Aurore Gorius : « Il est essentiel d’expliquer que voter pour quelqu’un, c’est voter aussi pour son entourage et sa manière de gouverner »

Aurore Gorius : « Il est essentiel d’expliquer que voter pour quelqu’un, c’est voter aussi pour son entourage et sa manière de gouverner »

A l’Oreille des Politiques, co édité par La Revue Dessinée et Les Jours, fait partie des cinq ouvrages retenus pour concourir au premier Prix pour un ouvrage sur la transparence et l’éthique créé par Transparency International France et l’Observatoire de l’Ethique Publique (OEP). Consacrée aux lobbyistes, communicants et conseillers qui influencent la décision publique, sans que le grand public n’en ait forcément conscience, cette bande-dessinée documente de manière pédagogique et précise le poids de ces différents acteurs privés sur la décision publique. Son autrice, la journaliste Aurore Gorius, nous explique pourquoi ce travail d’enquête et sa diffusion à un public le plus large possible est essentiel pour notre démocratie.

Pourquoi avoir choisi ce sujet et que révèle-t-il de la probité de nos dirigeants ?

Cela fait plus de dix ans que je travaille sur les coulisses du pouvoir et l’influence. Ces qui m’intéresse, delà du fonctionnement démocratique traditionnel, des élections, des grands rendez-vous démocratiques, c’est comment se fabrique la décision publique, à travers l’intervention de différents acteurs. Assez peu connu du grand public, le sujet s’est fait une place à travers la question des lobbies, devenue centrale ces dernières années. On voit que finalement les argumentaires de certaines entreprises, de certains acteurs privés, sont particulièrement suivis dans le cadre de la fabrique de la loi par les décideurs publics et que d’autres revendications portées parfois par des ONG ou simplement nécessaires d’un point de vue de santé publique, qui correspondent plutôt à l’intérêt général, sont laissées de côté. 

C’est pleinement la fonction sociale du journaliste de regarder comment le pouvoir s’exerce et comment il prend ses décisions. On est pleinement dans notre rôle quand on documente le lobbying ou une thématique encore plus récente comme les cabinets de conseils. Ces cabinets qui travaillent pour plein d’entreprises, d’acteurs privés, bien souvent de grands groupes ayant les moyens financiers de payer très chers ces prestations. Ces cabinets de conseils disposent désormais de secteurs “service public” qui se sont beaucoup développés ces dernières années et qui vont vendre des missions de conseil à la sphère publique, également à des prix très élevés. La question de la finalité et de l’efficacité des missions de ces cabinets de conseil se pose. Elle se pose dans le privé, mais évidemment encore plus dans le public où ils sont rémunérés avec l’argent du contribuable. Mais au-delà de leur seul coût, la question c’est de savoir si les solutions proposées vont dans le sens de l’intérêt général ou si elles correspondent à des solutions dictées ou suggérées par certains clients du cabinet. Il peut y avoir des potentielles situations de conflits d’intérêts à travers le travail de ces cabinets. Or, la notion de conflit d’intérêts est encore mal connue en France. Elle devient de plus en plus documentée, mais c’est assez récent. 

Pourquoi avoir choisi le format bande-dessinée pour restituer votre travail de journaliste ?

Le format BD est intéressant car il donne une autre dimension à une enquête journalistique. C’est particulièrement utile pour des sujets comme les coulisses du pouvoir et l’influence qui sont assez complexes à raconter, avec des personnages de l’ombre. Le premier avantage de la BD c’est qu’on peut incarner ces personnages.

Mettre en dessin c’est rendre accessible des textes que nous, en presse écrite, on peut décrire sur des pages et des pages à travers plusieurs articles, à travers des livres parfois difficiles d’accès. Tout le monde n’a pas le temps de lire des livres d’enquête journalistique régulièrement, donc le travail de synthèse, mais aussi l’apport du dessinateur sont décisifs. Le dessinateur va amener de l’incarnation et un peu d’humour aussi, ce qui est une façon aussi de mettre de la distance et de rendre le propos plus accessible. 

Tout ceci permet finalement de rajouter un étage de vulgarisation, de rendre ces sujets plus accessibles notamment pour un public plus jeune, qu’il soit mobilisé ou désintéressé de la politique. Expliquer la mécanique de la prise de décision publique, comment elle fonctionne, là où on peut agir, c’est expliquer que se détourner totalement du politique est un choix qui a des conséquences.

Pourquoi pensez-vous que la corruption est un enjeu sociétal qui doit être rendu accessible au grand public ? 

Il y a un vrai enjeu pour le grand public de se saisir de ces sujets-là, de bien les comprendre. Mettre en lumière l’importance des personnes avec qui travaillent les hommes et les femmes politiques, leurs conseillers, ceux qu’on appelle “les entourages”, c’est expliquer que quand on vote pour quelqu’un, on vote aussi pour son entourage et sa manière de gouverner. Car tout le monde ne gouverne pas de la même façon.  

C’est peut-être illusoire d’espérer que tous ces éléments seront pris en compte par les électeurs, vu que certains politiques impliqués dans des “affaires” et poursuivis en justice continuent à être élus, mais ce travail est essentiel pour aller vers une société plus transparente, plus vertueuse dans laquelle la corruption est moins présente. Nous devons continuer à documenter les différentes façons de gouverner. Savoir par qui nos élus sont influencés en dit aussi long sur notre démocratie que les sujets “classiques” que sont le détournement de fonds, l’utilisation de l’argent public ou le financement des campagnes électorales. 

Je crois que tous ces sujets d’influence qui sont peut-être encore plus souterrains, plus diffus, plus difficiles à documenter et à comprendre doivent être traités, encore et encore. Cela permettra au grand public de prendre conscience de l’ampleur du phénomène, comme il a pu le faire pour le lobbying qui est désormais pointé du doigt grâce au travail de documentation réalisé ces dernières années par la presse. Une partie des citoyens peut maintenant se saisir de ces sujets et dénoncer l’influence de certains intérêts privés sur la fabrique de textes de loi.

Cette connaissance pourra peut-être contribuer à l’émergence d’un personnel politique plus vertueux qui exerce son mandat, prend ses décisions en tenant un peu plus à distance, voire très à distance, ceux qui essayent d’influencer sa décision. Plus ces sujets sont connus du plus grand nombre, plus la pression sur le personnel politique est forte. Pour ne plus que la décision soit prise à l’emporte-pièce, après avoir entendu deux entreprises de la circonscription, mais pour que l’écoute s’élargisse à un grand nombre de parties prenantes. Les décisions publiques doivent être prises dans le sens de l’intérêt général et pas de certains intérêts privés.


EN SAVOIR PLUS

A l’Oreille des Politiques

Aurore Gorius, La Revue Dessinée / Les Jours (2022)

Vous n’allez pas voter pour eux. . Quelle que soit l’élection, aucun bulletin de vote ne porte jamais leur nom. Pourtant, eur pouvoir est colossal. « Eux » ? Ils sont lobbyistes, communicants, conseillers. Leur mission ? Influencer les élus, amender les textes de lois, orienter les discours et façonner l’action publique. Le tout dans l’ombre, toujours dans l’ombre. Armement, nucléaire, pesticides, banques… Il n’est aucun dossier sensible qui ne porte leur patte. Pourtant, le rôle et les pratiques de ces rouages discrets de la décision publique restent mal connus. La Revue Dessinée et Les Jours ont décidé de s’unir pour vous proposer À l’oreille des politiques, l’adaptation en trois bandes dessinées de cette œuvre de salubrité publique, sous le trait précis et inspiré du dessinateur Vincent Sorel, auxquelles viennent s’ajouter des grandes fresques, consacrées aux lieux de pouvoir, signées Vincent Mahé.

Aurore Gorius

Journaliste d’enquête spécialisée sur les coulisses du pouvoir et l’influence, Aurore Gorius travaille depuis six ans pour le site d’information en ligne LesJours.fr. Elle enquête sur la fabrique de la décision publique, souvent opaque, les techniques des lobbies et les conflits d’intérêts en tous genres. Elle suit aussi de près les stratégies industrielles des laboratoires pharmaceutiques et enquête depuis plusieurs années sur le scandale sanitaire du Levothyrox. D’abord en poste en presse quotidienne et magazine (Le Point et France-Soir), elle a ensuite collaboré à L’Obs, La Revue dessinée ou La Revue du Crieur et co-écrit plusieurs livres d’enquête, notamment Les Gourous de la com’ (La Découverte, 2011 et Fayard, 2016).


Voir l’interview en vidéo :

Cinq ouvrages sélectionnés pour le prix du meilleur ouvrage sur la transparence et l’éthique, par Transparency International France et l’Observatoire de l’Ethique Publique (OEP)


 

 

 

 

 

 

 

 

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