est le 3e pays vendeur d’armes à l’Arabie Saoudite (53e sur 180, score de 53) et le 2e vendeur aux Emirats Arabe Unis (24e, score de 69) les deux principaux pays de la coalition militaire qui intervient au Yémen. Un conflit dans lequel « Toutes les parties ont continué de commettre en toute impunité des violations du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme » selon le groupe d’expert des Nations unies sur le Yémen.
Le 3 septembre 2019, le groupe d’expert éminents du Conseil des droits de l’Homme chargé d’enquêter sur les violations et les atteintes au droit international commises par toutes les parties au conflit au Yémen pointaient directement dans son rapport la responsabilité de la France et des autres fournisseurs d’armes de la coalition : « Les Etats peuvent être tenus responsables de l’aide ou de l’assistance qu’ils ont fournie et qui a permis de commettre des violations du droit international, si les conditions relatives à l’établissement de la complicité sont satisfaites. »
La signature de la vente de 30 Rafale à l’Égypte (117e sur 180, score de 33) le 26 avril 2021 est un autre exemple de la realpolitik française. Alors que les droits humains y sont systématiquement bafoués depuis la prise du pouvoir par le général Sissi, au point qu’Emmanuel Macron en ait parlé à l’occasion d’une visite au Caire en janvier 2019, la France a opéré une volte-face en décembre 2020, lors d’une visite d’État du président Abdel Fattah-al-Sissi à Paris. Le Président de la République lui a remis alors la grand-croix de la Légion d’honneur et l’a assuré que les violations des droits humains ne conditionneraient pas la coopération économique et militaire. Quatre mois plus tard, la France signait un contrat historique de 7,7 milliards d’euros.

Perspectives

Le manque d’empressement des pouvoirs publics à clarifier leurs liens avec les intérêts privés et à lutter efficacement contre la corruption transforme la légitime exaspération des citoyens en un populisme qui menace l’Etat de droit. Liban, Bulgarie, Irak, Russie, Zimbabwe, Afrique du Sud… Aux quatre coins du monde, le refus de la corruption a amené les citoyens dans la rue et a parfois constitué les bases de nouvelles coalitions gouvernementales. Aux Etats-Unis, l’administration Biden a même érigé la corruption au rang de menace pour la sécurité nationale. Pendant ce temps, la France peine à prendre la mesure des effets néfastes de la corruption et du manque d’exemplarité sur son modèle démocratique. Après un quinquennat décevant au regards des ambitions affichées, malgré quelques avancées apportées par les lois de confiance dans la vie politique, la loi de transformation de la fonction publique ou la création d’un mécanisme de restitution exemplaire des biens mal acquis, Transparency International France appelle les candidats à mettre en œuvre un véritable plan d’urgence contre la corruption sous la forme d’une politique publique globale, cohérente, ambitieuse et pilotée au plus haut niveau.

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