[TRIBUNE] Pas de confiance dans la justice sans lutte efficace contre la corruption

[TRIBUNE] Pas de confiance dans la justice sans lutte efficace contre la corruption

Tribune parue le 28 septembre dans Le Monde, à l’occasion de l’examen du projet de loi pour restaurer la confiance dans l’institution judicaire au Sénat

Anne Guyot-Welke, Secrétaire Générale de Solidaires Finances Publiques

Patrick Lefas, Président de Transparency International France

Franceline Lepany, Présidente de Sherpa

Elise Van Beneden, Présidente d’Anticor

Dans quelques jours, le Sénat va se prononcer sur le projet de loi pour la confiance dans l’Institution judiciaire que le Garde des sceaux a présenté en commission des lois comme «longuement nourri de [s]es 36 années de barreau et qui vise l’un des principaux objectifs [qu’il] s’est fixé en venant à la Chancellerie : renforcer la confiance de nos concitoyens dans leur justice ». Ce texte proposait, à l’issue de son examen à l’Assemblée nationale, dans ses articles 2 et 3, d’encadrer la durée des enquêtes préliminaires et de renforcer le secret professionnel des avocats.

Pour nous, organisations de la société civile qui militons chaque jour pour une véritable justice financière et économique et pour une meilleure protection des lanceurs et lanceuses d’alerte, non seulement le texte en cours d’examen au Sénat n’est pas à la hauteur de son objectif initial, mais ces deux dispositions affaibliraient la lutte contre la délinquance financière, à contre-courant des engagements internationaux de la France et des objectifs poursuivis par la politique publique anticorruption depuis une dizaine d’années.

En durcissant les règles de procédure, sans s’appuyer sur un diagnostic préalable des éventuels dysfonctionnements de la justice économique et financière, sans se poser la question centrale des effectifs de juges et des services d’enquête judiciaire – oubliés des derniers arbitrages budgétaires -, l’intention initiale du projet de loi revient à affaiblir la réponse à apporter à la délinquance économique et financière.

Les dispositions, prévues aux articles 2 et 3 du projet de loi initial, risquent en effet d’entraver la détection des cas de corruption, de fraude fiscale et de blanchiment, d’affaiblir la collecte des preuves d’infractions économiques et financières, tout ceci en renforçant le secret professionnel des avocats aux activités de conseil, mais également en réduisant la durée des enquêtes préliminaires de ces infractions.

Reposant bien souvent sur une ingénierie complexe et portant sur des sommes si vertigineuses qu’elles en deviennent abstraites, les infractions liées à la corruption, et au premier chef à la corruption d’agent public étranger, nécessitent des moyens significatifs de détection et de collecte de preuve à la hauteur du coût de ces agissements estimé à près de 1.000 milliards d’euros par an en Europe, soit 6,3% du PIB. S’il fallait encore se convaincre de la nécessité de protéger les moyens d’enquête et l’accès aux preuves, rappelons que l’enquête OpenLux avait révélé que 6.500 milliards d’euros étaient stockés dans des sociétés enregistrées au Luxembourg et notamment détenus par des contribuables français. A l’heure où il s’agit de financer le « quoi qu’il en coûte », comment justifier ces freins à la détection et à la poursuite de telles infractions alors que les inégalités se sont encore creusées au cours de la crise sanitaire ?

En commission des lois du Sénat, les rapporteurs du texte eux-mêmes se sont rangés à ces arguments et ont proposé puis fait voter des amendements rectifiant ces deux dispositions. Nous souhaitons ardemment qu’ils soient votés par le Sénat en séance plénière puis en Commission mixte paritaire.

Si cette séquence souligne l’utilité de la navette parlementaire, même dans le cadre de la procédure accélérée, elle nous inquiète, tant elle illustre le manque de cohérence et de lisibilité du projet gouvernemental en matière de lutte contre la corruption.

Après l’absence de réforme sur l’indépendance de la justice pourtant promise par le candidat Macron, les attaques en règle contre le PNF, les critiques du Garde des Sceaux contre la transparence de la vie publique assimilée à du voyeurisme, l’avenir plus qu’incertain de l’Agence française anticorruption tracé à l’occasion de l’évaluation parlementaire de la loi Sapin 2, ce projet de loi Confiance dans l’institution judiciaire apparaît comme un nouveau signe du renoncement de l’exécutif à lutter efficacement contre la délinquance en col blanc.

A trois mois de la présidence française de l’Union européenne et alors que les enjeux de la lutte contre la corruption et des atteintes aux finances publiques peinent à s’imposer dans le cadre de cette précampagne présidentielle, nous, associations et syndicat engagés pour une véritable justice financière et économique, attendons du gouvernement une politique publique de lutte anticorruption, claire et cohérente à la hauteur du phénomène et de nos engagements internationaux. Ce n’est qu’à ce prix que la démocratie regagnera la confiance des citoyens et citoyennes.

en savoir plus

Projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire – Positionnement de Transparency International France

Projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire – Positionnement de Transparency International France contre l’assouplissement du délit pénal de prise illégale d’intérêt introduit au texte au Sénat 

 

 

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