Note de position | Révision constitutionnelle : une occasion de renforcer enfin l’indépendance des procureurs
UNE OCCASION DE FAIRE AVANCER L’INDEPENDANCE DE LA JUSTICE
Le mois prochain, le Président de la République pourrait réunir députés et sénateurs en Congrès à Versailles afin d’approuver la révision constitutionnelle permettant d’inscrire le droit à l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution.
Il s’agira de la première révision constitutionnelle réussie depuis 2008 ! En effet, toutes les initiatives constitutionnelles du quinquennat Hollande et du premier quinquennat Macron ont échoué. Aujourd’hui, la perspective d’une révision constitutionnelle globale semble très lointaine, car comme le prévoit l’article 89 de la Constitution, tout texte constitutionnel doit d’abord être voté dans des termes identiques par les Députés et les Sénat, puis doit réunir une majorité des 3/5 ème des parlementaires réunis en Congrès ou être soumis au référendum. Malgré ces difficultés, l’exécutif et la majorité n’ont pas hésité à se lancer dans cette entreprise difficile de révision constitutionnelle pour garantir le droit à l’IVG.
Et si, faute de projet constitutionnel global, le Président de la République profitait de cette réunion pour faire progresser l’indépendance de la justice et notoirement celle des procureurs de la République ?
C’est ce que lui demandent de nombreux acteurs comme les principaux syndicats de magistrats, mais aussi de très nombreuses voix au sein de l’institution comme Rémy Heitz, le procureur général près la Cour de la Cour de cassation ou la Conférence nationale des procureurs pour les plus récentes.
Cette demande a aujourd’hui du sens parce qu’une possibilité juridique existe : un texte a été voté dans les mêmes termes au Sénat en 2013, puis à l’Assemblée nationale en 2016 et il peut donc être directement soumis au vote des parlementaires réunis en Congrès si le Président de la République le décide.
Le Président proposerait, les parlementaires décideraient et le sort des deux textes ne serait pas lié.
Indépendance de la justice, indépendance des magistrats, indépendance du parquet, indépendance des procureurs… comment s’y retrouver ?
L’indépendance et l’impartialité du système judiciaire sont indispensables à son bon fonctionnement, à la séparation des pouvoirs comme à la confiance des citoyens. L’indépendance de la justice est protégée par des garanties statutaires qui figurent dans la Constitution, le statut des magistrats (ordonnance du 22 décembre 1958) et la loi (notamment le code de procédure pénale).
Sous le même statut de magistrats, il faut distinguer les magistrats du parquet (les procureurs) et les magistrats du siège (les juges). Les procureurs poursuivent et exercent le ministère public, les juges jugent. Une justice indépendante doit s’appuyer sur des magistrats statutairement indépendants et des procédures claires encadrant les relations avec le pouvoir politique (le garde des sceaux, ministres de la justice).
Évidente, l’indépendance des juges bénéficie de nombreuses garanties, dont leur inamovibilité, qui les protègent de toute ingérence politique. Indépendants ne veut pas dire irresponsables : des procédures existent pour mettre en cause la responsabilité des juges.
La situation des procureurs est plus complexe : les procureurs font partie d’un parquet qui est hiérarchisé et placé sous l’autorité du garde des sceaux (c’est-à-dire le ministre de la Justice). Longtemps, les procureurs ont été soumis au garde des Sceaux. Plusieurs réformes ont progressivement renforcé leur indépendance sans aller jusqu’à rompre le lien avec le ministre de la Justice. En 2013, la loi a interdit à ce dernier de donner des instructions individuelles au parquet, c’est-à-dire de manière de traiter une affaire en particulier. Le ministre de la Justice doit s’en tenir à des instructions générales sur la politique pénale.
Deux questions n’ont toutefois pas été traitées de manière satisfaisante : la carrière des procureurs (nominations et mutation) qui restent trop dépendante du garde des sceaux et le pouvoir disciplinaire qui est encore dans les mains du garde de ce dernier, même si le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), composé pour moitié de non-magistrats, a son mot à dire.
QUE PREVOIT LE TEXTE ADOPTE PAR LE SENAT ET L’ASSEMBLEE NATIONALE ?
Il procède à un alignement partiel du statut des magistrats du parquet (procureurs) sur celui des magistrats du siège (les juges).
Pour garantir l’indépendance des procureurs, il confie au Conseil supérieur de la magistrature — composé pour moitié de non-magistrats-le pouvoir de valider les nominations et de devenir l’organe disciplinaire des magistrats du parquet.
AVANT
Extrait de l’article 65 de la Constitution :
« La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du parquet donne son avis sur les nominations qui concernent les magistrats du parquet. (…) La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du parquet donne son avis sur les sanctions disciplinaires qui les concernent. »
APRES
Nouvelle rédaction adoptée par le Sénat (2013) et l’Assemblée nationale (2016)
« Les magistrats du parquet sont nommés sur l’avis conforme de la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du parquet. (…)La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du parquet statue comme conseil de discipline des magistrats du parquet »
QUE DEMANDE TRANSPARENCY FRANCE ?
Réformer l’institution judiciaire pour garantir son indépendance
Transparency International France soutient cette réforme du statut des magistrats du parquet afin de parachever leur indépendance en alignant le statut des magistrats du parquet (les procureurs) sur celui des magistrats du siège (les juges). Il s’agit d’un des onze engagements que nous avions proposé aux candidats à l’élection présidentielle de prendre.
Depuis quelques années, les gardes des Sceaux ont pris en matière de nomination la bonne habitude de suivre l’avis formulé par le Conseil supérieur de la magistrature. Nous proposons comme d’autres de constitutionnaliser cette bonne pratique en transformant l’avis simple en avis conforme. Quant au pouvoir disciplinaire, l’affaire Dupont-Moretti et les enquêtes lancées par le garde des Sceaux contre des procureurs du Parquet national financier rappellent que cette question est très sensible. Le pouvoir disciplinaire n’est pas un petit pouvoir : il peut constituer au contraire un moyen de pression, voire de déstabilisation des procureurs.
Depuis le début des années 1990, en rupture avec deux siècles de dépendance, la France a considérablement renforcé l’indépendance de ses institutions judiciaires pour les émanciper de la tutelle de l’exécutif et les rendre adultes. Toutefois, la France peine à franchir la dernière étape : garantir l’indépendance des magistrats du parquet (les procureurs). Cette réforme est d’autant plus nécessaire aujourd’hui que les magistrats du parquet assurent l’essentiel des enquêtes.
L’exécutif y est-il favorable ?
Oui, il l’a dit à de nombreuses reprises. Ces dispositions faisaient partie des deux projets de loi constitutionnelle déposés par le Gouvernement en 2018 puis en 2019. Le garde des Sceaux a exprimé haut et fort son soutien à l’indépendance du parquet en juillet 2020. En avril 2022, le rapport final du comité des Etats généraux de la justice a retenu le « renforcement nécessaire des garanties statutaires des magistrats du parquet ». Le Président de la République lui-même a redit l’importance de cette réforme lors du discours qu’il a prononcé devant le Conseil constitutionnel à l’occasion du 65ème anniversaire de la Constitution de 1958.
Cette réforme bénéficie d’un soutien constant, mais très rhétorique, de l’exécutif. Les circonstances lui permettent aujourd’hui de passer de la théorie à la pratique.
L’entreprise est-elle difficile ?
Oui, des oppositions existent. Si le projet est ancien, il n’a jamais été consensuel. Les échecs du passé sont éclairants.
En 1999, cette réforme a échoué une première fois : un texte identique avait bien été voté par l’Assemblée nationale et le Sénat, mais la majorité des trois cinquièmes nécessaire à son adoption définitive était inaccessible. Le Président de la République, Jacque Chirac, avait alors annulé la convocation du Congrès prévue le 24 janvier 2000.
La réforme a échoué une seconde fois en 2013 avec une réforme qui garantissait l’indépendance des procureurs, mais proposait de revoir la composition du Conseil supérieur de la magistrature. Le vote favorable du Sénat avait provoqué l’échec de la réforme et son enterrement par le Président Hollande. Toutefois, en 2016, à l’initiative du garde des Sceaux, le gouvernement avait demandé à l’Assemblée nationale d’approuver la formule fédératrice adoptée au Sénat. C’est grâce à cette initiative politique qu’un texte commun est aujourd’hui sur la table. Le vote des deux assemblées est certes ancien, mais il est toujours valide juridiquement.
Pourquoi l’indépendance de la justice est-elle fondamentale dans la lutte contre la corruption ?
La corruption est, par définition l’infraction du pouvoir, elle concerne le pouvoir politique comme le pouvoir économique, au niveau local comme au niveau national.
Face à une délinquance cachée et des auteurs souvent très bien défendus, les enquêtes et les procédures judiciaires ont besoin de la plus grande sérénité en étant adossées à des institutions judiciaires indépendantes insensibles aux pressions de toute nature. Transparency International France défend donc l’indépendance du parquet, des moyens d’enquête adaptés, une police judiciaire efficace…
Cette réforme du statut des magistrats du parquet est attendue depuis longtemps. Elle ne remet en cause ni le caractère hiérarchisé du parquet ni la capacité du garde des Sceaux à définir une politique pénale qui prend la forme d’instructions générales. La France a l’occasion de montrer qu’elle a entendu les recommandations du Groupe des Etats Engagés contre la Corruption (GRECO) et de la Commission de Venise, deux organes du Conseil de l’Europe, ce qui ne peut qu’aider, par exemple, la nouvelle coalition en Pologne qui doit rétablir l’indépendance des institutions judiciaires après les dérives des gouvernements conservateurs de Droit et justice (PiS).
Dans le débat public, des voix s’élèvent aujourd’hui pour orchestrer une dénonciation d’un « gouvernement des juges » qui serait soi-disant contraire à la volonté du peuple souverain. Il arrive que les rapports entre politique et justice soient tendus.
Dans ce contexte, le rôle de l’exécutif — notoirement du Président de la République qui, au terme de l’article 64 de la Constitution, est le garant de l’indépendance de la justice — est justement de construire une large majorité pour soutenir cette formule fédératrice.
Le constituant pourrait aller plus loin et Transparency International France préconise d’aligner véritablement le statut du parquet sur celui du siège en confiant au CSM un pouvoir de proposition — et pas seulement un avis conforme — sur les principaux postes du parquet. Nous proposons également de constitutionnaliser les principes d’intégrité et de transparence de la vie publique.
Aller plus loin : confier au CSM un pouvoir de proposition pour les magistrats du parquet
Rédaction actuelle de l’article 65 concernant les magistrats du siège :
« La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du siège fait des propositions pour les nominations des magistrats du siège à la Cour de cassation, pour celles de premier président de cour d’appel et pour celles de président de tribunal de grande instance. Les autres magistrats du siège sont nommés sur son avis conforme. »
Proposition de Transparency International France pour les magistrats du parquet :
« La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du parquet fait des propositions pour les nominations des magistrats du parquet général près la Cour de cassation, les procureurs généraux près les cours d’appel et les procureurs de la République. Les autres magistrats sont nommés sur son avis conforme. »
L’adoption du texte fédérateur de 2016 constituerait déjà une évolution importante pour garantir l’indépendance des magistrats du parquet. Ce serait un signal fort permettant de clore la séquence peu reluisante du procès du garde des Sceaux devant la Cour de justice de la République.
ALLER PLUS LOIN
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