Indice de Perception de la Corruption 2022 : Face à une corruption qui génère plus de violences et de désordres dans le monde, la France ne peut pas se contenter d’une 21ème place

Indice de Perception de la Corruption 2022 : Face à une corruption qui génère plus de violences et de désordres dans le monde, la France ne peut pas se contenter d’une 21ème place

La lutte contre la corruption dans le monde peine à progresser alors que le phénomène engendre toujours plus de conflits. C’est l’enseignement de l’édition 2022 de l’Indice de perception de la Corruption publié aujourd’hui par Transparency International. Située à la 21e place du classement sur 180 pays et territoires (+1 place par rapport à l’an dernier), avec un score de 72 (+1 point par rapport à l’an dernier), la France confirme sa place de bonne élève à l’échelle mondiale sans pour autant être immunisée contre la corruption.

FAITS MARQUANTS AU NIVEAU MONDIAL

95 % des pays ont fait peu ou pas de progrès depuis 2017.

La moyenne mondiale de l’IPC reste inchangée à 43 pour la onzième année consécutive, et plus des deux tiers des pays font face à une corruption endémique, avec un score inférieur à 50.

Le Danemark (90) arrive en tête de l’indice cette année, suivi de près par la Finlande et la Nouvelle-Zélande, toutes deux à 87. Des institutions démocratiques solides et le respect des droits de l’homme font également de ces pays quelques-uns des plus pacifiques au monde, selon l’indice de paix global.

Le Soudan du Sud (13), la Syrie (13) et la Somalie (12), tous trois plongés dans un conflit prolongé, restent en bas de l’IPC.

26 pays – parmi lesquels le Qatar (58), le Guatemala (24) et le Royaume-Uni (73) – accusent des scores historiquement bas.

Depuis 2017, dix pays ont significativement baissé sur leur score IPC.

Les déclinants significatifs sont : Luxembourg (77), Canada (74), Royaume-Uni (73), Autriche (71), Malaisie (47), Mongolie (33), Pakistan (27), Honduras (23), Nicaragua (19) et Haïti (17).

Seuls huit pays ont amélioré leur IPC au cours de cette même période : Irlande (77), Corée du Sud (63), Arménie (46), Vietnam (42), Maldives (40), Moldavie (39), Angola (33) et Ouzbékistan (31).

EN SAVOIR PLUS

A PROPOS DE L’INDICE DE PERCEPTION DE LA CORRUPTION

Depuis sa création en 1995, l’Indice de Perception de la Corruption est devenu le principal indicateur mondial de la corruption dans le secteur public. L’indice note 180 pays et territoires du monde entier en fonction de leur niveau de perception de la corruption dans le secteur public, en utilisant des données provenant de 13 sources externes, dont la Banque mondiale, le Forum économique mondial, des sociétés privées de conseil et de risque, des groupes de réflexion et autres. Les scores reflètent l’opinion d’experts et d’hommes d’affaires. 100 est la meilleure note possible, 0 la moins bonne. On considère qu’un pays obtenant un score inférieur à 50 est confronté à un niveau de corruption endémique.

Le processus de calcul de l’IPC est régulièrement réexaminé pour s’assurer qu’il soit aussi robuste et cohérent que possible, le plus récemment par le Centre commun de recherche de la Commission européenne en 2017. Tous les scores de l’IPC depuis 2012 sont comparables d’une année sur l’autre. Pour plus d’informations, voir cet article : L’ABC de l’IPC : Comment est calculé l’indice de perception de la corruption.

IPC 2022 : le classement complet

Corruption et désordres

La corruption et les conflits sont profondément liés. L’indice mondial de la paix montre que le monde est de moins en moins pacifique. Il existe un lien évident entre cette violence et la corruption. Les pays qui obtiennent le score le plus bas dans cet indice ayant également un score très bas à l’IPC. Les gouvernements entravés par la corruption n’ont pas la capacité de protéger la population, tandis que le mécontentement des citoyens est plus susceptible de se transformer en violence. Ce cercle vicieux touche tous les pays, du Sud-Soudan (13) au Brésil (38). Il peut prendre des formes particulièrement violentes comme en Russie (28) où les hommes d’affaires proche du régime ont amassé de grandes fortunes en promettant fidélité au président Vladimir Poutine en échange de pan entiers de l’industrie au lendemain de l’effondrement de l’URSS, de marchés publics lucratifs et de la protection de leurs intérêts économiques. L’absence de contrôle du pouvoir exercé par Poutine lui a permis de poursuivre ses ambitions géopolitiques en toute impunité. Cette attaque a déstabilisé le continent européen, menaçant la démocratie et faisant des dizaines de milliers de morts.

Avant l’invasion, l’Ukraine obtenait un score faible (33 sur 100) mais bénéficiait d’une bonne et régulière dynamique permises par d’importantes réformes et s’améliorait régulièrement (+ 7 points en 10 ans). Même après le début des combats, le pays a continué à donner la priorité aux réformes anticorruption, adoptant même une nouvelle stratégie nationale anticorruption en juin dernier. Cependant, les guerres perturbent les processus normaux et exacerbent les risques, permettant aux acteurs corrompus d’empocher des fonds destinés au redressement, comme on l’a vu à la mi-janvier lorsque des enquêtes ont révélé des profits de guerre réalisés par les ministères de la défense ou du développement des communautés et des territoires. Si ce scandale souligne la nécessité de réformes pour prévenir de telles violations à l’avenir, mais il est appréciable que les membres du gouvernement, gouverneurs et hauts dirigeants impliqués dans cette affaire de détournements de fonds aient été limogés rapidement.

LA FRANCE : CLASSEMENT ET ANALYSE

Score 2022 : 72 / 100

Classement 2022 : 21e / 180

EN SAVOIR PLUS

Avec un score de 72 sur 100 et sa 21ème place au classement de 180 pays et territoires, la France confirme sa place dans le groupe de tête du classement à l‘IPC.

Avec un point et une place au classement gagnés depuis l’an dernier et seulement deux points et deux places gagnés depuis 2017, la France s’inscrit dans la dynamique globale de faible et lente progression dans la lutte contre la corruption. Si cette progression est insuffisante pour contrer ce phénomène, elle peut s’illustrer par quelques signaux encourageants observés durant l’année 2022.

Des signaux encourageants

La révélation de « l’affaire Mc Kinsey » et l’ouverture de deux enquêtes préliminaires par le Parquet National Financier sur l’intervention des cabinets de conseil dans les élections présidentielles de 2017 et 2022, les mises en examen d’Alexis Kohler, secrétaire général de l’Elysée et d’Eric Dupond-Moretti, Garde des Sceaux, pour prise illégale d’intérêt, ou  encore les condamnations du secrétaire d’Etat Alain Griset pour omission de déclaration délibérée d’une partie de son patrimoine et de l’ancien ministre Claude Guéant pour escroquerie de frais de campagne, témoignent de la capacité de la France à détecter et sanctionner les pratiques frauduleuses de ses dirigeants.

De la même manière la condamnation définitive de Rifaat Al Assad par la justice française, la seconde dans une affaire de biens mal acquis, confirme la dynamique judiciaire enclenchée par « l’affaire Obiang » et rapproche la France de la perspective d’une première restitution des biens confisqués aux dirigeants condamnés à leurs populations respectives, grâce au mécanisme de restitution créé par la France en 2021.

Ces quelques avancées sont toutefois insuffisantes au regard des signaux inquiétants du manque d’intérêt de l’exécutif pour la transparence et l’exemplarité. La question de la corruption et de la probité a été singulièrement absente de la campagne présidentielle 2022.

Moyens et indépendance de la justice

C’est l’un des enseignements des accusations de corruption par des Etats-tiers qui visent le Parlement européen depuis le début du mois de décembre 2022 : pas de lutte contre la corruption sans une justice financière et des services enquêteurs spécialisés indépendants et dotés de suffisamment de moyens.

La crise structurelle qui touche la justice française n’épargne pas la justice financière. Avec seulement 18 procureurs pour gérer 700 dossiers, le Parquet National Financier demeure sous doté. Et le recrutement de deux procureurs et deux juristes assistants supplémentaires annoncé dans le dernier rapport annuel du PNF ne devrait malheureusement pas suffire à remplir efficacement sa mission. L’inquiétude grandit, renforcée par le projet de réforme de la police nationale présenté par l’exécutif en 2022 qui pourrait entraîner des conséquences désastreuses sur le fonctionnement et l’indépendance de la police judiciaire. Ajoutée à cela, une réforme de l’indépendance de la justice, promise en 2017 et qui a échoué au cours du premier quinquennat, il apparaît que la justice politico financière est la grande oubliée de cette année 2022. La lutte contre la corruption n’apparait que comme une préoccupation très secondaire de l’exécutif.

Recul de l’exemplarité de l’exécutif

Dès janvier 2022, un rapport du Groupement des Etats contre la Corruption du Conseil de l’Europe (GRECO) pointait que la culture de l’intégrité peinait à atteindre les plus hautes sphères du pouvoir exécutif. L’année écoulée en a fourni de nombreuses illustrations, comme le maintien en fonction du ministre de la justice Eric Dupont-Moretti ou du secrétaire général de l’Elysée Alexis Kohler malgré le renvoi du premier devant la Cour de justice de la République et la mise en examen du second, tous deux pour prise illégale d’intérêts. La justice fait tant bien que mal son travail, mais l’exécutif ne semble pas prendre la mesure de l’enjeu de l’exemplarité et par son indifférence crée un climat qui ne favorise pas la culture de l’intégrité.

Dix ans après l’affaire Cahuzac qui a provoqué une réaction salutaire des pouvoirs publics et contrairement à d’autres institutions, l’exécutif tarde à prendre le tournant déontologique, comme le montre la persistance de déclarations d’intérêts et de patrimoine incomplètes de membres de gouvernement, malgré les alertes de la HATVP. Autant d’illustrations de la nécessité de créer un poste de déontologue de l’Exécutif pour sensibiliser, et conseiller les membres de l’exécutif et uniformiser leurs pratiques préventives.

« Mckinsey », « Uber Files », « Qatar gate », des affaires révélatrices du manque de transparence de la relations public / privé  

Révélée en mars 2022, « l’affaire Mc Kinsey » a souligné la nécessité de renforcer encore la transparence des passations de marchés de prestations intellectuelles, et de veiller à toujours mieux encadrer l’influence des intérêts privés sur la conduite des politiques publiques. Suite à l’excellent travail de la commission d’enquête sénatoriale, une proposition de loi transpartisane a été adoptée au Sénat pour répondre à ces impératifs. Ce texte est toujours en attente d’un examen à l’Assemblée nationale sans qu’on sache si le gouvernement soutient vraiment cette initiative.

Régulièrement citée en exemple à l’international, la législation française en matière d’encadrement du lobbying créée par la Loi Sapin 2 et portée par la HATVP n’est pas pour autant parfaite, principalement en raison d’un décret d’application qui l’a vidé de sa substance. Malgré un solide consensus sur sa nécessaire révision celle-ci n’est toujours pas à l’ordre du jour. Dans la foulée des accusations du corruption visant le Parlement européen, le gouvernement a néanmoins laissé entendre qu’il pourrait enfin consentir à ouvrir ce dossier en 2023, Nos recommandations sont prêtes et rejoignent celles défendues par nos collègues de Transparency Union Européenne auprès des institutions européennes depuis près de 10 ans.

Une France toujours vulnérable à la corruption, à l’ingérence de puissances étrangères corruptives et à l’influence indue d’intérêts privés.

Malgré sa figure de « bonne élève » au 22ème rang, la France reste exposée à la corruption sur son territoire et à Pour autant elle n’est pas confrontée aux conséquences les plus violentes de la corruption comme le sont des pays durablement marqués par les conflits et occupants les dernières places de l’IPC comme la Somalie, la Syrie ou le Sud Soudan.

Les mécanismes de la confiance publique sont complexes, mais l’insuffisance des moyens de prévention, de détection et de sanction de la corruption génère des désordres qui mettent à mal notre démocratie et leurs dirigeants. La défiance est bel et bien ancrée, selon la dixième édition de l’étude « Fractures françaises » réalisée par la Fondation Jean Jaurès, selon laquelle une majorité des Français (57%) reste convaincue que « la plupart des politiques sont corrompus ». Un chiffre certes en légère baisse (il s’établissait à 62% en 2013), mais qui reste très élevé.

La France est à la croisée des chemins. En créant le PNF, la HATVP et l’AFA, elle s’est dotée d’outils ambitieux. Il manque désormais des moyens et une volonté politique de les utiliser dans le cadre d’une politique de lutte contre la corruption transversale et pilotée par Matignon et non pas en silo par des ministères volontaires. La révision en cours du plan national pluriannuel de lutte contre la corruption de l’Agence Française Anticorruption en offre l’occasion. Si elle ne la saisit pas, la France restera durablement vulnérable à la corruption, à l’ingérence de puissances étrangères corruptives et à l’influence indue d’intérêts privés.

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