[TRIBUNE] Uber Files : le meilleur moyen d’assumer les relations entre les décideurs publics et le secteur privé serait de les rendre transparentes

[TRIBUNE] Uber Files : le meilleur moyen d’assumer les relations entre les décideurs publics et le secteur privé serait de les rendre transparentes

Par Patrick Lefas

Président de Transparency International France

“Si c’était refaire, je le referais demain et après-demain. J’assume”. La première réaction officielle du Président de la République aux Uber files est un excellent résumé des véritables enjeux soulevés par cette enquête.

Emmanuel Macron n’a enfreint aucune loi en communiquant 17 fois en secret avec les représentants d’Uber dans ses 18 premiers mois en tant que ministre de l’économie. La loi Sapin 2, qui a posé les premières règles de transparence du lobbying, n’a été votée qu’en décembre 2016. Si cette dernière a créé des obligations déclaratives pour les représentants d’intérêts, elle n’impose toutefois pas aux décideurs publics impliqués dans l’élaboration de la loi de rendre publiques leurs rencontres avec les lobbyistes. C’est cette réalité qui rattrape aujourd’hui notre démocratie : nous ne sommes toujours pas capables de mesurer l’influence des intérêts privés sur la décision publique.

Évitons tout d’abord un premier écueil : le lobbying n’est pas anti-démocratique. Il est totalement légitime que ministres, membres de cabinet ministériel, parlementaires ou hauts fonctionnaires consultent les représentants des parties concernées avant d’élaborer et de voter la loi, fussent-elles des multinationales, fussent-elles étrangères. Mais pour être légitimes, ces rencontres doivent être transparentes. La transparence permet de s’assurer que l’ensemble des parties sont entendues de manière équilibrée ou à l’inverse de détecter si un représentant d’intérêt entretient une relation trop étroite avec un décideur.

Les vraies révélations d’Uber Files ne portent pas sur l’existence d’une relation entre les représentants de la plateforme de VTC et le futur Président de la République, mais bien sur l’intensité de cette relation et l’opacité qui l’a entourée. L’intensité laisse entrevoir une forme d’exclusivité aux dépens des autres parties concernées par la régulation des VTC. L’opacité – vis-à-vis des citoyens, mais aussi des autres membres du gouvernement – laisse à chacun le loisir d’imaginer le pire.

Parfaitement conscient qu’il n’a enfreint aucune loi, pas même la loi Sapin 2 votée après les faits, Emmanuel Macron a beau jeu d’”assumer”. Il n’en reste pas moins qu’il n’est pas admissible de devoir compter sur les leaks et le journalisme d’investigation pour faire toute la lumière sur les relations qu’entretiennent nos décideurs publics avec le privé.

Il y a pourtant des moyens simples de donner aux décideurs publics la possibilité “d’assumer” pleinement leur relation avec le privé et de démontrer que celle-ci demeure au service de l’intérêt général : rendre obligatoire la publication des rendez-vous avec les représentants d’intérêts pour tous ceux qui participent à l’élaboration des lois : ministres, membres de cabinets ministériels, parlementaires et hauts fonctionnaires. C’est d’ailleurs déjà une obligation pour les membres du Gouvernement britannique, bien que les Uber Files aient démontré qu’elle n’était pas systématiquement respectée lors de rencontres non déclarées entre des lobbyistes d’Uber et des représentants des pouvoirs publics britanniques. Elle s’applique également dans l’Union européenne pour les commissaires européens, où elle a permis de mettre en exergue la surreprésentation des lobbyistes des GAFAM dans l’élaboration des régulations du numérique. Cette réforme, complétée par des mesures garantissant la traçabilité des amendements et la révision du décret d’application de la loi Sapin 2 portant sur le répertoire des représentants d’intérêts, nous la proposons depuis plusieurs années. Elle s’inscrit d’ailleurs peu à peu dans le débat public. Gageons que les “Uber Files” constitueront un électrochoc pour avancer enfin sur ces mesures de bon sens réclamées de longue date.


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