COLLOQUE : Bygmalion… et après ? Le contrôle des comptes de campagne des candidats à l’élection présidentielle : comment éviter de nouveaux scandales ?
Lundi 22 novembre de 14h à 18h – Palais du Luxembourg
Le procès de l’affaire dite « Bygmalion » a mis en scène les défaillances du contrôle des comptes de campagne que nous avions relevées dans notre rapport Financement de vie politique, l’urgence d’une réforme, publié il y a deux ans. Alors qu’aucune réforme ambitieuse n’a été entreprise depuis la révélation de l’affaire par la presse, force est de constater que le scrutin présidentiel, temps fort de la vie politique française, demeure un maillon faible de la probité politique dans notre pays. Le statu quo est impensable. Une réforme semble inévitable, mais laquelle ?
A quelques mois de l’élection présidentielle de 2022, Transparency International France organise un colloque sur cet enjeu fondamental pour la santé de notre démocratie, qui, pour évoluer, réclame un sursaut politique.
Universitaires, représentants du monde associatif, responsables politiques et hauts fonctionnaires ont échangé sur les risques encourus sur les plans constitutionnel et politique si la législation n’évoluait pas et sur les solutions à envisager pour éviter de connaitre de nouvelles affaires politico-financières tous les cinq ans.
SYNTHESE DU COLLOQUE
Le rôle de la société civile dans la promotion de la transparence des données relatives au financement des campagnes électorales
Les exemples internationaux présentés lors de ce colloque par Kate Engles de l’Electoral Commission britannique et Sandra Martinez de Transparencia por Colombia, montrent que les solutions politiques et techniques existent. Il faut non seulement convaincre les décideurs publics de leur utilité et encourager la Commission nationale des Comptes de Campagnes et du Financement Politique (CNCCFP), en cours de développement numérique, à s’emparer de tels outils. A ce titre, l’exemple colombien doit nous inspirer : la plateforme Cuentas Claras (Comptes transparents) sur laquelle les candidats à la présidentielle doivent publier leurs dépenses et recettes de campagne a été développée par la section colombienne de Transparency International avant d’être rendue obligatoire par le gouvernement. Des outils de transparence des comptes doivent être mis en place, le plus en amont possible, pour permettre aux citoyens, médias d’investigations, ONG et autres lanceurs d’alerte de veiller à la sincérité du scrutin. C’est à ce prix que nous réussirons à réduire la méfiance et la défiance structurelle des citoyens vis-à-vis des politiques.
Améliorer le pouvoir de contrôle de la CNCCFP
Depuis 2019, Transparency International propose d’élargir les missions et moyens de contrôle dont dispose la CNCCFP. Nous proposons notamment que cette dernière soit dotée d’un pouvoir d’enquête réel afin de pouvoir vérifier la réalité des prestations correspondant aux factures déclarées par les équipes de campagne des équipes, mais aussi de pouvoir accéder aux comptes des partis qui soutiennent les candidats, et ce dès l’ouverture de la période de financement de la campagne électorale pour l’élection présidentielle. Les échanges ont montré qu’il n’était pas si difficile, juridiquement, d’inclure les partis politique dans le champ du contrôle. Reste la difficulté politique.
Le contrôle de la CNCCFP devrait également être étendu à des pratiques émergentes comme la publicité en ligne ou le recours à des influenceurs et dont on mesure de plus en plus le poids sur l’opinion et donc sur l’issue des scrutins. Ces recours doivent être considérés comme des prestations par les autorités de contrôle. La pré campagne actuelle montre aussi qu’une réflexion doit être engagée sur certains médias dont les contenus pourraient, au regard de leurs choix éditoriaux être considérés comme des contenus partisans et intégrés aux comptes de campagne et / ou au temps de parole d’un candidat.
Sortir de l’impasse imposée par le statut du chef de l’Etat
Que ce serait-il passé si Nicolas Sarkozy avait été élu président de la République en 2012, et donc, en poste au moment des premières révélations sur le financement illégal de sa campagne par la presse ? La question est toujours valable en 2022, en l’absence de réforme d’ampleur depuis « l’affaire », et la réponse demeure inchangée : le risque d’une crise institutionnelle qui pourrait encore accroitre la défiance des citoyens vis-à-vis des politiques. Car en France, un président de la République élu est pénalement protégé par son statut. Les contrôles de la CNCCFP s’effectuant dans un délai de six mois après le scrutin, il serait impossible d’annuler l’élection d’un président élu malgré de comptes de campagne invalidés, ce qui est pourtant la règle pour toutes les autres élections.
Repenser le financement de la vie politique
En France, contrairement aux Etats-Unis, par exemple, le financement des campagnes électorales par les entreprises est formellement interdit et les dons individuels limités à 7.500€ par personne. La question de ce plafond plutôt élevé a été soulevée à de nombreuses reprises comme un point particulièrement sensible en matière d’égalité des citoyens devant l’exercice de leurs droits civiques et susceptible d’altérer la sincérité d’une élection. Une réflexion doit être engagée pour repenser ce système et le dépasser, que ce soit à travers un plafonnement des dons des particuliers aux candidats largement revu à la baisse, un système de financement participatif, ou encore en faisant la transparence sur les dons les plus importants, pour que chacun puisse constater si des dons peuvent faire l’objet de contreparties cachées,. Les listes des donateurs étant déjà transmises à la CNCCFP, les rendre publiques ne devraient pas poser de difficultés importantes. La question du seuil de 5% des suffrages pour obtenir remboursement des frais de campagne par l’Etat a également été pointé comme une zone à risque à laquelle un système de paliers pourrait être privilégié.
Sensibiliser et éduquer les citoyens au fonctionnement des institutions de la République
La méconnaissance du fonctionnement de nos institutions est une des raisons de la défiance des citoyens vis-à-vis du politique. Aujourd’hui, celles-ci ne sont pas suffisamment étudiées au cours de la scolarité obligatoire. Une réforme ambitieuse du financement de la vie politique et du contrôle des comptes de campagne devrait comprendre des propositions pour améliorer l’appréhension du fonctionnement de nos institutions par les citoyens. Cela pourrait, par exemple, passer par une plus grande ouverture des lieux où se fait la démocratie, à l’instar de ce qui existe aux Etats-Unis.
La question de la formation et de sa qualité aux différents intervenants de l’écosystème du contrôle des comptes en temps de campagne présidentielle doit faire l’objet d’une attention particulière.
Objectif présidentielle 2022
Comme nous avons déjà eu l’occasion de le déplorer, il est déjà trop tard pour changer les règles du jeu du contrôle des comptes de campagne pour la présidentielle 2022. Mais ce colloque a montré que nous avions toutes et tous la volonté, l’expertise et les idées nécessaires pour formuler une proposition de réforme ambitieuse et inviter les candidats à la prochaine présidentielle à inscrire la réforme du financement de la vie politique et du contrôle des comptes de campagne dans leur programme, mais aussi dans leurs pratiques.
EN SAVOIR PLUS :
Notre rapport : Financement de la vie politique, l’urgence d’une réforme (2019)
PROGRAMME DETAILLE
INTRODUCTION
Jean-Pierre Sueur, sénateur du Loiret
Jean-Pierre Sueur a été maître de conférences en linguistique française à l’Université d’Orléans puis député du Loiret (1981-1991), Secrétaire d’Etat aux collectivités locales (1991-1993), maire d’Orléans (1989-2001). Il est Sénateur du Loiret depuis 2001. Il a été président de la Commission des lois du Sénat de 2012 à 2015 et il est depuis octobre 2020 questeur du Sénat.
Patrick Lefas, président de Transparency International France
Président de Transparency International France depuis juin 2020, Patrick Lefas est président de chambre honoraire à la Cour des comptes. Après avoir occupé de nombreuses fonctions en cabinets ministériels et en administrations centrales, Patrick Lefas intègre la cour des comptes en 1998 en tant que conseiller maître, au sein de la première chambre. A la suite et jusqu’en 2011, il préside la section de certification des comptes de l’Etat. En 2011 il est nommé président de la troisième chambre de la Cour des comptes. En 2015 il prend la présidence de sixième chambre dont il est nommé président honoraire en 2018.
Animation / Vincent Edin
Journaliste indépendant, collaborateur régulier d’Usbek & Rica et de Philonomist, il a dirigé pendant 10 ans le Master Communication Politique et Publique de l’ECS où il intervient sur la rhétorique politique, discipline qu’il enseigna également à Sciences Po avec des étudiants internationaux. Il anime de nombreux événements et séminaires, avec une spécialisation sur l’innovation sociale, les problématiques publiques et les acteurs de changements dans l’entreprise ou au sein du secteur associatif. Enfin, il anime des podcasts notamment Pour que nature Vive, série en 18 épisodes en collaboration avec le Muséum National d’Histoire Naturelle et lauréat du prix du podcast de l’année au Paris Podcast Festival 2020.
PREMIERE TABLE RONDE : Quelles leçons peut-on tirer de l’affaire Bygmalion ?
Les dimensions de l’affaire Bygmalion sont aussi vertigineuses que nombreuses. Les intervenants de cette table ronde vont nous éclairer sur les leçons tirées (ou non) de cette affaire, symptomatique des lacunes du système actuel. Les implications institutionnelles, constitutionnelles, politiques et démocratiques de ce genre de manquement grave au code électoral doivent provoquer un électrochoc que nous attendons encore.
Romain Rambaud
Romain Rambaud est professeur de droit public à l’Université Grenoble-Alpes. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages consacrés au droit électoral (notamment Droit des élections et des référendums politiques, LGDJ, 2019) et de nombreux articles, publiés notamment dans la revue Actualité juridique de droit administratif (AJDA, Dalloz), pour laquelle il est responsable de la rubrique de droit électoral. Il a également fondé le blog du droit électoral, blog consacré au suivi et à l’analyse de l’actualité du droit des élections politiques (http://blogdudroitelectoral.fr)
Bruno Cautrès
Bruno Cautrès est chercheur au CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections (Panel électoral français de 2002 et Panel électoral français de 2007, Baromètre politique français). Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques.
Anne Deysine
Anne E. Deysine est professeure émérite à l’université Paris-Nanterre. Juriste et américaniste, elle a beaucoup écrit sur le lobbying et le financement des élections. Ses derniers ouvrages consacrés aux Etats-Unis sont La Cour suprême des Etats-Unis : Droit, Politique et Démocratie, Dalloz 2015 et Les Etats-Unis et la démocratie, L’Harmattan, nov. 2019.
Julia Cagé
Professeure d’Économie au département d’Économie de Sciences Po Paris, Julia Cagé est également co-directrice de l’axe « Evaluation de la Démocratie » du Laboratoire Interdisciplinaire d’Evaluation des Politiques Publiques (LIEPP) et Chercheuse affiliée au Center for Economic and Policy Research (CEPR). Autrice de nombreux ouvrages de référence, dont Le prix de la démocratie. Paris, Fayard, 2018, Julia Cagé est spécialiste des enjeux démocratiques et des médias.
PRESENTATION DES MODELES INTERNATIONAUX
Sandra Ximena Martinez
Directrice programmatique au sein de Transparencia por Colombia (antenne colombienne de Transparency International)
Politologue de l’Université de los Andes, titulaire d’une maîtrise en sciences politiques de cette même université et d’une spécialisation en démocratie et régime électoral de l’Université Sergio Arboleda, Sandra Ximena Martinez a dirigé en tant que directrice du programme Initiatives avec le système politique et l’État, des projets visant à lutter contre la corruption, à promouvoir la transparence, l’intégrité et la responsabilité dans la gestion publique et le système politique, notamment en matière de financement politique. Elle a également encouragé des initiatives visant à approfondir l’analyse et la compréhension du phénomène de la corruption, sous d’autres angles tels que les dommages qu’elle cause, la visibilité des victimes et sa relation avec les violations des droits de l’homme. Experte en méthodologies et pratiques basées sur la démocratie délibérative pour promouvoir la participation des citoyens, le dialogue avec les autorités et le plaidoyer dans l’élaboration des politiques publiques, observatrice des processus électoraux, Sandra Ximena Martinez a été chercheuse à l’Université de los Andes et chargée de cours à l’Université el Rosario y la Salle, ainsi que consultante pour des organisations internationales telles que la Fondation interaméricaine, Partners of the Americas, la Fondation Kettering et la Fondation pour les droits constitutionnels. Auteur et co-auteur de plusieurs publications sur ces questions.
Kate Engles
Commission Electorale du Royaume-Uni
Kate Engles est responsable des politiques à la Commission électorale du Royaume-Uni et est chargée de la réglementation du financement politique. Elle a coécrit de nombreux rapports politiques et électoraux, notamment un rapport sur les élections générales britanniques de 2019 (2020), Digital Campaigning : increasing transparency for voters (2018), et A regulatory review of the UK’s party and election finance laws (2013). Kate a précédemment travaillé pour un membre du Parlement européen, dans le secteur caritatif et au sein du gouvernement britannique. Elle a étudié la politique européenne à l’université de Cardiff et a participé à des échanges Erasmus à l’Institut d’études politiques de Strasbourg et à la Johannes Gutenberg Universitat Mainz.
SECONDE TABLE RONDE : Quelles solutions mettre en place pour éviter de nouvelles violations à la loi sur le financement des campagnes ?
Cette table ronde sera l’occasion de mettre en perspective les propositions de Transparency International et de se projeter sur le prochain quinquennat.
Les pistes de réformes existent. Les règles du financement électoral sont régulièrement aménagées, mais ces évolutions restent relativement marginales face aux enjeux démocratiques que posent les lacunes observées en matière de contrôle.
Transparency International France porte deux principales propositions, qui auraient pu, si elles étaient mises en œuvre, contribuer à détecter une affaire Bygmalion. Il s’agit d’intervenir d’une part sur la temporalité du contrôle des comptes de campagnes par l’instauration d’un contrôle en temps réel durant l’année électorale et d’autre part, sur le périmètre de ce contrôle en incluant les partis politiques qui financent les candidats.
Jean-Raphaël Alventosa
Conseiller maître honoraire de la Cour des Comptes, Jean-Raphaël Alventosa a été nommé Médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques par décret du Président de la République en août 2018, fonction créée par la loi de Confiance dans la vie politique de 2017. Haut fonctionnaire passé notamment par les ministères de l’Intérieur et de la Défense, Jean-Raphaël Alventosa est l’auteur de nombreux ouvrages sur le management public.
Matthieu Sannet
Diplômé d’expertise comptable et du Master de gestion publique ENA Dauphine, Matthieu Sannet a participé à l’établissement de comptes de campagnes départementale, législatives et sénatoriales. Son mémoire d’expertise comptable portait sur l’audit des formations politiques, une mission citoyenne au cœur de la vie démocratique. Spécialiste des sujets de transparence des comptes et des financements publics, Matthieu Sannet a également contribué à l’expérimentation de la certification des comptes locaux et des assemblées parlementaires.
Romain Colas
Romain Colas est maire (PS) de Boussy-Saint-Antoine depuis 2008. Siégeant à l’Assemblée nationale de 2014 à 2017, il fut rapporteur, pour la Commission des Finances, du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite Sapin 2. Il fut également l’auteur d’un rapport et de deux propositions de loi portant sur le financement des partis politiques et des campagnes électorales.